La BCE au bord de la crise de nerfs

Axel Botte, Ostrum AM

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La reprise du QE suscite de fortes réactions parmi les banquiers centraux.

© Keystone

La décision de la BCE a validé la hausse des actions au cours des dernières semaines. Les indices européens et américains se rapprochent des sommets de 2019. Les valeurs bancaires européennes profitent du tiering des réserves. La rechute du yen permet un fort rebond du Nikkei dans des volumes étoffés avant un weekend prolongé au Japon. La brutale hausse du pétrole liée à l’attaque contre Aramco engendre toutefois des prises de profits en début de semaine.

Les taux obligataires remontent fortement aux Etats-Unis où l’inflation sous-jacente accélère. Le 10 ans (1,84%) s’est échangé à 1,90% au plus haut de la semaine. Le Gilt participe au mouvement malgré la cacophonie politique.

En Europe, plusieurs banquiers centraux ont émis des critiques virulentes au sujet de la relance du QE. Cela peut expliquer en partie la remontée du Bund au-dessus de -0,50%. Les spreads souverains et de crédit se sont réduits. Le high yield se resserre de plus de 20pb sur la semaine.

Le dollar termine la semaine en ordre dispersé. L’euro s’approche d’1,11$ alors que le yen cote autour de 108. L’or est stable au-dessus de 1500 dollars l’once.

Graphique de la semaine

Le tiering des réserves va générer des arbitrages de liquidité. Un taux nul s’applique sur un multiple de 6 fois les réserves réglementaires. Le taux de dépôt (-0,50%) prévaut au-delà.

La détention de liquidités étant dorénavant moins pénalisée, les taux de repo devraient remonter. C’est l’une des raisons de la sous-performance du Schatz face au swap (indexé sur l’interbancaire). L’épargne bancaire (compte à terme) sera aussi favorisée au détriment des fonds monétaires.

La BCE ajustera le multiple afin maintenir l’ancrage des taux court au taux de dépôt.

La fin de l’ère Draghi

L’assouplissement monétaire décidé jeudi dernier sonne comme la fin d’une ère au sein de la BCE. Mario Draghi a réduit les taux, annoncé la mise en place d’un système d’exonération des réserves et relancé le programme d’achats d’actifs. Cela étant, cette décision du conseil a rarement suscité autant de commentaires hostiles de la part des banquiers centraux. Klaas Knot, Jens Weidmann ou, de façon plus surprenante, Benoit Coeuré jugent l’assouplissement quantitatif injustifié à ce stade. Le communiqué officiel de Klaas Knot affichant son opposition à la reprise du QE est sans précédent. La première mission de Christine Lagarde sera sans doute de rétablir un consensus au sein du Conseil.

Les banques pourront placer à la BCE l’équivalent 6 fois le montant
des réserves obligatoires à taux zéro.

Le tiering des réserves était attendu. Les banques pourront placer à la BCE l’équivalent 6 fois le montant des réserves obligatoires à taux zéro. Le surplus sera soumis au taux de -0,50%. Compte tenu d’un excédent de liquidités de 1800 milliards d'euros, la politique menée jusqu’à présent représentait une ponction de 7,2 milliards d'euros par an sur le système bancaire. Cette mesure contribue à améliorer les marges bancaires mais son effet est incertain sur les taux courts. La détention de liquidité étant moins coûteuse, la demande de liquidité de certaines banques pourrait faire remonter les taux sur le marché du repo réduisant parallèlement les swap spreads. Les fonds monétaires pourraient aussi subir une concurrence plus rude des produits d’épargne bilancielle. La BCE navigue à vue et ajustera le multiple si les taux du marché monétaire s’écartent du son principal taux directeur, le taux de dépôt. La communication avancée sur les taux a évolué. La de taux d’intérêt est expressément liée au retour de l’inflation totale et sous-jacente vers l’objectif de 2%. Or l’inflation hors éléments volatiles n’a pas atteint 2% depuis 2002. Le programme d’achat d’actifs prévoit 20 milliards d'euros d’achats par mois à compter du 1er novembre et ce, jusqu’à une hausse des taux de la BCE. L’absence de date butoir et de relèvement des limites de détention des souches laisse néanmoins planer un doute sur la pérennité d’un programme, qui cristallise les critiques de plusieurs membres de la BCE.

Le marché digère l’assouplissement avant la Fed

La remontée du Bund au-dessus de -0,50% est la conjonction de débouclements de positions et de l’ajustement de l’équilibre sur le marché du repo. Les spreads souverains ont diminué de façon proportionnelle, avec une surperformance marquée de Italie (132pb à 10 ans). Le crédit bénéficie de l’embellie des actifs risqués avec une surperformance émetteurs notés en catégorie spéculative. Les spreads sur les obligations d’entreprise diminuent de 3pb contre Bund à 108pb. Le high yield se resserre de 22pb à 340pb. Le tiering des réserves suscite des achats de dettes bancaires. Sur le marché des actions, les valeurs du secteur ont logiquement terminé la semaine en nette hausse progressant de 3,3%, soit deux points de mieux que le marché. Certaines cycliques décotées voient dans la détente sinoaméricaine les raisons d’un rebond. L’espoir est permis mais Donald Trump doit encore rendre sa décision sur automobile européenne alors que le luxe est désormais une cible. Le marché des actions en Europe a retrouvé ses sommets et les opérateurs semblent à recherche de nouvelles thématiques. Le retour sur les valeurs bancaires et les cycliques décotées font écho aux prises de profits sur les valeurs défensives de croissance, favorisées jusqu’ici par la dégradation des indicateurs conjoncturels.

La reprise des achats nets de Treasuries répond aux inquiétudes
des investisseurs quant à la dérive des finances publiques.
Fed: nouvelle baisse obligée

La Fed va procéder à une nouvelle baisse des taux de 25pb cette semaine prétextant la nécessité de se prémunir des risques extérieurs. Les tensions au Moyen-Orient s’ajoutent à l’incertitude du Brexit et à la crise Hongkongaise pour justifier une assurance supplémentaire. La réalité est que la Fed n’a aucune autonomie vis-à-vis des marchés financiers. Jerome Powell, sous une pression considérable de Donald Trump, n’assumera pas de provoquer une correction des marchés pour se conformer au mandat d’inflation et de chômage. La poussée de l’inflation sous-jacente (2,4%a en août) et la hausse préoccupante du crédit à la consommation seront largement ignorées. L’urgence ailleurs. La demande de Treasuries (étrangère notamment) faiblit depuis plusieurs mois de sorte que les primary dealers (SVT) détiennent des stocks d’obligations importants (sur les maturités courtes en particulier). La reprise des achats nets de Treasuries répond ainsi aux inquiétudes des investisseurs quant à la dérive des finances publiques. Le déficit fédéral américain atteindra en effet 1000 milliards de dollars cette année. Ainsi, malgré l’opposition probable d’Esther George et d’Eric Rosengren, la Fed réduira les taux. Les divergences de vue s’exprimeront néanmoins au travers des projections individuelles.

La correction sur le marché obligataire américain traduit sans doute des réallocations d’actifs, les quant à l’évolution du déficit fédéral et la hausse de l’inflation. La hausse du brut après l’attaque subie par Aramco, même si elle entraine un surcroit d’inflation, atténue le mouvement de hausse des taux. Les seuils techniques se situent à 1,86% pour une poursuite de la hausse vers 2,01% ou 1,76% pour envisager un retour sur des niveaux bas. Les points morts issus des TIPS ont augmenté de 10pb environ, soit la moitié du mouvement des taux nominaux. Le marché du crédit a peu réagi au mouvement de taux. La dette émergente traverse la volatilité des taux sans encombres. Le spread émergent se situe à 6pb de ses plus bas de l’année à 326pb. La bourse américaine évolue proche de ses sommets malgré la diminution des résultats attendue au 3T 2019.

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