L’épargne élevée des ménages, ainsi que les pénuries de main-d'œuvre et de matériaux post-pandémie exacerbent les prix. Ces conditions ne sont pas celles d'une bulle immobilière classique.
- Les banques centrales mettent en garde contre de possibles bulles sur le marché immobilier. Pour les autorités monétaires, l'augmentation des prix de l'immobilier vient s’ajouter aux défis posés par la nécessité de ralentir l’activité économique
- L’épargne élevée des ménages, ainsi que les pénuries de main-d'œuvre et de matériaux post-pandémie exacerbent les prix. Ces conditions ne sont pas celles d'une bulle immobilière classique
- Les banques centrales s'attendent à ce que la hausse des taux se traduise par une augmentation des coûts des prêts hypothécaires, ce qui aura pour effet de décourager progressivement les acquéreurs
- Nous maintenons notre surpondération de l’immobilier européen, dont une part importante est indexée à l'inflation.
Les responsables de la politique monétaire américaine s’inquiètent du FOMO, acronyme de «fear of missing out» ou la «peur de rater quelque chose», des investisseurs. Si les acquéreurs de logements estiment que les prix continueront à augmenter, le marché risque de se transformer en bulle. A mesure que les autorités monétaires relèvent les taux d’intérêt pour lutter contre l'inflation, nous nous attendons à une accalmie du boom immobilier mondial. L’appétit des investisseurs, qui évolue lentement, permettra néanmoins à certains marchés immobiliers de garder leur rôle de couverture partielle contre l’inflation, en particulier les segments commercial et logistique en Europe.
La mise en garde contre le FOMO, ou la «peur de rater quelque chose», a été lancée le 29 mars par la Réserve fédérale de Dallas. «Les prix réels des logements peuvent s’écarter des fondamentaux du marché lorsque la croyance dans une poursuite des fortes augmentations de prix actuelles est répandue», a-t-elle écrit. Depuis le début de la pandémie, les prix des logements américains ont augmenté de 35% en moyenne, selon les données du site immobilier Zillow, citées par la Fed de Dallas. Cette dernière a mesuré cinq trimestres consécutifs d'«exubérance» des prix des logements jusqu'à fin septembre 2021.
Aux États-Unis, certains changements évidents ont emmené les prix de l'immobilier à la hausse: l'augmentation de l'épargne des consommateurs suite aux confinements, le télétravail, le crédit bon marché, les pénuries de main-d'œuvre et de matériaux de construction. Des pressions à plus long terme telles qu'une offre immobilière limitée et des loyers élevés ont exacerbé la demande de logements.
L'immobilier est un secteur important pour la gestion de la politique monétaire et la compréhension de ses effets. Les services de logement, loyers y compris, forment plus d'un cinquième du calcul de l'inflation des prix à la consommation de la Fed. Cela fait partie de son mandat de stabilité financière. La pandémie a accéléré la tendance inflationniste. Si une hausse rapide des prix n’est pas en soi un signe de bulle, elle vient s’ajouter aux vents contraires auxquels la Fed fait face tout en devant relever le défi de ralentir l’activité économique d’ici 2024. La hausse des hypothèques, conjuguée à l'augmentation du coût de la vie, va progressivement exclure les acquéreurs du marché et peser sur les revenus et l'épargne des ménages. La hausse de l'inflation renchérira les nouveaux projets et réduira ainsi leur rentabilité.
Le marché américain n'est pas un cas isolé. Aussi bien en France, qu’en Allemagne, au Royaume-Uni ou en Suisse, les marchés du logement présentent des caractéristiques similaires, selon la Fed de Dallas. Chacun de ces marchés enregistre une offre de logements insuffisante, générée en partie par une pénurie de main-d'œuvre et de matériaux de construction, avec une demande post-pandémie historiquement élevée et des taux de vacance à la baisse. Des conditions qui ne sont pas celles d'une bulle immobilière classique.
Le mandat des banques centrales de ralentir l’économie en freinant l'inflation commence plus tard dans le cycle économique que par le passé. Néanmoins, la croissance, les marchés de l'emploi et l'épargne des ménages aux États-Unis et en Europe restent au-dessus des tendances moyennes, après deux années de soutien fiscal et monétaire exceptionnel. Tandis que la Fed a entamé son cycle de resserrement monétaire en mars, nous pensons que la Banque centrale européenne relèvera son taux directeur de 25 points de base fin 2022, une fois que ses programmes d'achat d'actifs prendront fin au troisième trimestre. Nous voyons ensuite la BCE augmenter son taux de référence de 25 points de base chaque trimestre en 2023.
La dernière Revue de stabilité financière, publiée en novembre par la BCE, a averti que les «risques de correction des prix à moyen terme ont considérablement augmenté.» Le manque de main-d'œuvre, l'augmentation de l'épargne des ménages et de la demande des consommateurs, conjugués aux pénuries de la chaîne d'approvisionnement, sont autant de facteurs qui contribuent à la hausse des prix, a écrit la BCE. En France, en Allemagne et aux Pays-Bas, le marché résidentiel est particulièrement surévalué, selon ce rapport.
La capacité des propriétaires à répercuter la hausse des coûts sur les locataires est déterminante pour que l'inflation entraîne les loyers à la hausse et soutienne les investissements immobiliers. Du fait que certains secteurs économiques et entreprises continuent à encourager le télétravail, les taux d'occupation des bureaux n'ont pas retrouvé leurs niveaux d’avant la pandémie.
Quelque 70% des loyers européens sont indexés à l’inflation. Sur le marché des bureaux, les entreprises peuvent généralement supporter une hausse de loyer. Dans le secteur du commerce de détail, c'est plus difficile. Après la pandémie, les locataires actifs dans le commerce de détail se retrouvent dans une position économique encore plus difficile, compte tenu du fait qu’ils luttaient déjà contre la concurrence structurelle du commerce électronique.
En 2021, aux États-Unis, l'inflation s'est traduite par une augmentation de 17% des loyers de l'immobilier logistique, selon une mesure. En Europe, où l'inflation reste plus faible, les loyers de ce secteur ont augmenté de plus de 7%. Le Royaume-Uni a enregistré une hausse de 15%. Comme toujours en matière d’immobilier, la situation géographique est un facteur clé. Nous nous attendons à ce que la croissance du marché américain des bureaux locatifs soit limitée, voire négative dans les sites les plus coûteux tels que New York. En revanche, la demande de locaux commerciaux loués par des entreprises actives dans les sciences de la vie ou la technologie reste élevée et devrait s’avérer plus résiliente.
En Europe, les loyers du commerce de détail augmentent depuis juin 2021, tandis que la croissance des loyers des centres commerciaux ne cesse de fléchir. Cela donne à penser que les marchés de détail européens de premier ordre sont plus attrayants pour les investisseurs, leur permettant de conserver leur capacité à répercuter les coûts de l'inflation sur leurs locataires. Les locataires paient déjà des primes pour les biens répondants à des normes environnementales plus élevées. Par exemple, moins de 2% des espaces de bureaux européens de «catégorie A» sont vacants, contre 6% pour le marché en général.
En Suisse, quelque 90% du marché des bureaux a des baux liés à l'inflation et les bureaux les mieux notés selon les critères de durabilité environnementale restent les plus recherchés. Nous pensons que la Banque nationale suisse commencera à relever ses taux peu après la BCE, c’est-à-dire en décembre 2022 ou en mars 2023, puis qu'elle les augmentera tous les trimestres, pour porter le taux directeur à 0% en septembre ou en décembre 2023. L’écart entre le rendement généré par les dividendes des fonds immobiliers résidentiels par rapport aux obligations à 10 ans émises par la Confédération se réduit avec la hausse des taux, tandis que l'investissement ralentit sur le marché direct. Nous analysons le marché immobilier suisse de manière plus détaillée dans notre dernier bulletin de stratégie d’investissement.
Globalement, les investisseurs désireux de diversifier leur portefeuille dans un contexte de taux bas se sont tournés vers l'immobilier afin d’obtenir du rendement supplémentaire. Historiquement, les investissements immobiliers performent bien dans les cycles inflationnistes. En effet, l'immobilier conserve son rôle d’amortisseur face à la hausse des prix, tandis que le faible niveau de l'offre de biens commerciaux face à une forte demande signifie que nous ne prévoyons aucune baisse des valorisations durant l'année à venir.
L'immobilier reste un élément important de notre allocation d'actifs et nous surpondérons l’immobilier européen dans nos portefeuilles. Nous privilégions l'Europe, en particulier les secteurs de la logistique commerciale et du résidentiel, car une part importante de ces segments est indexée à l'inflation. Si, depuis le début de l'année, les actions de l'immobilier européen coté dans les secteurs de la logistique, des bureaux et du résidentiel ont reculé, le secteur du commerce de détail a enregistré un gain supérieur à 5%.
Les prix de l'immobilier résidentiel ont augmenté depuis la pandémie en raison d'une offre limitée, et les sociétés immobilières cotées se négocient avec une décote plus importante que par le passé par rapport à leur valeur nette d'inventaire. Ce qui pourrait permettre un rattrapage. Au sein des différents segments immobiliers européens, les bureaux et les commerces se négocient actuellement avec des escomptes d'environ 25% par rapport à leur valeur nette d'inventaire, bien au-dessus de leur moyenne des quinze dernières années.