Le maintien d’une position neutre à l'égard de la Russie bénéficierait à l'économie chinoise. Des sanctions secondaires pourraient affecter les entreprises chinoises.
- La Chine fait face à des difficultés: confinements, crise immobilière, choc sur les prix des matières premières et exercice d'équilibrisme géopolitique. La stabilité économique et financière est un impératif politique cette année.
- Nous anticipons une croissance de 4,7% pour 2022, inférieure à l'objectif de 5,5% fixé par les autorités chinoises.
- Le maintien d’une position neutre à l'égard de la Russie bénéficierait à l'économie chinoise. Des sanctions secondaires pourraient affecter les entreprises chinoises.
- Nous conservons notre surpondération de la dette chinoise libellée en RMB, restons prudents sur le crédit chinois et neutres sur les actions. Nous maintenons notre prévision d’un taux de change USD/RMB de 6,35 au premier semestre.
Dans un contexte de conflit géopolitique, de turbulences sur les marchés, de nouveaux foyers de Covid et de crise immobilière intérieure, la Chine doit prendre des décisions difficiles alors que l’année qui s’annonce est cruciale sur le plan politique. Si les risques sont élevés pour certains actifs chinois à court et moyen terme, nous pensons que d'autres continuent à offrir de la valeur, des vertus de diversification de portefeuille et des rendements décents.
La stabilité constitue un impératif politique pour la Chine. Lors du congrès quinquennal du Parti, prévu pour octobre/novembre 2022, le président Xi Jinping devrait briguer un troisième mandat, réécrivant ainsi les règles du Parti communiste comme seuls y sont parvenus Mao Zedong et Deng Xiaoping en cent ans d'histoire. Et c’est justement au cours de cette année, cruciale sur le plan de la politique intérieure, que la Chine doit équilibrer ses relations avec la Russie et l'Occident dans le sillage de la guerre en Ukraine, du choc provoqué par le conflit sur les prix des matières premières, de la vague Omicron et de la volatilité des marchés exacerbée par des données de crédit négatives et par leurs retombées sur l’immobilier.
Dans l’immédiat, la Chine fait face au variant Omicron. La gestion gouvernementale de la pandémie a jusqu’alors été symbole de fierté nationale. Mais sa stratégie de «tolérance zéro» est mise à rude épreuve. Shanghai, centre financier de la Chine, entame une période de confinement de neuf jours, tandis que les mesures sont levées à Shenzhen. L'impact économique semble encore gérable. Dans certaines usines, les salariés sont restés dans des bulles de travail, dormant sur place afin de poursuivre la production. Dans certains cas, la fabrication de biens de haute technologie peut être transférée ailleurs. Cependant, la performance économique en pâtira inévitablement et toute fermeture du port de Shenzhen – l'un des plus fréquentés au monde – porterait un coup au produit intérieur brut et aux chaînes d'approvisionnement mondiales.
Alors que la Chine vise une croissance de 5,5% pour 2022, le chiffre de 4,7% nous paraît plus vraisemblable, ouvrant la porte à une contraction probable au premier trimestre et à un impact considérable au premier semestre. Ces risques sont toutefois difficiles à modéliser et l'impact de la pandémie sur la croissance pourrait s’avérer encore plus étendu.
L'immobilier et le crédit constituent une deuxième source d'inquiétude dans une économie qui dépend fortement de ces deux secteurs. Les chiffres de février se sont révélés particulièrement médiocres: les nouveaux prêts à moyen et long terme accordés aux ménages – un indicateur des prêts hypothécaires – ont été négatifs pour la première fois. Le prix des logements neufs a baissé pour le sixième mois consécutif. La valeur des objets vendus en janvier et février a chuté de 22% en glissement annuel. Ces inquiétudes, associées aux problèmes réglementaires affectant les entreprises chinoises cotées aux Etats-Unis – dans le cadre d'un conflit avec la Securities and Exchange Commission (SEC) sur l'accès aux rapports d'audit – ont provoqué une chute brutale des marchés le 14 mars.
La question est de savoir si la réponse politique et réglementaire de la Chine suffira à soutenir l'économie et les actifs risqués. Le 16 mars, le vice-Premier ministre Liu He s'est engagé à «introduire activement des politiques qui bénéficient aux marchés» et «stimulent l'économie», mentionnant tout à la fois les secteurs de la technologie et de l'immobilier, et faisant ainsi repartir les actions à la hausse. La Chine semble désormais disposée à mettre certaines informations sur les audits à la disposition des autorités américaines, ce qui pourrait aider environ USD 2000 milliards d'actions cotées à l'étranger.
Nous nous attendons à un assouplissement monétaire et budgétaire agressif au cours du premier semestre, dont une réduction totale de 20 points de base du taux de prêt principal et une réduction de 50 points de base du taux de réserve obligatoire pour les banques. A l'avenir, la banque centrale pourrait devoir s'appuyer sur des instruments plus ciblés, tels que la facilité de prêt à moyen terme et les crédits accordés à des secteurs spécifiques. Les dépenses destinées à soutenir les secteurs affectés par la pandémie, comme les infrastructures, l'industrie manufacturière et la R&D, sont en hausse, avec des réductions d'impôts pour les petites et moyennes entreprises (PME), et un allègement de l'impôt sur le revenu pour les bonus et les stock-options (options sur titres). Toutefois, en ce qui concerne l'immobilier et le crédit, la situation est moins claire. Les restrictions au financement par emprunt imposées aux promoteurs en 2020 – les «trois lignes rouges» – restent en place, même si certaines restrictions ont été assouplies. Cela semble contraire aux ambitions macroéconomiques plus larges de Pékin. Nous pensons qu'il pourrait y avoir une marge de manœuvre, mais pour l'instant, il est trop tôt pour dire si les mesures prises par la Chine peuvent contrebalancer les risques, en particulier dans l'immobilier et le crédit.
Le rôle de la Chine dans le conflit ukrainien hante les esprits en Occident. L'invasion a été décidée par le président Poutine moins d'un mois après que ce dernier et le président Xi aient affiché leur «amitié sans limites». Pourtant, l'attaque de l'Ukraine semble avoir surpris Pékin. Depuis, M. Xi s'efforce d'emprunter la voie étroite entre ses inquiétudes concernant les préjudices causés aux civils et son soutien à un allié dans sa lutte contre l'hégémonie américaine: il appelle la Russie à la retenue, tout en blâmant l'expansion de l'OTAN. La situation pourrait facilement dégénérer. L'envoi d'un soutien économique ou militaire à la Russie mettrait la Chine du mauvais côté des sanctions occidentales. La catastrophe humanitaire et le choc énergétique pourraient se transformer en mesures de représailles et en une guerre d'usure économique mondiale.
Pour l'instant, cela nous semble improbable. Le maintien d'une position neutre à l'égard de la Russie serait bénéfique pour l'économie chinoise – atténuant le choc sur les prix des matières premières que subit la Chine et les importateurs d'énergie. A l'inverse, un positionnement clairement pro-russe nuirait à la croissance, aux flux d'investissement et à la part de la Chine dans le commerce mondial. En dehors du pétrole, du gaz et de certains négoces d'armes, l'importance de la Russie pour la Chine est faible – 2% à peine du total des exportations – alors que ses liens économiques avec les Etats-Unis (17,5% des exportations), l'Europe (plus de 7%) et ses voisins pro-occidentaux comme le Japon (5,5%), la Corée du Sud (4%), et Singapour (2%), sont importants.
La stabilité économique mondiale est un enjeu de taille pour la Chine, qui a prospéré dans un ordre international fondé sur des règles; les exportations vers l'Occident ont contribué à sortir des millions de personnes de la pauvreté. La Chine possède également des intérêts économiques dans les entreprises et les infrastructures ukrainiennes. Une Russie affaiblie pourrait même aider la Chine à plus long terme, via des approvisionnements énergétiques bon marché et un meilleur accès aux ports russes ou aux ressources naturelles de l'Arctique. A moyen terme, il pourrait également être dans l'intérêt de la Chine de poursuivre une médiation avec la Russie, tandis que l'opposition observée en Ukraine pourrait la dissuader de tout recours précipité à la force à Taïwan.
Néanmoins, la menace de sanctions «secondaires» à l'encontre des entreprises chinoises qui traitent avec des entités russes sous sanctions demeure, même si la Chine et l'Inde se situent hors du régime de contrôle des exportations, qui apparaît comme un moyen de pression sur le président Poutine. Les sanctions secondaires présentent des risques particuliers pour les banques chinoises, les entreprises de transport, les sociétés traitant avec les fournisseurs d'énergie russes et les entreprises technologiques fournissant des composants à la Russie. En fin de compte, nous pensons que la plupart des grandes entreprises chinoises se conformeront aux sanctions occidentales, afin de conserver l'accès aux marchés mondiaux des capitaux et d'éviter des perturbations au niveau des ventes. Mais le commerce avec la Russie pourrait se poursuivre par l'intermédiaire de plus petites entreprises chinoises et indiennes, et via des transactions réglées en renminbi.
Notre surpondération de la dette gouvernementale chinoise en renminbi (RMB) s'est avérée une solide source de performance. Les obligations chinoises ont été relativement épargnées par la réévaluation des obligations gouvernementales américaines et européennes. Bien que l’écart de rendement se soit resserré en conséquence et que la marge pour une future appréciation de la devise chinoise ait été réduite, nous maintenons cette position dans nos portefeuilles. Le prix des obligations devrait augmenter à mesure que la Chine réduit ses taux, tandis que le différentiel d'intérêt réel avec les bons du Trésor américain reste positif compte tenu de l'inflation élevée aux Etats-Unis. Notons que la dette gouvernementale chinoise continue à jouer son rôle en matière de diversification de portefeuille, grâce à sa faible corrélation avec d'autres actifs. La croissance du crédit ayant été décevante récemment, nous restons prudents sur le crédit chinois. Les segments de qualité (investment grade) et à haut rendement semblent attrayants du point de vue de la valorisation, mais l’on ne sait pas encore ce qui pourra endiguer les récentes sorties de capitaux et la dynamique négative des prix.
Nous maintenons une posture neutre sur les actions chinoises. Cette classe d'actifs semble bon marché en comparaison historique. Les entreprises chinoises cotées aux Etats-Unis se négocient autour de quinze fois les bénéfices, contre 30 à 40 fois durant une grande partie des deux dernières années. A dix fois les bénéfices prévisionnels, l'indice MSCI China se négocie à deux fois son taux d’escompte historique relativement au MSCI World. Mais les risques paraissent élevés. Les investisseurs particuliers chinois pourraient hésiter à acheter des actions alors que leur principale réserve de valeur – l'immobilier – est en mauvaise posture. En 2015, les efforts déployés par les autorités pour soutenir les actions ont entraîné une forte hausse du marché, suivie d'une chute, après le renforcement des règles d'endettement. Les investisseurs craignent que ce scénario ne se reproduise après le Congrès du Parti. L'économie nécessite un soutien politique et réglementaire continu, mais le durcissement de la réglementation dans le secteur technologique en 2021 a été sévère. De nombreuses sociétés chinoises cotées aux Etats-Unis pourraient désormais privilégier la sécurité de la Bourse de Hong Kong. Le rôle géopolitique de la Chine est une autre grande inconnue, qui pèse sur l'attrait des actions locales auprès des investisseurs étrangers.
Deux forces opposées agissent sur la devise chinoise en 2022: l'assouplissement de la politique de la Banque populaire de Chine qui en réduit l'attrait pour les investisseurs, et les solides balances extérieures qui le stimulent. Nous supposons que cette dernière force dominera, aidée par les restrictions Covid en cours qui décourageront le tourisme sortant. Par conséquent, nous maintenons notre hypothèse d'un taux de change USD/RMB à 6,35 durant le premier semestre. Cela dit, nous surveillerons les risques liés à toute fermeture de ports qui pourrait mettre en péril l’extraordinaire balance commerciale des biens, source essentielle de soutien de la monnaie chinoise durant ces dix-huit derniers mois.
Au-delà des perspectives d'investissement immédiates, l'économie chinoise est confrontée à plusieurs défis à long terme. Le conflit en Ukraine accélère les relocalisations et la démondialisation qui ont commencé avec la grande crise financière, le Brexit et les tarifs douaniers de Donald Trump, et se sont accrues durant la pandémie. Tout cela pèse sur la croissance mondiale et chinoise. Pendant ce temps, le passage de la Chine de centre de production à une économie à revenus moyens axée sur la consommation reste un défi, car la population vieillit. Ces dernières années, les dirigeants chinois ont fait preuve d'une grande maîtrise en matière d’économie; cette année politique cruciale ne sera que le début de nouvelles épreuves.