High yield en euros: les investisseurs moins protégés

Pierre Beniguel, TwentyFour Asset Management

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Les émissions sur le marché primaire du haut rendement européen sont variées et parfois opportunistes. 

© Keystone

Douglas, un détaillant allemand actuellement en difficulté, cherche à refinancer sa dette au moyen d’une émission dont le prix sera fixé vendredi. Elle fera suite à trois autres émissions: une obligation notée BB- de 300 millions d’euros du constructeur immobilier espagnol Via Celere, une autre également notée BB- du fabricant de produits laminés en aluminium Novelis pour un montant de 500 millions d'euros, ainsi qu’une obligation notée B- en livre sterling et euro de l’entreprise Advanz Pharma (ex-Concordia).  

Mais l’émission qui a le plus attiré notre attention est celle du groupe français de services immobiliers Foncia dont le prix a été fixé vendredi dernier – 400 millions d'euros d’obligations garanties, 250 millions d'euros d'obligations non garanties et un prêt à terme B de 1,275 milliard d'euros – car certains de ses aspects méritent d’être examinés de plus près.

Une transaction aux aspects troublants

Foncia est un prestataire de services dans le domaine de la location, de la gestion et de la vente d'immobilier résidentiel. Depuis son acquisition par Partners Group en 2016, Foncia a suivi une évolution positive; l’entreprise a généré une croissance régulière, généré des liquidités et réduit sa dette tout en profitant de sa taille et de sa marque forte pour procéder à l’acquisition de concurrents plus petits. L'émission de la semaine dernière a permis de dégager un dividende de 475 mio d'euros pour Partners Group et de refinancer la dette en cours. Alors que les investisseurs se méfient généralement des opérations de recapitalisation des dividendes, la croissance des activités de Foncia plaide à notre avis en faveur d’une telle transaction.  

On ne peut parler de «trappe» comme dans le cas de J.Crew,
mais cette clause pourrait à notre avis avoir un impact similaire.

L’aspect troublant de cette transaction réside toutefois dans l’allègement agressif des clauses protectrices («covenants»), avec des documents initiaux qui laissent une grande marge de manœuvre à l’émetteur au détriment des investisseurs. A titre d’exemple, aucun plafond ni échéance n’a été défini en ce qui concerne les synergies et les économies de coûts attendues des acquisitions lors du calcul du ratio d’endettement à respecter. La clause de portabilité est également généreuse avec un ratio de levier financier net consolidé de 6,4x. Il y a également toute la marge voulue pour lever de la dette supplémentaire, ce qui permet à Foncia d’ajouter un levier réel au levier pro forma de 6,4x pour cette opération. Mais le plus troublant est l’inclusion de ce que nombre d’investisseurs appellent aujourd’hui les «clauses J.Crew».

La fuite de valeur est possible

En 2017, l’entreprise américaine J.Crew a transféré sa propriété intellectuelle à une filiale non restreinte, privant ainsi les créanciers de garantie par le biais d’un mécanisme en deux étapes dit «de la trappe». Ce transfert de valeur a permis à J.Crew d’émettre plus de dette et de refinancer une partie de sa dette subordonnée, ce qui a provoqué un tollé à l’époque. Depuis, les investisseurs sont très vigilants en ce qui concerne l’inclusion de telles clauses. La documentation de Foncia inclut une clause autorisant des investissements dans des filiales non restreintes, ce qui pourrait effectivement donner lieu à une fuite de valeur. On ne peut parler de «trappe» comme dans le cas de J.Crew, mais cette clause pourrait à notre avis avoir un impact similaire, et son inclusion a de quoi surprendre étant donné la structure peu capitalistique de Foncia et sa capacité à verser de nouveaux dividendes aux actionnaires.  
Nous pensions que Foncia était l’une des émissions obligataires les plus prometteuses des deux dernières semaines sur le marché du haut rendement européen, mais c’est aussi celle qui a les clauses les plus agressives. Compte tenu de sa trajectoire positive, nous comprenons mal pourquoi Foncia a poussé les modalités de son obligation à ce niveau de flexibilité. Quoi qu’il en soit, cette émission a encore dégradé le niveau de protection des investisseurs dans le domaine du haut rendement européen.

Protestations probables des investisseurs dans le prêt à terme

Les documents du prêt à terme B de Foncia ont finalement été modifiés avec l'introduction d'un plafond pour les ajustements de l’EBITDA, ce qui laisse entendre que l’émetteur a déclenché certaines protestations parmi les investisseurs. En revanche, les documents de l’obligation n’ont pas été modifiés. Avec un prix fixé à 3,375% (à partir d’une fourchette initiale de l’ordre de 3,5%) pour les obligations garanties et à 5% pour les obligations non garanties CCC+ (bien inférieur à la fourchette initiale de 5,25-5,5%), il semble que la demande ait été suffisante pour que l’émetteur résiste aux protestations des investisseurs obligataires.  

Dans la mesure où le secteur du haut rendement européen semble offrir des conditions favorables aux émissions opportunistes, les investisseurs devront garder un œil vigilant sur ce type de clause dans les mois à venir. 

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