Une courbe en ciseaux
A la suite de la deuxième victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle américaine, le dollar s’est apprécié contre toutes les grandes devises, au bénéfice d’une amélioration des perspectives économiques aux Etats-Unis et de la réduction des anticipations de baisse de taux de la Réserve fédérale américaine (Fed).
Le franc suisse n’a pas fait exception mais sa dépréciation contre le billet vert est moindre que celles des devises des autres principaux partenaires commerciaux de la Suisse (euro notamment). Ainsi, le fort mouvement d’appréciation du franc suisse contre l’euro entamé au printemps 2024 ne s’est pas arrêté. Dans les mois à venir, ces mouvements en ciseau pourraient se poursuivre : appréciation contre l’euro mais légère dépréciation contre le dollar.
Les incertitudes politiques en Europe (France, Allemagne, etc.) et les risques géopolitiques (Moyen-Orient, Russie ou Chine) pourraient ainsi avoir un impact positif sur le franc.
La devise helvète devrait continuer de bénéficier de deux facteurs de soutien importants. Tout d’abord, l'économie suisse bénéficie d'un excédent courant structurellement élevé, grâce à sa balance commerciale de biens (négoce, or non monétaire mais aussi chimie et horlogerie principalement). Les services (tourisme) et les revenus du travail (rémunération des salariés à l'étranger) ont quant à eux pesé sur le compte courant. Au deuxième trimestre 2024, l'excédent de la balance courante s'élevait à un peu plus de 7% du PIB, contre un déficit d’environ 3% aux Etats-Unis et un surplus de 3% en zone euro.
Ensuite, la monnaie helvète pourrait continuer de bénéficier de son statut de valeur refuge. Par exemple, la devise s'est appréciée de plus de 20% par rapport à la livre sterling autour et après le referendum sur le Brexit; elle a augmenté de plus de 10% par rapport au dollar au cours des premiers mois de Covid et dans une proportion similaire par rapport à l'euro au moment de l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Les incertitudes politiques en Europe (France, Allemagne, etc.) et les risques géopolitiques (Moyen-Orient, Russie ou Chine) pourraient ainsi avoir un impact positif sur le franc suisse.
Un écart parti pour durer
Dans ce contexte et au vu de la fragilité de l’économie de la zone euro, le franc suisse devrait continuer de s’apprécier contre l’euro et la livre sterling. Néanmoins, la Banque nationale suisse (BNS) pourrait limiter l’ampleur de ce mouvement. Compte tenu du faible niveau d’inflation en Suisse (inférieur à 1% en glissement annuel depuis septembre), elle pourrait en effet continuer de réduire ses taux directeurs et d'intervenir sur le marché des changes.
A l’inverse, le franc suisse pourrait modérément s’affaiblir contre le dollar, a l’instar des autres grandes devises. En effet, la robustesse de la croissance américaine et la nature inflationniste du programme du parti républicain aux Etats-Unis (hausse des droits de douane, restriction des flux migratoires, baisses d’impôts) pourraient continuer de peser sur les anticipations de baisses de taux de la Fed, jouant en faveur d’un dollar fort, y compris contre le franc suisse.
Ainsi, situation paradoxale, le franc suisse devrait modérément s’apprécier contre l’euro – malgré la politique interventionniste de la BNS – mais se déprécier contre le dollar, en dépit du déficit commercial américain.