Finance décentralisée: le miroir aux alouettes?

Manuel Valente, Coinhouse

2 minutes de lecture

Chronique blockchain. La DeFi fait partie des marchés sur lequel l’innovation est actuellement la plus intéressante, tant sur les aspects financiers que sur la technologie.

Il est difficile de passer à côté des promesses des protocoles de finance décentralisée en 2021. Et de fait, beaucoup de ces protocoles présentent beaucoup d’intérêt, d’un point de vue technique, et on a pu observer une forte augmentation des fonds sous gestion de cet écosystème, passant de 3 milliards de dollars en août 2020 à 180 aujourd’hui. Pourtant, il faut tout de même s’interroger: d’où proviennent les rendements proposés? Sont-ils soutenables sur le long terme? Quelles sont les faces cachées de la DeFi?

L’argent ne tombe pas du ciel

Le point le plus essentiel à garder à l’esprit est une évidence absolue: si un service rémunère quelqu’un, c’est que quelqu’un d’autre doit le financer. Le meilleur exemple est une plateforme comme Uniswap: des personnes échangent des actifs contre d’autres à longueur de journée, et paient des commissions à chaque transaction. Ces commissions servent à rémunérer ceux qui ont apporté de la liquidité à la plateforme.

Plus les commissions sont élevées, moins les utilisateurs voudront rester sur la plateforme.

Il y a alors une équation assez difficile à équilibrer. Pour attirer de la liquidité sur la plateforme, il faut offrir des rémunérations suffisamment élevées sous la forme de commissions sur les transactions. Mais plus les commissions sont élevées, moins les utilisateurs voudront rester sur la plateforme, surtout s’ils peuvent réaliser leurs transactions pour moins cher ailleurs.

Il y a donc une forte compétition sur le marché entre différents acteurs, surtout quand on considère l’existence de services d'agrégation qui sélectionnent automatiquement les plateformes offrant les meilleurs taux.

Attirer les fournisseurs de liquidité à tout prix

Certains services ont donc eu la brillante idée de rémunérer les fournisseurs de liquidité et autres fournisseurs de collatéral avec des jetons créés pour l’occasion. On citera par exemple Sushiswap ou Curve. Ces jetons permettent de multiplier la rémunération des investisseurs, et sont d’autant plus intéressants si le cours de l’actif augmente : la rémunération augmente proportionnellement, et cela ne coûte rien à la plateforme puisqu’elle génère elle-même les jetons en question.

C’est là que le bât blesse. Une rémunération avec des jetons créés sans collatéral s’apparente à de la création monétaire, et entraîne, sur le long terme, un risque de dévalorisation des avoirs générés par le seul fait de l’inflation.

Même avec un montant total limité, le modèle économique des plateformes DeFi qui offrent des jetons qu’elles génèrent elles-mêmes est un problème pour l’ensemble du marché. En effet, elles attirent davantage de liquidité et peuvent étouffer la concurrence de ceux qui ne se prêtent pas à ce genre d’exercice. 

Les jetons de gouvernance

Le dernier point à considérer est la notion de gouvernance. Pour la plupart, les plateformes de finance décentralisée fonctionnent sur des modèles proches des DAO (decentralized autonomous organization), à savoir que les détenteurs de jetons sont ceux qui décident de l’avenir du projet. C’est un modèle similaire à l’actionnariat, à la différence près que les votes et décisions du «conseil d’administration» peuvent avoir lieu à n’importe quel moment.

La plupart des plateformes distribuent leurs jetons de façon bien inégale.

Malheureusement, la plupart des plateformes distribuent leurs jetons de façon bien inégale: investisseurs de la première heure, pourvoyeurs de capital risque et gestionnaires de la plateforme se taillent pour la plupart la part du lion des jetons disponibles, et se constituent ainsi une réserve importante, voire une majorité absolue qui leur permet de contrôler étroitement la plateforme. La notion de décentralisation est alors toute relative, même si on peut imaginer que sur le long terme, ces investisseurs de la première heure pourront progressivement vendre leurs jetons pour arriver à un état de fonctionnement véritablement décentralisé.

Une technologie encore jeune

On passera brièvement sur les problématiques autour du code informatique avec des millions de dollars perdus, volés, ou distribués à des personnes qui n’auraient pas dû les recevoir. Ce dernier point est encore une fois révélateur d’une industrie qui n’est pas encore à maturité, et dans laquelle les projets et les sites web font plus souvent référence à des animaux mignons et à de la nourriture qu’à des références de finance traditionnelle.

Un marché peu mature, des systèmes de rémunération biaisés, et une concentration des jetons entre des mains relativement réduites démontrent les limites actuelles de la finance décentralisée. Caveat emptor, donc. Gardons malgré tout à l’esprit que ce marché fait partie de ceux sur lequel l’innovation est actuellement la plus intéressante, tant sur les aspects financiers que sur la technologie, et que la maturation aidant, la majorité de ces problèmes devraient disparaître.

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