Des investisseurs suffisamment rémunérés?

Peter de Coensel, DPAM

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Au vu de la qualité actuelle des actifs bancaires, on se demande si la prime de risque crédit est décente.

Déceler les divers facteurs de risque nichés au tréfonds des bilans des banques représente un défi quasi insurmontable. Celui qui investit dans le crédit bancaire se trouve en effet confronté au problème multidimensionnel que représentent d’une part la quantité impressionnante des actifs à prendre en en compte et de l’autre la complexité des financements et du passif dans son ensemble. Si l’on ajoute à cela les exigences et seuils minimaux fixés par le régulateur pour ce qui concerne la liquidité, le financement, les fonds propres, l’endettement ou encore la pondération des risques, alors le nombre de facteurs d’incertitude s’accroît encore. Au vu de la multiplicité des inconnues, l’investisseur serait en droit d’attendre une prime de risque décente.  

Pourtant, la panique qui s’est emparée des marchés du crédit aux premier et deuxième trimestres 2020 n’a été que de courte durée. Les gouvernements et les régulateurs bancaires se sont mobilisés et ont autorisé toute une panoplie de garanties pour la dette, des moratoires sur les prêts hypothécaires des ménages et les lignes de crédit des petites et moyennes entreprises, ainsi que des assouplissements de la réglementation bancaire existante. En contrepartie, les banques ont dû cesser de distribuer des dividendes. Dans un tel contexte, l’évaluation des résultats des banques au premier trimestre des deux côtés de l'Atlantique représente un exercice intéressant.

Business as usual?

Bien que plusieurs des programmes mis en place soient encore en vigueur aujourd'hui, la prime de risque de crédit des banques s'est complètement normalisée et elle a retrouvé son niveau d'avant la pandémie. Examinons en particulier la prime de risque du crédit bancaire européen. Si l’on se déplace d’un extrême à l’autre des spreads, ceux des obligations sécurisées sont de 5 points de base (pb), ils montent à 68 pb pour les obligations privilégiées de 1er rang en euros, à 98 pb pour les obligations de recapitalisation de 1er rang en euros, à 136 pb pour les obligations Tier 2 en euros et 364 pb pour les obligations AT1 en euros. A titre d’illustration, rappelons qu’en mars 2020, au plus fort de la crise, les spreads des obligations de recapitalisation de 1er rang ont culminé à environ 325 pb et celles des emprunts Tier 2 à 425 pb. En effet, un choc de marché multiplie les spreads de ces deux types de titres par un facteur 3 ou 4, en fonction de leur maturité résiduelle et de la notation de la banque émettrice.     

Toute détérioration des actifs bancaires, qu’elle soit brutale ou progressive, devrait se refléter dans la prime de risque qui concerne l'ensemble des fonds propres.

En ce qui concerne les emprunts fortement subordonnés AT1, leur rendement a bondi et se situait dans une fourchette allant de 6 à 8%. En effet, compte tenu des exigences liées aux fonds propres du Tier 1, les craintes d’une suspension des versements des coupons, d’une dépréciation temporaire ou permanente de la valeur de la dette ou d’une conversion en actions se sont accrues. La chute des probabilités d’un remboursement par anticipation s’est traduite par un rapprochement des rendements au pire (YtW) et à l’échéance (YtM). Cependant, les probabilités de remboursements anticipés étant à nouveau très élevées, les rendements sont retombés et se situent entre 3,5 et 4%, ce qui correspond à des rendements à l’échéance de l’ordre de 5 à 6%. Du fait de la certitude de remboursement, l’écart entre l’ItW et l’ITM s’établit dorénavant juste au-dessous de 2%.

Les obligations de premier rang couvertes et les obligations privilégiées occupent une place confortable dans la structure du capital et elles bénéficient du soutien du facteur «fuite vers la qualité» dès que se manifeste le risque systémique. On pourrait estimer que le profil risque/rendement le moins intéressant va aux titres situés vers le milieu de la structure du capital tels que les obligations de recapitalisation de 1er rang et les créances subordonnées datées Tier2.  Le différentiel de rendement de ces deux types de titres étant de 40 pb, les investisseurs peuvent tabler sur des rendements situés entre 0,50% et 1,50% pour les échéances 7 à 10 ans.

De la mesure du risque

Tous les rendements et les spreads énumérés plus haut et qui vont du crédit bancaire couvert au crédit bancaire privilégié, en passant par les obligations de recapitalisation T2 et les titres fortement subordonnés AT1, doivent rémunérer l'investisseur pour les risques inhérents à l'actif du bilan des banques. En règle générale, une banque émettra un minimum de 2% de ses actifs pondérés par le risque (APR) sous forme de titres Tier 2. Le régulateur a également stipulé que les obligations AT1 devraient comporter une part minimale d’APR de 1,5%. Sur la base des montants de fonds propres Tier 1 qui, pour les banques européennes, se situent entre 12 et 18%, on arrive à un montant en capital total situé entre 19 et 24%. Si l’on y ajoute les obligations de recapitalisation de 1er rang, les grandes banques arrivent à une proportion d’actifs destinés à absorber les pertes de l’ordre de 25 à 30%.

Nous n’irons pas plus loin dans la répartition entre ce qui est légalement contraignant (Tier1) et que le régulateur peut exiger sur la base de la conduite de son processus annuel de surveillance et d'évaluation (SREP), connu sous le nom d'exigences du deuxième pilier d’une part, et les exigences de coussin combinées qui font partie des besoins globaux en capitaux de base d’autre part. Mais, quoiqu’il en soit, toute détérioration des actifs bancaires (prêts hypothécaires aux ménages, crédits aux PME et aux grandes entreprises, investissements en obligations d'État et exposition à des produits structurés ou à des produits dérivés), qu’elle soit brutale ou progressive, devrait se refléter dans la prime de risque qui concerne l'ensemble des fonds propres.

Les spreads de crédit actuels sur un crédit bancaire censé servir à absorber les pertes paraissent plutôt tenus.
Arrêt cardiaque sans conséquences

Par le passé, les banques ont déjà été confrontées à un certain nombre de chocs. Cela a été le cas en 2008-2009, puis durant la crise de la dette européenne en 2011-2012 et enfin au moment du déclenchement de la pandémie en 2020. Si, lors de la crise financière de 2008, le secteur bancaire a été renfloué par les Etats (ce qui a eu un certain coût), il en a été tout autrement lors des deux autres chocs. Durant la crise de la dette de l’Union européenne, c’est la qualité des emprunts d’État inscrits dans les bilans des banques qui s’est avérée être le principal facteur différenciant au niveau des primes de risque du crédit bancaire. Grâce à la mise sur le marché d’actifs européens sûrs (initialement par le biais du plan de relance de 750 milliards d’euros intitulé "Next Generation UE" de 750 milliards), le risque de crédit lié aux emprunts d’État devrait continuer à se réduire.

Par ailleurs, le zèle des autorités de réglementation au cours des 12 dernières années a permis aux banques de réussir le test de résistance par excellence qu’a représenté l’année 2020. De fait, le risque de défaut a fortement diminué, car les exigences très élevées de fonds propres de base (core Tier 1) ont accru la solidité des banques d’importance systémique, que ce soit sur le plan international ou national. Tous ces efforts ont permis d’éviter que «l’arrêt cardiaque» subi par le marché l’année passée n’affecte les spreads de crédit des banques de manière permanente.

Le risque des prêts non performants

Certes, le régulateur a marqué des points, mais ne nous leurrons pas. Des différentiels de 90 à 150 pb pour les obligations de recapitalisation de 1er rang et des obligations T2 sont-ils suffisants? Qu’en est-il de la qualité des actifs des banques à l’heure actuelle? Lorsque les économies vont recommencer à fonctionner, les garanties octroyées par les Etats et les moratoires vont être moins nombreux puis disparaître.

Les prêts non performants (ceux pour lesquels le paiement des intérêts a cessé depuis au moins non 90 jours) sont classés en stage 3 (la qualité du crédit s’est significativement détériorée et une perte est observée). L’examen de ce type de prêts apporte un certain réconfort. Cependant, dès que l’on prend en considération le groupe des prêts en stage 2 (aucune perte de crédit n’a encore été observée, mais la qualité du crédit s’est significativement détériorée) le niveau de confiance diminue. Mais lorsqu’on additionne les prêts des stages 2 et 3 et qu’on met en regard des fonds propres des banques, la solidité de ces dernières perd de son lustre. En outre, les banques les plus fragiles ont parfois tendance à ignorer le stage 2 et à vanter la qualité du stage 1 (actif peu risqué ou dont la qualité de crédit ne s’est pas significativement détériorée) ainsi que leur capacité à contrôler le risque des crédits du stage 3.

Il ressort de tout cela que les spreads de crédit actuels sur un crédit bancaire censé servir à absorber les pertes paraissent plutôt tenus, car les déposants ou les investisseurs en obligations sécurisées ou en titres privilégiés de 1er rang ne participeront presque jamais à la résolution de défaillance bancaire ou de mise sous séquestre en cas de défaut de la banque. Le montant des passifs situés au-dessus des catégories AT1 et T2 est impressionnant. Par conséquent, une seule petite erreur de calcul sur la qualité des actifs d’une banque peut amener à douter du versement des coupons pour la dette AT1 ou pire à s’interroger sur le sort de la dette T2 (dont les coupons ne peuvent être suspendus).

Comme l’ont montré les tests de résistance, les spreads de crédit des banques sont revenus à leur niveau d’avant la pandémie. Cependant, la bonne adéquation de leurs fonds propres et leurs excellents résultats du premier trimestre se sont transformés en une course aux meilleurs coûts de financement. Or les banques bénéficient déjà de conditions très accommodantes puisque le taux consenti par la BCE pour les prêts à court terme se situe dans l’ensemble à -1,00% et que les taux offerts par le marché sont proches de leurs plus bas historiques. On peut néanmoins se demander si l’investisseur est bien protégé : les instruments de recapitalisation des emprunts bancaires offrent-ils une rémunération suffisante compte tenu de la qualité des actifs des banques qui vont des prêts hypothécaires aux crédits à la consommation en passant par le financement des PME et des grandes entreprises, sans oublier leurs portefeuilles souvent négligés de produits dérivés? 

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