Tel l’avion en approche de la piste d’atterrissage, les récentes données en provenance des Etats-Unis laissent penser que l’inflation a amorcé sa descente. Un réconfort pour le commandant de bord Powell.
Lors d’un récent vol vers Madrid pour rendre visite à nos équipes, les mots du commandant de bord – «Nous amorçons notre descente» – ont évoqué pour moi la chute de l’inflation américaine, passée de 9% en glissement annuel (GA) à 5% en seulement neuf mois. Nul doute que les chiffres récents offrent un certain réconfort au commandant de bord Jerome Powell: pour la première fois depuis janvier 2021, l’énergie a contribué négativement à l’inflation globale. Les pessimistes ont tendance à se focaliser sur la composante persistante de l’inflation – les services –, mais un examen approfondi de la sous-composante «logement» permet également de déceler des signes d’essoufflement. En réalité, le commandant tente de faire atterrir plusieurs «avions» à la fois: l’inflation, l’économie et la stabilité financière. Il est peu probable que l’inflation revienne à son niveau cible de 2% dans un avenir proche, mais la baisse actuelle est encourageante. Quant à l’économie, un ralentissement se profile au second semestre 2023, mais il ne s’agira probablement pas d’un atterrissage brutal. Le grand point d’interrogation reste le resserrement des conditions de prêt: les petites entreprises américaines, qui emploient 35% de la main-d’œuvre, obtiennent 70% de leurs prêts auprès des banques régionales. La Réserve fédérale (Fed) se prépare donc à clôturer son cycle de resserrement et la hausse des taux de mai devrait être la dernière pour cette année. Pour reprendre les propos d’Austan Goolsbee (Fed de Chicago), ce contexte exige «prudence et patience».
Sur les marchés financiers, les investisseurs anticipent toujours une baisse des taux de 50 points de base (pb) cette année, mais nous privilégions l’hypothèse d’une pause. La volatilité des taux d’intérêt, qui a dépassé le niveau observé durant la Grande crise financière de 2008, menace aussi bien la construction de portefeuille que les bilans des banques. C’est pourquoi nous privilégions, au sein de nos portefeuilles obligataires, les actifs à faible duration et le crédit de haute qualité, en vue d’engranger des rendements attrayants tout en éliminant le risque de duration. La liquidité reste importante : les fonds monétaires aux Etats-Unis abritent 5200 milliards de dollars, soit une augmentation de 500 milliards cette année, alors que les investisseurs en quête de rendement délaissent les dépôts bancaires.
Dans le même temps, les actions ont fait preuve d’une résistance remarquable. Imaginons que vous ayez eu la chance de vous isoler sur une île sans Wi-Fi pendant un mois, pour apprendre à votre retour que trois banques américaines avaient fait faillite et que Credit Suisse avait été absorbé par UBS en un week-end, sans que cela empêche la Banque centrale européenne (BCE) et la Fed de continuer à relever leurs taux directeurs… une fois digéré le choc suscité par ces nouvelles, vous auriez anticipé un effondrement des marchés actions. Mauvaise réponse. Comment expliquer que la chute des bénéfices, dans le sillage de ces événements, n’est pas aussi brutale que prévu ? Pour dire les choses simplement, les valeurs nominales comptent plus que les valeurs réelles dans le monde des actions. Grâce à une dynamique économique positive, les entreprises ont été en mesure d’accroître leur chiffre d’affaires. Cela a été compensé par une certaine contraction des marges, mais nous sommes très loin de l’effondrement des bénéfices attendu. C’est ce qui explique la performance des marchés boursiers. Mais d’autres facteurs ont joué. Le sentiment des investisseurs reste prudent et la détention d’actions – notamment au sein des portefeuilles institutionnels – reflète un positionnement défensif.
Les investisseurs sont globalement sous-exposés aux marchés actions (notamment sur les actions européennes): les investisseurs américains ont tenté de rattraper leur retard en achetant des fonds indiciels (ETF) européens cotés aux Etats-Unis chaque semaine sauf une depuis le début de l’année. La réouverture de la Chine a largement profité aux entreprises européennes, comme en témoignent les bons résultats des marques de luxe. Nous faisons toutefois un constat frustrant: les actions chinoises ne décollent pas malgré la vigueur de la réouverture. Mais nous restons convaincus qu’il est judicieux de se tourner vers l’Asie. Nous faisons le point ce mois-ci sur l’état de l’économie chinoise, pour laquelle nous avons relevé nos prévisions de croissance – tout en estimant que les risques demeurent orientés à la hausse. Evitant les actions chinoises, de nombreux investisseurs ont misé sur la réouverture du pays en achetant des actions européennes; cependant, la Chine est trop importante pour être ignorée, surtout pour les investisseurs américains. Si le facteur d’inclusion1 des actions A chinoises dans le MSCI Emerging Markets était révisé de 20% (son niveau actuel) à 100%, leur poids dans l’indice passerait de 5% à 22%. Les investisseurs internationaux sont voués à investir davantage en Chine et la dynamique du marché des actions A bénéficiera d’une participation institutionnelle accrue (aussi bien étrangère que domestique).