Une chose est claire: le marché haussier des actions que nous avions identifié à son début en octobre 2022 est terminé. Sous l’influence des changements politiques historiques dans les trois grands blocs, le processus de formation de sommet de marché et de retournement que nous avons envisagé depuis la fin de l’année dernière se confirme. À partir de maintenant, nous envisageons deux scénarios possibles: un ralentissement marqué aux États-Unis conduisant à une poursuite de la rotation des actions des États-Unis vers le reste du monde, y compris l’Europe, ou une récession aux États-Unis et un marché baissier généralisé. Lequel de ces scénarios se concrétisera dépendra de la capacité des consommateurs américains et des bilans du secteur privé à résister au programme de «désintoxication» radical de l’administration Trump.
Une réduction du déficit budgétaire américain de 7% à 3% du PIB, comme le suggère la «règle de 3» du secrétaire au Trésor, Scott Bessent, est une impulsion budgétaire négative majeure et récessive sur l’économie américaine, et l’administration Trump le sait. Elle sait également que les bilans du secteur privé américain, par opposition au secteur public, sont exceptionnellement sains. La dette des ménages américains exprimée en pourcentage de leur fortune nette est proche de son niveau le plus bas.
Graphique: la dette des ménages américains exprimée en pourcentage de leur fortune nette est proche de son plus bas historique
Pour mémoire, contrairement aux cycles précédents, l’expansion économique postpandémique a été portée par la croissance des revenus plutôt que par la création de crédit, ce qui a permis au secteur privé américain d’atteindre un niveau d’endettement historiquement bas. Nous pensons que le président Trump et son équipe misent sur le fait que la baisse des coûts d’emprunt, que ce soit par la baisse des taux hypothécaires ou par un assouplissement de la politique monétaire, déclencherait un cycle de crédit au sein du secteur privé, qui a une grande capacité d’emprunt. Si ce mécanisme d’atténuation se déroule comme prévu, le premier scénario pourrait se concrétiser et Trump serait bien placé pour les élections de mi-mandat de 2026, profitant de ce qui serait alors censé être une économie américaine plus forte, se remettant d’un ralentissement contrôlé en 2025.
Cependant, ce plan d’action comporte de nombreuses incertitudes. Tout d’abord, si l’essai de Miran postule que les ajustements monétaires compenseront partiellement les pressions inflationnistes au niveau national, il est très difficile de prévoir comment les marchés des changes réagiront à la guerre commerciale en cours. Dans un terrible tournure des événements, l’inflation américaine pourrait s’enflammer, empêchant la Réserve fédérale de s’accommoder du ralentissement orchestré. Deuxièmement, il est indéniable qu’une chute des prix des actifs aurait un impact considérable sur le bilan des ménages américains aux revenus les plus élevés, qui représentent une part disproportionnée de la consommation totale. En effet, les 10% des salariés américains les mieux rémunérés représentent aujourd’hui la moitié des dépenses de consommation.
Cela pourrait déclencher un effet de richesse négatif, où une baisse des prix des actifs et de la richesse des ménages entraînerait un ralentissement de la consommation, pouvant ainsi amorcer un cercle vicieux. De tels développements pourraient plonger l’économie américaine dans une récession, et il est très probable que les revenus des épargnants soient en mesure de maintenir des performances mondiales aux dépens de la performance des revenus nationaux aux États-Unis.
Cela dit, nous ne prévoyons pas de récession profonde aux États-Unis ni de répétition des baisses de -50% de l’indice S&P 500 en 2001 ou 2008: les bilans du secteur privé sont trop robustes pour cela. De plus, même si le président Trump est moins préoccupé par Wall Street aujourd’hui, la queue remue toujours le chien: un ralentissement important des marchés financiers, y compris une chute en cascade de l’indice S&P 500, pourrait exacerber le ralentissement économique, présentant potentiellement un risque systémique et forçant Trump à changer de discours et à soutenir les prix des actifs américains.
Sommes-nous donc dans une correction déclenchant une rotation hors des actifs américains, ou sommes-nous confrontés à la première étape d’un marché baissier des actions? La conclusion actuelle, qui n’est guère rassurante, est qu’il est trop tôt pour le dire. Aujourd’hui, le marché est survendu d’un point de vue technique et nous pourrions nous attendre à un rebond par rapport aux niveaux actuels, après quoi nous réévaluerions la situation. En attendant, nous maintenons une exposition neutre aux actions tout en réorientant les portefeuilles hors de l’exceptionnalisme américain vers une performance de marché plus étendue. En février, nous avons mis en place une allocation tactique de 15% aux actions chinoises, compensée par une couverture de l’exposition aux actions américaines du même montant, en maintenant inchangée l’allocation totale aux actions. Ensuite, nous avons partiellement diversifié le biais domestique des actions pondérées en fonction de la capitalisation boursière en une exposition équipondérée dans des portefeuilles libellés en dollars américains.
Cette semaine, nous avons décidé de nous diversifier davantage en dehors des États-Unis et de réduire notre surpondération du dollar américain en vendant partiellement notre exposition aux investissements thématiques axés sur les actions globales de type «croissance» (de 3% à 2% dans les portefeuilles équilibrés), très orientés vers les États-Unis, en réinvestissant le produit en actions suisses, qui ont surperformé depuis le début de l’année (augmentant ainsi notre allocation tactique existante au marché de 2% à 3% dans les portefeuilles équilibrés). Nous maintenons une exposition équilibrée à la duration – les bons du Trésor américain ont jusqu’à présent fourni une diversification, mais le marché haussier séculaire des obligations est terminé, et bien que les bons du Trésor américain conservent leurs propriétés de valeur refuge, ils constituent désormais une classe d’actifs tactique.
En janvier 2022, au début du précédent ralentissement cyclique des actions, nous avons publié un guide de survie en cas de marché baissier. Nous aimerions réitérer les principales recommandations que nous avions formulées à l’époque:
- Nous n’achetons plus les baisses jusqu’à nouvel ordre, et préférons vendre les rallyes: ces dernières semaines, nous avons mentionné les avantages de la monétisation des positions existantes par l’utilisation d’options.
- Les marchés baissiers sont toutefois difficiles à anticiper: la vente implique toujours une seconde décision de rachat à un prix inférieur, à un moment où l’actualité est morose.
- Le plus important est de ne pas convertir une perte temporaire en perte permanente, causée soit par de multiples transactions cherchant à baisser la moyenne du prix d’achat, soit par des ventes motivées par la panique.
- Nous ne vendons pas d’investissements sur lesquels nous sommes optimistes sur un horizon de trois ans ou plus. Nous ne réduisons pas activement le risque – le marché le fait pour nous.
- Les valorisations ne permettent pas de déterminer un plancher. Les flux, les vendeurs forcés et les facteurs techniques l’emportent sur les fondamentaux sur le court terme.
- Un portefeuille multi actifs nous protège naturellement s’il est bien construit et diversifié.
Enfin, aux prophètes de malheur qui prédisent la fin du succès américain: si les États-Unis ne sont plus seuls en lice, le dollar américain reste la monnaie de réserve mondiale et les marchés de capitaux américains la destination privilégiée de l’épargne mondiale. Les marchés de capitaux américains ne peuvent être ignorés dans le contexte d’un portefeuille mondial, même si la «cure de désintoxication» de l’administration Trump risque d’être douloureuse à court terme. Les transitions peuvent être douloureuses, mais elles créent des opportunités.