Comment réagir au COVID-19 et au krach pétrolier

Philippe G. Müller, UBS

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L'effondrement des cours du pétrole a aggravé une situation déjà complexe pour les investisseurs internationaux.

© Keystone

Lundi passé, les actifs risqués ont dévissé et les valeurs refuge ont flambé. L'effondrement des cours du pétrole a en effet aggravé une situation déjà complexe pour les investisseurs internationaux, qui sont aux prises avec la propagation du coronavirus.

Pendant ce lundi noir, les cours des contrats à terme sur le pétrole brut ont chuté de plus de 20% – il s'agit de la plus forte correction en une seule séance depuis celle survenue en janvier 1991 – après que l'Arabie Saoudite a baissé drastiquement ses prix officiels et laissé entrevoir une augmentation significative de sa production, suite à l'échec des pourparlers entre l'Opep (Organisation des pays exportateurs de pétrole) et la Russie sur un durcissement des quotas.

Les indices boursiers ont lourdement chuté en Asie (KOSPI: -4,0%; Hang Seng: -3,5% et CSI 300: -3,4%) et le repli était encore plus marqué en Europe. Le rendement des bons du Trésor américain à dix ans a chuté de 28 pb (point de base), à 0,43%, un plancher record.

La liste des pays dont les rendements obligataires sont négatifs s'est encore allongée: les rendements à cinq ans sont devenus négatifs pour la première fois au Royaume-Uni, qui rejoint ainsi la France, l'Allemagne, l'Espagne, le Portugal, la Suède, les Pays-Bas, la Suisse et le Japon. Alors que 65% de l'encours des obligations de la zone euro offre un rendement négatif, la nette augmentation des primes de risque ne laisse que la Grèce, l'Italie, le Portugal et l'Espagne en terrain positif pour l'échéance à dix ans.

Le gouvernement italien a restreint
les déplacements dans toute la péninsule.

Dans la foulée, la pression sur le dollar s'est accentuée: le billet vert s'est déprécié de 1,6% face à l'euro en l'espace d'une seule séance, ce qui n'était pas arrivé depuis janvier 2018. Le yen a bondi de 3,4% face au dollar, mais il faut dire qu'il avait cédé plus de 9% depuis le 20 février lorsque la peur du coronavirus s'est accentuée. Le franc suisse s'est apprécié de 2,5% face à l'euro depuis le 1er janvier. Le taux de change EURCHF est au plus bas depuis juillet 2015. L'or est désormais en hausse de 6% depuis la fin février et est à son plus haut niveau depuis 2013.

Voici quelques-uns des facteurs susceptibles de continuer à peser sur les marchés:

Une poursuite de la propagation du COVID-19

L'épidémie n'est pas encore endiguée en Europe et aux Etats-Unis, où le nombre de personnes infectées continue d'augmenter. Le Vieux-Continent recense désormais plus de 10'000 cas et l'Italie continue d’enregistrer un nombre de décès journalier similaire à celui observé en Chine au plus fort de l'épidémie en février. Le gouvernement italien a restreint les déplacements dans toute la péninsule.

Ces restrictions accentuent la probabilité d'un sévère ralentissement économique et l'annonce de restrictions similaires dans d'autres régions du monde qui ont un poids économique important serait sans doute mal prise par les participants au marché.

La dégringolade des cours du pétrole

En soi, la baisse des cours n'est pas une mauvaise chose pour l'économie mondiale. Néanmoins, l'ampleur de l'ajustement des cours sera difficile à absorber par les marchés. Dans la mesure où les entreprises du secteur de l'énergie représentent 14% de l'indice de référence des obligations à haut rendement américaines, le spectre d'une multiplication des défauts de paiement de ces émetteurs pourrait entraîner un dégagement plus général des investisseurs et compliquer l'accès au crédit pour les entreprises issues d'autres secteurs.

Le marché primaire est paralysé, ce qui crée des difficultés pour les entreprises qui ont besoin de lever des capitaux. Néanmoins, seulement 2,3% de l'encours des obligations à haut rendement américaines arrive à échéance l'an prochain. Lundi passé, sur le marché des contrats d'échange sur risque de défaut (CDS), l'indice iTraxx EUR crossover a augmenté de 120 pb, atteignant son plus haut niveau depuis la crise de la dette souveraine de la zone euro en 2012.

L'évolution de la situation dans quatre grands domaines pourrait
amener à envisager l'avenir avec plus d'optimisme.
La courbe des rendements

Le marché table sur un abaissement du taux des fonds fédéraux à zéro (soit une diminution de 100 pb) d'ici la fin de l'année et la courbe des taux s'aplatit, ce qui suggère que les investisseurs s'attendent à ce que la Fed renoue avec l'assouplissement quantitatif. Une courbe des taux plate et des taux courts nuls, voire négatifs, sont de nature à handicaper le secteur bancaire, alimentant ainsi la crainte d'un resserrement du crédit pour l'économie réelle. Compte tenu de la paralysie actuelle des marchés primaires du crédit, les entreprises sont obligées de recourir aux banques et à la banque centrale.

Ces facteurs, ainsi que le désendettement des investisseurs, devraient continuer d'alimenter la volatilité des marchés à court terme. Toutefois, malgré l'accumulation de mauvaises nouvelles, il y a aussi des signes encourageants tels que les efforts déployés pour endiguer le virus et la réaction des responsables politiques. L'évolution de la situation dans quatre grands domaines pourrait amener à envisager l'avenir avec plus d'optimisme.

  1. Des signes tangibles d'endiguement du virus
    Le nombre de nouveaux cas en Chine (abstraction faite de la province de Hubei et des cas importés) est tombé à zéro. En Corée du Sud, le nombre quotidien de nouveaux cas augmente moins vite. Du coup, le nombre de cas ne double désormais plus que tous les neuf jours, au lieu de tous les trois jours comme à la fin février.
    S'il s'avère que le virus peut être contenu dans un laps de temps relativement court avec des mesures spécifiques, les investisseurs et les entreprises pourraient reprendre espoir et se dire que l'épidémie ne sera pas nécessairement de longue durée. S'il apparaît que d'autres pays parviennent à endiguer le virus et à ralentir la progression du nombre de nouveaux cas, ce serait également un signe encourageant.
  2. Une meilleure visibilité quant à l'impact économique
    Dans l'immédiat, la principale préoccupation des consommateurs sera probablement d'éviter une exposition au virus et la baisse des dépenses qui en résultera dans le domaine des voyages et des activités de loisirs aura un coût économique à court terme.
    Mais si jamais la peur commence à s'estomper, les consommateurs pourraient commencer à réagir à la baisse significative des cours du pétrole (et donc des prix des carburants) et des taux de crédit hypothécaire (aux Etats-Unis, le taux moyen à trente ans est désormais de 3,29%, contre 4,41% il y a un an).
    Il convient également de noter qu'avant l'apparition des premiers cas de coronavirus aux Etats-Unis, l'économie américaine était en bonne santé, comme en témoignent les chiffres de l'emploi salarié non agricole publiés récemment.
  3. Une réaction concertée des pouvoirs publics
    Les dernières informations laissent plus que jamais entrevoir une relance budgétaire de plus grande envergure. Des mesures budgétaires ont été annoncées à Hong Kong tandis qu'en Italie, le président du Conseil Giuseppe Conte a promis une «thérapie de choc massive».
    Des mesures budgétaires sont également en cours de discussion dans d'autres pays comme l'Allemagne et les Etats-Unis. Les taux d'intérêt sont déjà proche de zéro, mais les banques centrales ont d'autres cordes à leur arc, comme l'assouplissement quantitatif. La crise pourrait également servir de prétexte à certains pays pour essayer une relance monétaire et budgétaire concertée.
  4. Des valorisations favorables
    La valorisation est rarement un catalyseur en elle-même, mais elle peut donner aux investisseurs nerveux une idée de la performance potentielle à long terme. La baisse des rendements obligataires concomitante à la chute des cours des actions a rendu ces dernières encore plus attrayantes d'un point de vue relatif.
    L'indice S&P 500 offre désormais un rendement réel (sur la base des bénéfices des douze derniers mois) de 5,4%, contre 0,5% pour les bons du Trésor américain à dix ans, soit un écart de 4,9 points de pourcentage, au plus haut depuis 2013. En Europe, l'écart de rendement entre les actions (7,1%) et le Bund allemand (-0,87%) est au plus haut depuis août 2019.
Les mesures à prendre

Dans l'immédiat, les investisseurs resteront probablement focalisés sur la propagation du virus en Europe et aux Etats-Unis et sur les tensions que connaissent les marchés financiers. Les évolutions plus encourageantes de ces derniers jours, comme les signes tangibles d'endiguement du virus en Asie, la possible augmentation du revenu disponible des ménages, l'assouplissement budgétaire et monétaire, ainsi que la valorisation plus séduisante des actions pourraient mettre un certain temps à se répercuter sur les cours de marché.

Les investisseurs doivent se garder de prendre
des décisions précipitées en période de volatilité.

La volatilité devrait donc rester marquée, c'est pourquoi la Recherche d’UBS recommande une nouvelle fois aux investisseurs de diversifier leur portefeuille et de réfléchir aux stratégies à mettre en œuvre pour se protéger.

Etant donné la dégradation actuelle de la liquidité d'un certain nombre de marchés, les investisseurs doivent se garder de prendre des décisions précipitées en période de volatilité. En effet, l'écart entre les cours acheteur et vendeur sera probablement plus important que la normale sur les marchés d'actions, et surtout sur les marchés obligataires.

En incorporant les stratégies Liquidité, Longévité et Legs pour aligner leur portefeuille sur leurs objectifs financiers, les investisseurs peuvent limiter le risque de prendre des décisions inconsidérées qui pourraient s'avérer coûteuses en période de tensions sur les marchés. Cela dit, il existe des opportunités pour les investisseurs désireux d'améliorer et de diversifier leur portefeuille et de constituer des positions à plus long terme.

Les actions des marchés émergents

Il convient de privilégier les actions des marchés émergents à celles des marchés développés compte tenu de leur valorisation plus intéressante, de la croissance des bénéfices qui s'annonce plus forte dans le monde émergent, de la dépréciation du dollar américain et du succès relatif enregistré par la Chine dans l'endiguement de l'épidémie de coronavirus. Depuis le 19 février, les marchés émergents surperforment les marchés développés de 3,3 points de pourcentage. Cette tendance est amenée à se poursuivre.

La vente d'options

Pour ceux qui peuvent recourir à des options, la vente d'options peut permettre de profiter de l'accentuation de la volatilité des actions. Comme l'indice VIX est à 58 et le V2X à 59, cette stratégie offre un rendement élevé et peut permettre à des investisseurs ayant des liquidités excédentaires de réaliser des achats à bon compte de manière disciplinée, sans céder à des biais comportementaux.

Les obligations à haut rendement

Dans un environnement marqué par des rendements obligataires historiquement bas et des taux d'intérêt en baisse, il est recommandé de privilégier les stratégies qui améliorent le rendement d'un portefeuille, dont l'achat d'actions qui versent de confortables dividendes et d'obligations d'entreprises américaines à haut rendement. Il est possible que les écarts des obligations à haut rendement augmentent encore à court terme mais, sur un horizon de six mois, la Recherche d’UBS estime qu'ils se resserreront considérablement.

Les obligations vertes, qui constituent une alternative aux obligations investment grade, sont moins sensibles à la conjoncture économique et nettement moins exposées à l'industrie pétrolière. Les investisseurs pourraient également être tentés par des stratégies impliquant un recours à l'effet de levier étant donné la diminution du coût de l'endettement.

La dépréciation du dollar

Les investisseurs seraient avisés de se préparer à une poursuite de la dépréciation du dollar à moyen terme. Dans la mesure où la Fed baissera probablement ses taux dans des proportions plus importantes que la BCE, le différentiel de rendement en faveur du dollar américain devrait s'amenuiser.

Les entreprises exposées à la quatrième révolution industrielle
et à la transformation digitale devraient en profiter.

Depuis le 19 février, le dollar américain s'est déprécié de 5,4% face à l'euro et de 5,9% face au franc suisse. Le taux de change EURUSD se situe désormais à 1,14. La Recherche d’UBS table sur une poursuite de la dépréciation du dollar dans le courant de l'année. La paire EURUSD devrait ainsi grimper à 1,19 d'ici le mois de décembre 2020.

La protection du portefeuille

Les investisseurs peu enclins à prendre des risques peuvent envisager des mesures pour protéger leur portefeuille des menaces liées au coronavirus, par exemple s'exposer à l'or et aux bons du Trésor à long terme (les TIPS sont à préférer aux bons nominaux). Depuis le 19 février, l'or s'est apprécié de 3,7% et les TIPS de 2%. Les bons du Trésor à long terme ont vu leurs cours bondir de 14,7%.

Les investissement à long terme

Le récent accès de volatilité sur les marchés constitue une occasion pour les investisseurs d'accroître leur exposition à des thèmes d'investissement à long terme. La crise sanitaire actuelle ne change rien au fait que le vieillissement démographique mondial, l'essor des technologies médicales et les récentes avancées dans le domaine des thérapies géniques offrent des opportunités pour les investisseurs qui visent une appréciation de leur portefeuille à long terme.

La crise pourrait également accélérer certaines tendances à plus long terme dans les domaines de la connectivité et de la localisation. Les entreprises exposées à la quatrième révolution industrielle et à la transformation digitale devraient en profiter.

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