Cette fois, les banquiers centraux ne redescendront à priori pas par l’ascenseur

Gero Jung, Mirabaud Asset Management

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Les banques centrales se sont montrées proactives et n’ont pas attendu que l’activité se contracte pour agir. Les baisses de taux seront plus mesurées en 2025.

Le vieil adage nous rappelle que si les banquiers centraux montent par l’escalier, ils descendent en ascenseur. En d’autres termes, la hausse des taux directeurs se fait généralement de manière graduelle, alors que leur baisse se fait de manière abrupte, l’assouplissement monétaire ayant pris du retard sur le cycle économique. Tel ne fut pas le cas cette année et il ne le sera pas l’année prochaine non plus. En effet, les banques centrales se sont montrées proactives et n’ont pas attendu que l’activité se contracte pour agir. Deux raisons à cela: d’une part, le mouvement de désinflation a été soutenu, d’autre part, le niveau initial des taux directeurs était élevé. En conséquence, les baisses de taux seront plus mesurées en 2025. Des différences devraient cependant apparaitre par région.

Scénario de reflation aux États-Unis

Aux Etats-Unis, le sujet n’est pas de rendre la politique monétaire de la Réserve fédérale accommodante, mais de la ramener à un niveau plus neutre compte tenu de la solidité de la croissance économique et d’une inflation toujours au-dessus de l’objectif ; l’inflation sous-jacente demeure encore supérieure à l’objectif de 2% de la banque centrale. La Réserve fédérale de New-York estime que le niveau réel d’équilibre de court terme se situe entre 1,6-2,3% pour ces trois prochaines années, c’est-à-dire un niveau nominal entre 3,6-4,3%. Ainsi, le scénario le plus probable pour 2025 est une baisse des taux directeurs à un rythme trimestriel.

La croissance économique devrait être supérieure à 2%, même si la demande privée devrait se normaliser et le ralentissement du marché de l’emploi se poursuivre. Le risque d’un fort ralentissement de l’activité ne peut pas être écarté (hard landing), mais cela ne devrait pas se produire avant 2026 compte tenu de la relance fiscale à venir. La perception du Fed put, c’est-à-dire la conviction que le Réserve fédérale interviendra fortement pour prévenir une trop forte contraction de l’activité ou une hausse de la volatilité sur les marchés, reste par ailleurs prégnante parmi les investisseurs. Nous pensons également que la Réserve fédérale assouplira rapidement et fortement sa politique monétaire en cas de contraction de l’activité, pour autant que l’inflation reste proche de l’objectif de la banque centrale.

Un autre scénario adverse envisagé verrait l’inflation accélérer à nouveau en raison de la poursuite d’une croissance économique solide aux États-Unis et d’une reprise cyclique dans les pays développés. Cette tendance pourrait également être renforcée par une politique commerciale agressive à la suite de l’élection de Donald Trump et une hausse conséquente des droits de douane. Ce scénario verrait la marge de manœuvre de la Réserve fédérale largement limitée et entrainerait un fort resserrement des conditions financières.

Risques sur la croissance européenne

En Europe, les moteurs historiques de la croissance économique qu’étaient l’Allemagne et la France se sont grippés. La machine industrielle allemande continue de subir de plein fouet la concurrence chinoise sur le secteur automobile, en particulier sur le marché des véhicules électriques, ainsi que la faiblesse de la demande manufacturière au niveau mondial. En France, la situation budgétaire reste incertaine et les solutions semblent se porter principalement sur des hausses d’impôts. Dans tous les cas, l’effet de l’impulsion budgétaire sur la croissance devrait être négatif en 2025.

Des pays comme l’Espagne, le Portugal et la Grèce prennent ainsi leur revanche grâce à leur économie davantage axée sur le secteur des services. L’accélération de la croissance économique prévue l’année prochaine, légèrement au-dessus de 1%, pourrait être remise en cause en cas d’imposition de droits de douanes conséquents sur les produits exportés aux États-Unis. La banque centrale européenne maintient pour l’instant une approche par réunion, sans s’engager au préalable sur un rythme d’assouplissement monétaire. L’inflation est désormais maitrisée en raison de la baisse des prix de l’énergie et des biens, alors que l’inflation sur le secteur des services devrait continuer de ralentir. Ainsi, nous prévoyons une baisse des taux de la Banque centrale européenne lors de chaque réunion, jusqu’à ce que le taux de dépôt atteigne 2% en juin prochain.

Au Royaume-Uni, le projet de budget de la Chancelière Reeves a marqué un tournant important par rapport aux précédents gouvernements du Parti conservateur : hausse des dépenses courantes et de l’investissement, financée en partie par une augmentation des impôts de plus de 40 milliards de livres sterling par année, et par l’emprunt. Ces mesures devraient soutenir la croissance et l’inflation ces deux prochaines années. Cette dernière est toujours forte sur le secteur des services en raison notamment des pressions salariales. Elle est cependant inférieure d’environ 0,6 point de pourcentage aux prévisions du comité de politique monétaire, ce qui devrait amener la Banque d’Angleterre à réduire son taux directeur à 3% en fin d’année.

En Suisse, l’inflation devrait se maintenir en dessous de 1% en raison de la faiblesse de la croissance et de la force du franc. L’économie suisse restera cependant plus dynamique qu’en zone euro. La Banque nationale suisse devrait réduire son taux directeur à 0,25% d’ici au premier trimestre 2025. De nouvelles interventions sur le marché des changes restent possibles mais ne seront pas suffisantes pour contrer la force du franc suisse. Cet outil de politique monétaire servira seulement à amoindrir d’éventuels épisodes de volatilité accrue.

Fragilités structurelles en Chine

La Chine est quant à elle confrontée à ses propres défis. Son modèle de croissance, qui repose sur les exportations et les investissements manufacturiers, a atteint ses limites. Face à l’important stock de logements vacants et à la faiblesse de la demande, la réponse du gouvernement axée sur une stimulation du prix des actifs ne devrait pas être suffisante en l’état. Le niveau élevé de l’endettement public et privé, la crise immobilière, la décroissance de la population ainsi que la fragilité des banques commerciales chinoises sont autant d’éléments qui nous amènent à faire le parallèle avec le Japon des années 1980 et nous incite à rester prudents.

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