Brexit saga, épisode 953

Bruno Cavalier, ODDO BHF

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Une extension ne va pas de soi. Elle pose des problèmes politiques, juridiques et institutionnels, tout en prolongeant le climat d’incertitude.

©Keystone

S’agissant du Brexit, tout ce qui suit est à prendre au conditionnel… Un 3ème vote sur l’accord de sortie négocié par Theresa May ne devrait pas se tenir avant le sommet de l’UE des 21-22 mars (Entêtement absurde ou ténacité admirable, l’histoire jugera). En tout état de cause, il est impératif de repousser l’échéance du 29 mars pour éviter le scénario «no-deal». Une extension ne va pas de soi. Elle pose des problèmes politiques, juridiques et institutionnels, tout en prolongeant le climat d’incertitude. L’UE n’y est pas opposée sur le principe mais toute avancée réclame de surmonter les divisions qui traversent la classe politique britannique.

Leave EU later?

Après une semaine mouvementée sur le front du Brexit et à l’aube d’une autre qui promet de l’être tout autant, faisons le point sur les derniers développements. À ce jour, la fin de la période de négociation restant fixée au 29 mars, si aucune évolution n’intervient d’ici là, l’option par défaut est celle d’un «no-deal Brexit», qui du jour au lendemain mettrait le Royaume-Uni dans la position d’un pays tiers vis-à-vis de l’UE. 

Certains parlent déjà d’un quatrième vote sur l’accord de sortie.

Pour éviter le «no-deal Brexit», il ne suffit pas de voter contre cette éventualité, comme l’a fait le Parlement britannique la semaine dernière, il faut voter pour un accord de sortie. Le seul accord existant est celui qui a été négocié pendant plus de deux ans par Theresa May, mais le Parlement britannique l’a déjà rejeté par deux fois à une écrasante majorité.

Quelle peut être la suite des événements? Un 3ème vote sur l’accord de sortie est de moins en moins envisagé avant le sommet de l’UE des 21-22 mars – mais rien n’est certain. Sauf si l’Attorney General modifie son avis juridique sur l’accord de sortie, il paraît difficile que Theresa May obtienne cette fois-ci le soutien de son allié nord-irlandais, le DUP, et celui des élus rebelles de son propre parti. En cas d’échec, certains parlent déjà d’un 4ème vote la semaine suivante. Pour obtenir que ces opposants changent d’avis, le PM britannique fait valoir, sans grand succès à ce jour, qu’en refusant d’entériner l’accord qui organise le Brexit, c’est le Brexit lui-même qui risque d’être remis en question.

En tout état de cause, l’échéance du 29 mars a désormais de bonnes chances d’être repoussée. Le Parlement britannique a voté une motion exigeant que le gouvernement demande une extension. L’UE doit alors statuer à l’unanimité de ses 27 pays-membres. Il n’y a sûrement pas d’opposition de principe à une telle requête, encore faut-il savoir pour quoi faire, ce qui conditionne la durée de l’extension.

Extension courte – Si elle va jusqu’au 30 juin, elle ne poserait aucun problème du côté de l’UE, à condition que le Parlement britannique ait voté pour l’accord de sortie avant le 29 mars. Il s’agirait juste d’avoir le temps suffisant pour adopter les dispositions juridiques de cet accord. C’est le plan privilégié par Theresa May. Cela réduirait sûrement l’incertitude même s’il pourrait en résulter des perturbations aux chaînes logistiques à court terme (voir encadré ci-dessous).

Rien n’assure que Theresa May puisse dès cette semaine
convaincre l’UE de lui accorder un délai.

Extension longue – S’il apparaît qu’il n’y a aucune chance d’adopter l’accord d’ici le 29 mars, l’alternative serait d’envisager une extension longue, peut-être jusque fin 2020. Pour tous, cela éviterait le saut depuis la falaise. Pour Theresa May, ce serait le moyen de montrer à ses opposants qu’en refusant d’entériner son accord, on doit repousser le Brexit loin dans le temps, quitte peut-être à l’abandonner pour de bon. Cette option soulève toutefois plusieurs problèmes. 

  1. Premièrement se pose la question des élections au Parlement européen. Les pays-membres de l’UE vont renouveler leurs élus les 23-26 mai afin que le nouveau Parlement entre en session le 2 juillet. Si le Royaume-Uni est toujours dans l’UE à cette date, il devra avoir des élus pour représenter ses citoyens. Ce point est admis par tous. Savoir si ces élus doivent être issus d’un nouveau scrutin (ce qui est la position de la Commission) ou s’ils peuvent être désignés d’une autre manière est une autre affaire dont débattent les juristes. Ce problème n’est pas insoluble mais il crée une situation inconfortable. On imagine sans peine le choc que de telles élections créeraient dans l’opinion publique, au Royaume-Uni et sur le continent.
  2. Ensuite il faut déterminer précisément à quoi servirait une longue extension. Sans finalité prédéfinie, cela reviendrait à se substituer à la phase de transition au cours de laquelle doit être négocié le futur régime commercial entre l’UE et le Royaume-Uni. Cela ne règlerait rien sur le fond et l’UE refuserait sans doute. Une extension longue exige de fixer comme préalable une remise à plat de la stratégie du Royaume-Uni. On peut imaginer plusieurs voies, allant de d’un nouveau référendum à la création d’une commission parlementaire bipartisane. La souveraineté étant un sujet ultrasensible dans toute cette affaire, ce n’est pas à l’UE d’imposer directement le choix. C’est pourquoi rien n’assure que Theresa May puisse dès cette semaine convaincre l’UE de lui accorder un délai. Il est plus probable qu’un accord de principe serait donné sous réserve de clarification sur le type de Brexit souhaité (à l’exclusion du «no-deal Brexit» et des projets fumeux déjà maintes fois rejetés ces deux dernières années). Certains évoquent la possibilité de tenir un sommet de l’UE extraordinaire juste avant le 29 mars.
  3. Enfin, il faut s’entendre sur le rôle du Royaume-Uni dans les affaires de l’UE durant la période d’extension. Là encore, rien n’est clair. Qu’arriverait-il si, entre le 26 mai et le 30 juin, le Royaume-Uni révoquait unilatéralement l’article 50 (comme c’est son droit)? Il serait membre de l’UE mais sans représentation au Parlement. Qu’arriverait-il si le Royaume-Uni, ayant obtenu une extension d’un an ou deux, s’avisait d’interférer dans les discussions de l’UE concernant son futur budget ou la désignation de la future Commission? L’imbroglio institutionnel serait sans précédent.

 

Les entreprises face à la préparation d’un «no-deal»
Une sortie sans accord changerait radicalement les relations commerciales entre le Royaume-Uni et le reste de l’UE (barrières tarifaires et non tarifaires). Cela se répercuterait directement sur la logistique et l’organisation de la production. En principe, si l’on s’attend à une rupture d’approvisionnement après le 29 mars, fut-elle transitoire, on est censé avoir fait des stocks d’inputs et planifié une baisse de sa production. Divers sondages montrent que la préparation à cette éventualité est faible parmi les entreprises, soit par négligence (on n’y croit pas), soit par impossibilité de le faire correctement. Les capacités de stockage disponibles ne sont pas suffisantes pour se préparer à quelques semaines de congestion ou de perturbation des chaînes de production.
 
Si le «no-deal» est évité, il y aura tout de même une perturbation du profil normal d’activité pour les secteurs et entreprises qui ont pris des mesures de préparation. On sait par exemple que les constructeurs automobiles ont avancé en avril la maintenance annuelle de leurs usines qui a lieu d’ordinaire en août. Une baisse de la production auto à son niveau usuel d’août justifierait à elle seule une baisse de 3% de la production manufacturière. Si d’autres industries ont agi de même, le choc sera beaucoup plus fort jusqu’à amputer la croissance du T2 2019 (-0,2pts est une estimation raisonnable vu le poids de l’industrie). Notons enfin que ces préparations ont été faites avec la date du 29 mars en tête. Ces plans ne pourraient pas être ajustés d’un coup si la date-limite était changée à la dernière minute.

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