Au bord du précipice?

Sophie Chardon, Samy Chaar, Bill Papadakis, Lombard Odier

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Les tensions entre les Etats-Unis et l’Iran se sont intensifiées. Toutefois, la confrontation devrait rester limitée à la région.

© Keystone

Les tensions entre les Etats-Unis et l’Iran se sont intensifiées au cours des derniers jours, les frappes militaires américaines à l’aéroport de Bagdad ayant tué un des commandants iraniens, Qassem Soleimani. L’attaque avait été lancée sur ordre du Président Trump et le régime iranien a riposté le 7 janvier. Bien que le risque géopolitique dans la région ne soit pas un élément nouveau pour les marchés, cet incident marque une intensification notable qu’il convient de surveiller de près.

D’une manière plus générale, nous voyons le chaos moyen-oriental des quinze dernières années (guerres en Irak, en Syrie, au Yémen) comme la résultante d’un changement profond de l’équilibre régional. La domination sunnite des quarante dernières années (sous leadership égyptien, puis saoudien avec appui américain) laisse peu à peu place à la confrontation des blocs communautaires, avec le retour sur le devant de la scène du bloc chiite sous leadership iranien (Liban, Yémen, Irak) avec l’appui russe, et parfois chinois.

Dans ce contexte, l’Europe cherche à garder une relative neutralité et un rôle de médiateur, notamment en faveur d’un retour à l’accord iranien. Si la confrontation entre les deux blocs est amenée à se poursuivre à moyen terme, elle devrait rester limitée à la région, comme cela a été le cas jusqu’à présent malgré un nombre conséquent de conflits. Pour autant, et ce malgré quinze années de confrontations et d’instabilité, la situation moyen-orientale n’a pas été un facteur d’instabilité globale (hors Moyen-Orient), et le prix du pétrole est resté contenu malgré des épisodes de volatilité.

Impact sur le prix du pétrole

Le prix du pétrole a augmenté de 3,5% le vendredi 3 janvier, à 68,5 USD/baril (Brent). Au moment où nous écrivons ces lignes, il se négocie encore autour de ce niveau. Toutefois, si la prime de risque nous paraît justifiée par les évènements récents, nous pensons que ce pic sera de courte durée.

C’est précisément ce qu’escompte le marché pétrolier, habitué aux incertitudes sur le front géopolitique.

La pente des courbes des futures sur le pétrole est aujourd’hui extrêmement forte car l’extrémité longue n’a que légèrement progressé (les futures pour décembre 2022 ont augmenté de moins de USD 1/bbl depuis le début de l’année).

On peut donc penser que:

  • si les prix spot intègrent une prime de risque géopolitique, celle-ci n’affecte pas de façon significative les échéances les plus éloignées;
  • étant donné la forte pente des courbes, les prix des futures ne sont pas suffisamment élevés pour inciter les sociétés américaines d’exploration et de production (E&P) à couvrir leur production et/ou accroître leur activité.

A l’avenir, même si l’intensification des tensions risque d’entraîner la destruction des capacités de production dans la région, il est important de rappeler que:

  1. l’Iran est actuellement sous sanctions et sa production est déjà proche des plus bas historiques;
  2. le marché attendait un surplus d’offre au 1er trimestre avec l’arrivée sur le marché de nouveaux programmes conventionnels, notamment en mer du Nord, en Guyane et au Brésil;
  3. l’OPEP a annoncé en décembre 2019 de nouvelles baisses de production pour limiter ce surplus d’offre.

Pour ces raisons, en particulier après les dernières baisses de production de l’OPEP, toute perturbation potentielle devrait être importante et durable pour que le marché se retrouve en déficit de manière prolongée et que les cours pétroliers connaissent une hausse soutenue.

Comme en septembre 2019 suite aux frappes sur des installations pétrolières saoudiennes, nous avons été amenés à maintenir notre prévision à douze mois pour le prix du pétrole à 60 USD/baril (Brent). Le principal facteur sera, selon nous, le ralentissement de la croissance mondiale et son impact sur la demande de pétrole.

Le principal risque serait un scénario dans lequel le régime iranien ferme le détroit d’Ormuz, détroit par lequel passe près de 30% du pétrole échangé à l’échelle mondiale. Une telle situation pourrait soutenir les prix du pétrole au-dessus de 75 USD/baril, mais cela devrait rester un risque extrême.

D’un point de vue macroéconomique, il convient de noter que les risques liés à une flambée prolongée des cours pétroliers sont plus limités aujourd’hui que par le passé, compte tenu de l’essor de l'industrie américaine du pétrole de schiste. De plus, le récent retournement de la Fed vers une plus grande tolérance face au dépassement de l’objectif d’inflation devrait limiter le risque d’une réaction excessive de la politique monétaire.

Impact sur les marchés actions

Les craintes liées à un éventuel conflit armé pèsent sur le sentiment des investisseurs, d’où la consolidation actuelle après l’envolée de décembre. Pour autant, tant que le prix du pétrole n’atteint pas des niveaux susceptibles de remettre en cause la reprise laborieuse du secteur manufacturier visible depuis quelques mois, l’impact sur les marchés actions devrait être limité. Les arbitrages géographiques et sectoriels pourraient cependant être affectés, au moins temporairement (les marchés américains ont tendance à surperformer dans un environnement d’aversion au risque et le secteur de l’énergie profite de l’ascension des cours pétroliers).

Dans un scénario de risque dans lequel ces craintes de conflit armé se matérialiseraient, une hausse de la volatilité et une baisse plus marquée des marchés actions seraient à prévoir. Par le passé, les marchés actions ont subi des pertes de 0 à -16%, comme en août 1990 (voir tableau). Aujourd’hui, une hausse des cours du pétrole de 135% semble cependant très peu probable. Pour nous prémunir contre ce type de risque, nous avons mis en place des stratégies optionnelles (options de vente) depuis plusieurs trimestres.

Impact sur les valeurs refuges

Les obligations souveraines et l’or bénéficient logiquement de l’environnement actuel. Historiquement, l’or s’est révélé une meilleure couverture que les emprunts d’Etat car ces derniers peuvent pâtir de la montée des anticipations inflationnistes induites par la hausse des cours du pétrole. Aujourd’hui, au vu du contexte de taux négatifs en zone euro et en Suisse, qui limite la capacité de couverture des obligations gouvernementales de ces économies, l’or représente une meilleure protection et son cours devrait rester soutenu aux niveaux actuels. Dans le cas d’une escalade impliquant un conflit armé, l’or pourrait atteindre 1’650 USD/once. Sa capacité de couverture souligne la hausse de notre exposition à l’or mise en place en janvier 2019 à 3% actuellement pour tous les profils.

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