Amen

Martin Neff, Raiffeisen

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L’être humain moderne vit sa foi, si tant est qu’il en ait une, de plus en plus sans ou en dehors de l’église.

Comme vous l’avez sans doute déjà remarqué, je me suis offert deux semaines de vacances. J’en ai notamment profité pour passer de nouveau quelques jours à Constance, où je suis né et ai vécu près de vingt ans avant de me retrouver en Suisse. Et comme souvent quand on a été absent pendant longtemps, on rencontre des choses connues et nouvelles sur son lieu de naissance. L’évolution d’un lieu qui se produit de façon insidieuse alors qu’on l’observe en permanence semble beaucoup plus flagrante et marquée quand on était absent pendant quelques années. Oui, les moustiques étaient particulièrement nombreux cette année. Grâce aux inondations, ils sont à la fête. Le tourisme d’achat a également repris, la reconquête de la vieille ville de Constance par les Suisses est en marche, ce qui réjouit les propriétaires de magasins, car cela fait bien longtemps qu’ils ont intégré les clients suisses dans leurs plans d’affaires. Le changement est constant malgré toutes les interruptions.

Constance se trouvaient autrefois dans la zone d’occupation française. Comme on le sait, après la Seconde guerre mondiale les alliés victorieux ont subdivisé l’Allemagne vaincue en zones «administrées» par les «Anglais» (RU), les Américains, les Français et les Russes. Trois casernes avaient à l’époque été construites par les troupes d’occupation françaises à Constance afin d’y installer leurs soldats. Les soldats français faisaient partie du paysage urbain de Constance, patrouillant en ville dans les bus, dans la rue et même en char, etc. Enfant, je ne trouvais pas cela étrange ni humiliant, c’était tout simplement la norme. Ma sœur aînée avait eu une liaison avec un soldat d’occupation français, les Français faisaient simplement partie du tableau. Après leur départ, leurs anciennes casernes ont été affectées à différents usages: logement social, résidences universitaires et une partie non négligeable a été intégrée dans le nouveau paysage urbain avec un mélange d’utilisations équilibré entre divertissement (restauration et hôtellerie) et administration ou commerce. Ce changement semble avoir été mené à bien entre-temps. Comme partout, les usages évoluent et reflètent ainsi le changement à un microniveau. On vit ou on se détend aujourd’hui là où les gens travaillaient autrefois. Nous connaissons cela en Suisse dans les centres urbains, où les surfaces industrielles ou commerciales cèdent la place à de nouvelles utilisations. 

Tout cela n’a rien d’anormal, mais j’ai quand même été très surpris de voir que les lieux où nous dansions autrefois et où nous visitions ultérieurement des expositions viennent apparemment d’être conquis par la foi. Je veux parler d’une «église libre», qui aux dires de ma famille est même plutôt bien fréquentée. Le business autour de la foi s’exprime clairement ici. Durant des siècles, la foi a encadré l’existence de l’humanité. Sous nos latitudes, il s’agissait notamment des églises chrétiennes qui réglaient non seulement le quotidien mais toute notre société. Dans ma jeunesse, presque tout le monde savait qui allait à l’église ou n’y allait pas. Et malheur à celui qui n’était pas correctement habillé en se rendant à l’autel.

Mais c’est alors qu’il y a eu ce scandale autour du Banco Ambrosiano. Sans entrer dans les détails, il était question en ce début des années 1980 de blanchiment d’argent, de détournement de fonds et sans doute aussi de participation à une série de magouilles politiques. Il est alors apparu au grand jour que la religion est également un modèle d’affaires et que le Vatican est une farce en tant que gardien de la foi. De façon générale, la foi est l’un si ce n’est le créateur de valeur des économies nationales. Ce ne sont certes plus les églises d’Etat traditionnelles, mais toutes sortes de sauveurs qui courtisent aujourd’hui les croyants. Quoi qu’il en soit, la foi permet toujours de faire de bonnes affaires, le trafic d’indulgences vous salue bien. Lorsque les églises traditionnelles cèdent la place aux églises libres, cela s’explique sans doute par leur manque de modernité. Certaines églises libres organisent des célébrations au sens littéral et il règne en leur sein une ambiance de folie au lieu d’une sobre célébration eucharistique. La fête plutôt que la communion. 

L’examen des chiffres révèle qu’il y a en Suisse plus de 2 millions de personnes non-croyantes. Il y a encore un peu plus de catholiques, mais le nombre de protestants a fortement diminué. Et d’autres religions connaissent évidemment une progression, notamment l’islam avec près de 400’000 musulmans à l’heure actuelle. Les églises traditionnelles semblent en revanche avoir fait leur temps. A peine la moitié de la population appartient encore aujourd’hui à des églises chrétiennes. Les autres cherchent le salue ailleurs. Cela ne signifie pas pour autant que les églises chrétiennes traditionnelles ont été rabaissées au rang de modèle en voie de disparition en Occident. Elles sont toujours un acteur important de notre économie, malgré la désaffection, la perte de confiance et le copinage. La tendance à la baisse ne fait cependant aucun doute. L’amen définitif n’est qu’une question de temps, du moins sous nos latitudes. Qu’elles fassent la fête ou pas, les églises libres gèrent elles aussi un déclin, car l’être humain moderne vit sa foi, si tant est qu’il en ait une, de plus en plus sans ou en dehors de l’église. Une part non négligeable de notre économie sombre ainsi dans l’insignifiance. Autrefois un Etat, bientôt le néant.

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