La Banque du Japon (BoJ) a gardé inchangés ses taux mardi, face aux incertitudes économiques avivées par la guerre commerciale, et va atténuer le durcissement de sa politique de rachat de dette nippone afin d’apaiser les tensions sur le marché obligataire.
Après deux jours de réunion, l’institution a annoncé le maintien à 0,5% de son taux directeur. Ce statu quo était largement attendu alors que la quatrième économie mondiale est fragilisée par l’offensive douanière du président américain Donald Trump.
Pour contrer le retour de l’inflation au Japon, la BoJ avait entamé en mars 2024 un resserrement de ses taux, après dix ans de politique monétaire ultra-accommodante. Elle les a relevés deux fois l’an dernier, puis encore en janvier.
L’horizon s’est assombri. «La croissance japonaise devrait ralentir» à l’unisson de l’économie mondiale en raison de la guerre commerciale, qui génère «une baisse des bénéfices des entreprises nationales», mais «des conditions financières accommodantes devraient apporter un soutien», a commenté mardi la banque centrale japonaise.
L’institution était surtout attendue sur la question de la dette du Japon, après la récente flambée des rendements, signe d’un essoufflement de l’appétit des investisseurs.
Après avoir longtemps racheté massivement des obligations souveraines japonaises en vue d’enrayer la stagnation économique et la déflation, la BoJ avait entrepris depuis août dernier de réduire ses rachats de 400 milliards de yens (2,39 milliards d’euros) par trimestre pour y mettre progressivement fin.
Or, l’institution va finalement ralentir l’an prochain ce rythme. A partir d’avril 2026, elle ne réduira ses rachats de dette que d’»environ 200 milliards de yens par trimestre».
Objectif: «éviter la possibilité d’une volatilité anormale sur le marché des obligations souveraines, qui aurait pénalisé l’économie», a expliqué à la presse le gouverneur Kazuo Ueda.
De plus, cela «contribuera à maintenir les taux d’intérêt à un niveau plus bas qu’en temps normal, aidant l’économie», a souligné auprès de l’AFP Carol Kong, analyste à la Commonwealth Bank of Australia.
Une dette sous pression
A mesure que la BoJ réduisait ses achats de dette, les autres acheteurs habituels (groupes d’assurance-vie...) n’ont pas pris le relais, notamment en raison d’évolution réglementaires.
Mi-mai, une émission japonaise à échéance 20 ans avait enregistré le plus faible niveau de demande depuis une décennie, entraînant une envolée des rendements sur les obligations nippones à 20 et 30 ans à des niveaux record sur 25 ans.
Un rendement élevé reflète une demande faible, des taux plus rémunérateurs étant nécessaires pour attirer les investisseurs.
La banque centrale a dit se tenir prête à s’adapter à tout moment pour enrayer une fièvre du marché. «La BoJ réagira avec souplesse, par exemple en augmentant le niveau de ses rachats d’obligations» indépendamment du calendrier fixé, a-t-elle insisté.
Soucieux d’apaiser les tensions, le ministère japonais des Finances devrait par ailleurs ajuster le volume de dette proposé lors des prochaines émissions, selon la presse financière.
Signe du soulagement des investisseurs, les taux à 30 ans se détendaient mardi à 2,90%, très en deçà des 3,2% atteints en mai.
Suspense sur les taux
Les spéculations subsistent sur l’évolution du taux directeur de la BoJ, très inférieur à celui de la Réserve fédérale américaine (Fed), tandis que l’inflation japonaise (3% en avril, hors énergie et produits frais) persiste bien au-delà des 2% visés.
Pour autant, la BoJ, prudente, «suspendra probablement tout relèvement de taux jusqu’à ce que la politique commerciale soit clarifiée», a estimé Mme Kong.
Le Japon est soumis à des taxes douanières américaines de base de 10% ainsi qu’à des prélèvements élevés sur l’automobile et l’acier. Les négociations avec les Etats-Unis patinent avant la date butoir début juillet pour un relèvement à 24% de surtaxes dites «réciproques».
La BoJ avait abaissé de moitié en mai sa prévision de croissance annuelle pour l’économie japonaise, à 0,5%.
Néanmoins, «nous prévoyons que la demande intérieure restera solide et que la conjoncture pourrait s’améliorer au point que la BoJ pourrait envisager de remonter ses taux» dès le second semestre 2025, «car elle reste déterminée à normaliser sa politique monétaire», a noté Katsutoshi Inadome, analyste de SuMiTRUST.
«La BoJ a adopté un ton prudent mais équilibré (...) exprimant sa confiance dans la solidité fondamentale de l’économie», a jugé Stefan Angrick, de Moody’s Analytics. Selon cet analyste, «le message sous-jacent est qu’un resserrement monétaire serait approprié si l’incertitude élevée n’assombrissait pas les perspectives.»