Une hausse de productivité de 3% par an

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

L’intelligence artificielle va améliorer la productivité dans de nombreux secteurs. Entretien avec Nicolas Bickel et Anthony Toupin de la banque Edmond de Rothschild.

Sauf surprise majeure, le processus de désinflation se confirme et les taux US à dix ans devraient se retrouver aux alentours de 4% en fin d’année. Nicolas Bickel, responsable des investissements du groupe Edmond de Rothschild Private Banking, et Anthony Toupin, analyste en recherche, restent constructifs sur les actions pour 2024 car les économistes s’attendent à un bond de la productivité au cours des années à venir, grâce à l’adoption de l’intelligence artificielle qui bénéficiera à plusieurs secteurs dont la consommation de base, la consommation discrétionnaire, les télécoms et la banque. Sans oublier la tech bien évidemment.  

Qu’attendre de l’inflation et des taux?

En début d’année, les marchés attendaient entre six et sept baisses de taux d’ici fin 2024. Prudente, la Réserve fédérale se montrait attentiste car elle a souvent tendance à faire ce qu’elle dit et doit mesurer sa parole. L’inflation n’ayant pas suivi la décrue attendue, on ne parle plus aujourd’hui que d’une ou deux baisses. Peu importe. Une, deux ou trois baisses de taux: la tendance reste à la désinflation. C’est ce qui compte et les taux US à dix ans devraient se retrouver autour de 4% en fin d’année. Reste encore à savoir si la Fed ne choisira pas une nouvelle normalité à plus long terme avec un objectif d’inflation à 3% plutôt que les 2% recherchés depuis des années ce qui pourrait déclencher une importante rotation sectorielle.

N'existe-t-il pas toutefois d’importants facteurs inflationnistes dans le contexte actuel?

Effectivement, la déglobalisation et la relocalisation de certaines activités aux Etats-Unis et en Europe ainsi que la multiplication des conflits sont des facteurs inflationnistes de même que l’a été depuis le Covid la baisse d’offre de main d’œuvre. Mais nous constatons que le surplus d’épargne constitué au moment du Covid s’est maintenant épuisé aux Etats-Unis, observation confirmée par la hausse des crédits à la consommation et même des prêts sur gage, et que ce facteur a contribué à faire baisser la pression sur l’offre de main d’œuvre et la demande de biens.  

Autant il est relativement facile de les distinguer en amont, autant la tâche s’avère plus ardue quand il s’agit de déterminer qui seront les gagnants en aval. 

Faut-il s’attendre à une correction sur les marchés actions?

Nous restons constructifs sur les actions pour 2024. Poussé par les progrès de l’intelligence artificielle et les excellents résultats des entreprises qui y sont associées – telle NVIDIA la semaine dernière-, le secteur de la tech continue à bien se porter. Nous sommes positionnés sur la tech mais aussi sur la santé, sur la consommation de base, suivons de près les banques et enfin sur la portion des entreprises industrielles qui vont être stimulées par la relocalisation ou par la transition énergétique. Nos observations nous mènent à conclure que les marchés actions ne sont pas dans une bulle et dans une situation bien plus solide que lors de la bulle internet de 2000.

Une baisse des taux redonnerait-t-elle des couleurs aux petites et moyennes capitalisations?

Oui, parce que la baisse de taux engendrerait une reprise de la croissance économique, notamment en Europe, et qu’elle diminuerait les coûts de financement. Les small et mid caps traitent actuellement à des discounts très importants et sont également handicapées par la gestion passive qui dirige les flux d’investissement vers les grandes capitalisations. 

A propos d’intelligence artificielle, quels en seront, selon vous, les grands bénéficiaires?

Autant il est relativement facile de les distinguer en amont, autant la tâche s’avère plus ardue quand il s’agit de déterminer qui seront les gagnants en aval. Ce qu’on peut affirmer sans aucun doute est que la popularisation de la thématique ne s’essouffle pas. Le site de ChatGPT reçoit 1,5 milliards de vues chaque mois. L’IA va améliorer la productivité dans de nombreux secteurs: bien que le gouvernement US s’attende à un accroissement de la productivité de l’ordre de 1,4% par an sur la prochaine décennie, certains économistes s’attendent à 3%, voire au-delà, grâce à l’adoption généralisée de l’IA. Dans le domaine bancaire, on pense tout naturellement à l’analyse financière où la couverture de chaque analyste sera accrue par sa capacité à traiter rapidement des flux importants de données. 

Comment analysez-vous ses impacts?

Nous distinguons quatre types d’impacts quand nous étudions une entreprise. L’IA aura-t-elle un impact sur ses revenus? On pense par exemple aux robo-advisors qui accroissent les volumes de vente. L’IA aura-t-elle un impact sur ses marges en permettant d’optimiser les coûts? L’IA permettra-t-elle de réduire, voire de détruire, les barrières à l’entrée? Et enfin, la communication que fait l’entreprise sur son usage de l’IA est-elle réaliste ou assiste-t-on à de l’AI-Washing? Cette approche nous a permis de distinguer plusieurs secteurs qui seront sans aucun doute impactés favorablement.

Nous sommes neutres sur les actions avec une légère préférence pour les actions américaines et une légère sous-pondération sur les marchés émergents.

Quels sont les secteurs les mieux placés?

La consommation de base (en particulier l’alimentation) qui dispose d’un très grand nombre de données sur les tendances de consommation et où l’IA permet une amélioration impressionnante de la gestion des stocks. Walmart en est un bon exemple. La consommation discrétionnaire (la mode notamment) avec des exemples comme le chatbot de Zalando. Le secteur de la santé est un autre excellent candidat dans la mesure où l’IA permet d’accélérer la recherche et le développement de traitements. Un modèle d’intelligence artificielle du MIT – Equibind -découvre des molécules médicamenteuses potentielles mille fois plus vite que les techniques utilisées jusque-là1. Johnson & Johnson travaille avec NVIDIA sur la façon dont ses technologies peuvent accélérer l'analyse sécurisée et en temps réel des données chirurgicales. Dans le domaine des télécoms, l’IA permet de fluidifier les réseaux. Dans celui des réseaux électriques, elle permet d’améliorer l’efficience énergétique. La banque n’est pas en reste: JP Morgan consent un investissement de 1,6 milliards de dollars par an dans l’IA pour améliorer ses processus. Dans un secteur où la main d’œuvre représente 56% des coûts, optimiser en vaut la peine. Une étude de l’Université de Stanford conclut que l’IA permet aux agents des call centres de résoudre 13,8% de problèmes en plus2. Pour la première fois en 2023 aux Etats-Unis, 1,6% des licenciements (soit 3000 personnes) ont été attribués à l’IA.

Pour en revenir aux conflits, quels secteurs favorisent-ils?

Ce qui concerne la sécurité sous toutes ses formes et notamment la cybersécurité mais aussi celle des approvisionnements. C’est le cas - beaucoup commenté - du paracétamol qui provient pour la plus grande part de Chine ou d’Inde. Notez à propos de cybersécurité que l'IA est susceptible de favoriser le nombre et la sophistication des cyberattaques. 

Quelle votre allocation dans ce contexte?

Nous sommes neutres sur les actions avec une légère préférence pour les actions américaines et une légère sous-pondération sur les marchés émergents. Dans le champ des obligations, nous favorisons l’investment grade, la rémunération sur le high yield étant peu attractive à nos yeux notamment en cas de hausse des taux de défaut. Nous lui préférons les risques de structure, sous la forme de subordonnées de sociétés de très bonne qualité. 

 

[1] Artificial intelligence model finds potential drug molecules a thousand times faster: https://news.mit.edu/2022/ai-model-finds-potentially-life-saving-drug-molecules-thousand-times-faster-0712

[2] Will Generative AI Make You More Productive at Work? https://hai.stanford.edu/news/will-generative-ai-make-you-more-productive-work-yes-only-if-youre-not-already-great-your-job

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