Un rendement de 8% et financer la transition énergétique

Emmanuel Garessus

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La dette privée permet de financer la transition énergétique avec un rendement stable de 8%, selon Franck Sabbah, de la banque Berenberg.

Le financement de la transition énergétique est un marché de croissance à long terme. L’investisseur dispose de nombreux instruments pour y participer. La dette privée en fait partie et elle permet parfois de viser un rendement stable d’environ 8%, indique Franck Sabbah, responsable du développement des activités de gestion d’actifs de la banque Berenberg. Cette dernière, 2e plus ancienne banque du monde, a la particularité d’être en commandite. Elle gère le fonds Berenberg Green Energy Junior Debt, lequel vient d’annoncer une coopération avec GoldenPeaks Capital pour le financement d’un parc solaire en Pologne. Une équipe de 17 personnes est dédiée à ce segment de la dette privée au sein de la banque et plus d’une vingtaine  d’autres experts se consacrent à d’autres formes de dette privée. Franck Sabbah répond aux questions d’Allnews:

Quand Berenberg s’est-elle spécialisée dans la dette privée?

Historiquement, Berenberg, basée à Hambourg, a depuis ses débuts en 1590 participé au financement du transport maritime. Ce choix lui a permis de développer une culture de la gestion du risque à long terme et donc de traverser les crises. En 2017, nous avons décidé de développer un pôle de dette privée, lequel comprend le financement de navires, de financement aux entreprises (corporate direct lending) ainsi que le financement des énergies renouvelables. Nous nous sommes ainsi positionnés sur des marchés de niche à travers des solutions très flexibles. 

La banque profite ici de son savoir en matière de gestion des risques. Dans notre fonds de dette privée sur les énergies renouvelables, nous n’avons connu aucun défaut à ce jour.

«Dans notre fonds de dette privée sur les énergies renouvelables, nous n’avons connu aucun défaut à ce jour.»

Quelles sont vos ambitions dans les énergies renouvelables?

Les événements politiques, notamment la guerre en Ukraine, ont accéléré les réflexions et les investissements en Europe dans les énergies renouvelables, en particulier dans le solaire et l’éolien. Les énergies renouvelables profitent de la volonté de développer les capacités énergétiques en Europe d’ici 20 à 30 ans sachant que les technologies sont en perpétuelle évolution. Nous souhaitons maintenir et renforcer notre rôle de spécialistes dans ce secteur.

Pourquoi privilégier la dette junior dans ce segment?

Nous nous sommes spécialisés dans la dette junior parce que le nombre d’acteurs y est moins élevé sur un segment qui nécessite une forte compréhension du marché et de la technologie. Afin de fournir un financement basé sur les actifs, il  s’agit non seulement d’accompagner des entreprises mais de prévoir des garanties, ce qui nécessite un savoir-faire particulièrement développé. Dans le cas éventuel d’un défaut, l’équipe de gestion pourrait être amenée à reprendre la mise en œuvre opérationnelle de l’activité. 

En Pologne, nous sommes par exemple au coeur de cet aspect, avec un investissement récent dans le solaire. Les promoteurs sont souvent très connus dans l’industrie et nous les accompagnons depuis de longues années. Le due diligence en est naturellement facilité. 
L’équilibre final qui est trouvé entre le solaire et l’éolien est assez mouvant en fonction des cycles. Dans le cas de la Pologne, il s’agit d’un parc solaire.

Comment parvenez-vous à un taux de défaut nul?

Nous y parvenons grâce à notre savoir dans la sélection de projets et grâce à notre expertise. L’année dernière, nous avons sélectionné environ 10% des projets qui nous ont été présentés. 

Dans les énergies renouvelables, la demande est énorme à tous les stades, du développement à la construction en passant par l’opération. Compte tenu de la volonté de diversifier l’approvisionnement énergétique et d’accélérer les investissements dans les énergies renouvelables, nous pourrions financer 10 fois plus de projets qu’aujourd’hui.

Nous ne cherchons pas la partie la plus risquée ni l’«early stage», comme le pré-développement. 

Nous nous concentrons plutôt sur la partie qui offre environ 8% en euros, et qui combine des rendements similaires à ceux des actions avec un bon profil de risque et des flux de trésorerie prévisibles. Ces dernières années, nous avons prouvé que nous avions cette capacité de sélection. 

Il existe peu de «pure players» dans la dette junior en infrastructures renouvelables en Europe si bien que notre expertise est reconnue et nous permet d’avoir accès aux informations clés du marché. 

Notre positionnement est très particulier. Nous observons souvent que les autres acteurs ont une stratégie plus large que les énergies renouvelables et financent aussi des aéroports ou des autoroutes.

«Nous pensons que par la suite nous allons un peu étendre les types de projets que nous sommes prêts à financer pour étendre la chaîne.»

L’environnement a beaucoup changé ces dernières années. Nous sommes passés d’une période de taux négatifs à celle d’une forte remontée des taux et maintenant à une détente monétaire. Dans tous ces environnements, nous avons pu maintenir les mêmes marges de financement. Cela s’explique par la stabilité du sous-jacent puisque notre rôle premier auprès des investisseurs est de leur ramener leur capital. Notre volonté de ne pas être trop gourmand est finalement un atout.

Avez-vous des projets d’extension?

Nous pensons que par la suite nous allons un peu étendre les types de projets que nous sommes prêts à financer pour étendre la chaîne. Au final, si nous sommes en mesure de financer un parc solaire en Pologne, d’autres questions adjacentes se posent comme celle du stockage de l’énergie, donc des batteries, et celle du réseau électrique et des infrastructures digitales. L'équipe bénéficie déjà d’un historique solide pour le financement de ces types d'actifs.

D’où vient la volatilité du rendement des projets, dans le contexte des difficultés récentes de nombreux acteurs du solaire et de l’éolien?

La volatilité du rendement de la partie opérationnelle dépend principalement des taux d’intérêt et des prix de l’énergie. Il faut préciser que le marché est très fragmenté, entre l’«early stage», la construction, la promotion et les opérations. Plus on est proche de la mise en opération et plus on est sensible à la variation du prix de l’énergie. Nous l’avons vu récemment avec les difficultés d’opérateurs solaires en Espagne. 

Concrètement, nous offrons un financement-relais, ce qui nous permet d’avoir des marges stables entre 4 et 5%. Elles se sont d’ailleurs accrues depuis 18 mois grâce à une hausse de la demande.  

Nous sommes sur une niche du marché dont la duration est limitée à 2-3 ans. Les producteurs s’engagent sur une plus longue période mais ils sont en mesure de rembourser cette dette junior assez rapidement. Cela montre d’une part que l’activité fonctionne et d’autre part que cela plaît aux investisseurs. Le pipeline de projets grossit d’année en année.

Qu’en est-il de la diversification géographique, dans le contexte des énormes droits de douane décidés par Joe Biden sur le solaire chinois? Le marché européen n’est-il pas soumis au risque chinois?

Les promoteurs de champs solaires en Europe disposent de pipelines assez larges et stables. Ils sont donc moins dépendants des aléas politiques. Nous avons aussi financé des parcs au Chili, qui restent certes minoritaires.

Un pool de constructeurs mondiaux sera peut-être en mesure de construire des plateformes un peu partout dans le monde et d’être moins sensibles aux sanctions imposées dans certains pays dans le futur.

A vous entendre, la dette junior est-elle plus sûre que les actions d’entreprises des énergies renouvelables?

Oui, puisque structurellement la partie actions est la plus exposée. Les risques de taux et de prix de l’énergie persistent mais nous observons surtout que la demande est forte. Certains promoteurs ou opérateurs ont peut-être voulu se déployer trop vite et ils ont subi un manque de succès, mais d’autres acteurs ont bien réussi avec du crédit-relais assez court. 

Nous voulons éviter de rechercher un rendement trop haut où le risque serait plus proche de celui des actions et où le risque de défaut serait plus élevé.

En réalité, tout le monde est satisfait: Les autorités cherchent à diversifier le mix énergétique, pousser les énergies renouvelables. Les investisseurs institutionnels ont de plus en plus de demande d’investissements dans des stratégies financières qui ont un impact environnemental et offrent un rendement satisfaisant. 

L’équilibre n’est toutefois pas aisé à trouver entre les besoins de l’investisseur, la capacité à sélectionner les bons opérateurs et les bons projets et à relier les deux points, mais nous sommes confiants. Nous gérons environ 800 millions d’euros. Nous ne serons pas un mastodonte de la dette privée mais nous nous considérons comme des artisans spécialisés.

Quelle a été votre performance depuis 2017? Avez-vous pu faire du 9%?

L’objectif est d’obtenir une marge de 4 à 5% au-dessus du taux de référence, pour viser actuellement 8% de rendement total. Nous sommes actuellement dans le haut de la fourchette après avoir été plus bas. L’objectif de stabilité des marges dans le temps a été atteint depuis 2017.

Quels types d’investisseurs s’y intéressent?

Les institutionnels sont friands de ce secteur, notamment les assurances, mais aussi les caisses de pension. En Suisse, nous profitons auprès des caisses de pension du fait que la poche «infrastructures» soit devenue une poche à part entière. Certains family offices sont également attirés par ce segment notamment par l’aspect «transition énergétique».

Quelle est la taille moyenne des financements?

Il arrive que nous participions au financement de certaines tranches, mais le «deal» moyen oscille entre 30 et 50 millions d’euros.

Comment évolue le spread en ce moment et dans la perspective de la baisse des taux’?

Avec la future baisse des taux, le rendement total devrait diminuer légèrement. Pendant des années, le rendement net atteignait 4% à 5%. Il a ensuite augmenté du fait de la hausse des taux Avec une baisse des taux, le rendement peut redescendre vers 7% à 8%
Si la partie flottante peut un peu corriger, la partie «marge de financement» est assez stable.

Quelle est l’évolution de la collecte dans la dette privée?

Un net ralentissement s’est produit l’an dernier dans les levées de fonds. La période de taux bas était très faste pour la dette privée. En 2022, lors de la baisse des actions et des obligations, les institutionnels se sont retrouvés avec une pondération trop forte sur la dette privée, et les marchés privés en général, par rapport à leur cible. En 2023, le rendement obligataire satisfaisait les besoins des institutionnels si bien que le segment illiquide est resté un peu délaissé. L’activité est en train de reprendre dans la dette privée. 

Un autre enjeu est à signaler, à savoir la vitesse de déploiement des fonds, donc le rythme auquel il est possible d’investir les fonds dans les projets. Il est important ici de disposer d’une équipe capable de bien sélectionner les projets. Nous savons qu’en 6 à 9 mois nous sommes en mesure de déployer les capitaux et de permettre à l’argent de travailler.

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