Un cycle complet de crédit

Nicolette de Joncaire

4 minutes de lecture

«10 ans comprimés en une seule année: en 2020, la gestion active a vraiment fait la différence». Entretien avec Peter Becker de Capital Group.

Jugée meilleure société de fonds et meilleur prestataire de fonds obligataires en Suisse pour 2020 par les analystes de Morningstar, Capital Group, créée en 1931 à Los Angeles, est plus connue pour ses vastes portefeuilles d’actions – 1'900 milliards de dollars d’actifs - que pour sa poche obligataire… de 450 milliards tout de même. Venu d’Europe, l’essor des produits de taux est relativement récent mais tout à fait remarquable: +85% entre 2015 et 2020. Etabli à Genève, première antenne hors Etats-Unis ouverte en 1962, et depuis 2015 présent à Zurich, Capital Group a de solides attaches en Suisse. C'est là que sous le nom de Capital International, la société a créé ce qui allait devenir les indices MSCI (acronyme de Morgan Stanley Capital International), aujourd’hui gérés par MSCI Inc mais initialement conçus comme outil de travail interne. Tant sur les marchés actions que sur les marchés de taux, la recherche fondamentale sur les perspectives à long terme est la pierre angulaire du processus d’investissement. Entretien avec Peter Becker, directeur d’investissement obligataire.

Comment se présentera selon vous le rebond post-pandémie?

Lors de notre réunion biannuelle sur la stratégie des portefeuilles, nous avons défini notre feuille de route des 12 à 18 prochains mois. Le rebond ne fait aucun doute après l'effondrement de l'an dernier. Mais sa force et son évolution ont été fortement débattues. La Chine annonce une croissance de 8% - notre propre indicateur la situerait plutôt à 6,5%, donc moins dynamique que les données officielles mais néanmoins impressionnante. Or, il ne faut pas oublier qu’une croissance de 4% à 5% du PIB chinois ajoute l’équivalent de la taille de l'économie canadienne au PIB mondial tous les deux ans. Un tel élan économique est de nature à déclencher une hausse du prix des matières premières – déjà bien visible – et un redémarrage de tout l’écosystème économique environnant. En parallèle, aux États-Unis, le paquet fiscal de Joe Biden était la touche finale que le marché attendait pour conforter son optimisme. Il s’agit, rappelons-le, de 1'900 milliards de dollars soit 8,5% du PIB. Son effet multiplicateur sera moins de 1, mais un taux de croissance de l’ordre de 8% aux US en 2021 serait envisageable. L’Europe n’est pas en reste avec un programme de reprise de 750 milliards d’euros, complémenté de plans nationaux. Beaucoup de stimulus donc couplé à beaucoup d'accommodation. Avec pour corollaire, un consensus du marché sur la croissance globale de 5,5% (en tenant compte d’une immunité collective atteinte d'ici le milieu de l'année). Nous pensons également que cette année sera une année très forte pour la croissance mondiale, plus forte que ce que nous avons vu au cours des dix dernières années au moins, comme certaines économies majeures devraient se réchauffer au deuxième trimestre grâce aux progrès des programmes de vaccination et grâce à une augmentation des dépenses de consommation. Au cours des 6 à 8 dernières semaines, on a observé une petite ressemblance avec la situation de 2013 du «taper tantrum» (hausse des taux des bons du Trésor américain et volatilité accrue sur le marché des actions), comme les marchés ont intégré cette prévision de croissance plus élevée et certains s’inquiètent quant à l'évolution de la situation en raison d’un possible regain d’inflation.

A court terme, nous n’attendons pas de changement
significatif des politiques de la Fed ou de la BCE.
Si l’inflation se confirme, quel effet aura-t-elle sur les marchés obligataires?

A court terme, les taux remontent, car les marchés anticipent une hausse de l'inflation. L'augmentation récente de l'inflation est toutefois due à des effets de base et est une conséquence de la hausse du prix des matières premières et devrait être temporaire. Ce que les banques centrales semblent reconnaitre. Donc, toujours à court terme, nous n’attendons pas de changement significatif des politiques de la Fed ou de la BCE. Sur le moyen terme (9, 12, 18 mois), après avoir étudié la question en détail, nous ne sommes pas particulièrement inquiet sur une peur de l'inflation dans la mesure où les marchés du travail ont été fortement endommagés et qu'il leur faudra du temps pour revenir au statu quo ante. Nous pensons qu'il s'agit d'une reprise lourde de productivité. Il n’y aura par conséquent pas de pression sur les salaires. En plus, la Fed a clairement indiqué avoir modifié son cadre politique pour prioriser l’emploi et tolérer une inflation supérieure à 2%. A notre sens donc, les taux d'intérêt à court terme resteront faibles jusqu’en 2023. Quant aux taux à long terme, passés de 90 à 160 points de base depuis le début de l'année, leur hausse sera limitée car une pente excessive de la courbe n'est pas durable. Mais nous sommes dans un environnement de croissance plus forte et il pourrait y avoir une pression à la hausse sur les rendements, en particulier sur les bons du Trésor américain. Sur le long terme, disons 5 ans et plus, les perspectives de l'inflation seront moins sures. Une école de pensée estime qu'un passage au financement direct des gouvernements par les banques centrales pourrait conduire à un résultat plus inflationniste, mais compte tenu d’un horizon d’investissement limité de 12 à 18 mois, cela est moins pertinent pour nos vues sur les marchés aujourd'hui.

Que cela signifie-t-il sur les différents segments obligataires?

La reprise et le soutien des banques centrales se reflètent déjà dans les prix. Grâce à ce soutien, les spreads du segment Investment Grade sont de l’ordre de 100 points de base, à des niveaux historiquement chers s’ils sont ajustés pour la qualité du crédit. Sur la période 2003-2007, ils étaient inférieurs à 80 pb. Notez qu’à l'époque la qualité des indices de crédit était plus élevée car ils incluaient moins de notations BBB. Il faut donc aujourd’hui être plus sélectif pour investir dans ce segment car la dispersion au sein des indices a beaucoup augmenté. Pour les secteurs vulnérables (transport aérien, hôtellerie, restaurations), il faut constamment se poser des questions: l'entreprise est-elle en mesure de survivre à la fermeture? Combien de temps? Peut-elle conserver sa notation IG? Car si la notation d’un titre se dégrade à high yield, son prix sera lourdement affecté. Or, en 2020, 280 milliards de dollars de titres sont sortis de l’Investment Grade par déclassement. Pour ce qui est du segment High Yield, on a assisté à un nettoyage en profondeur en raison des défauts de paiement du secteur de l'énergie, et les taux de défaut ont peut-être atteint un sommet. Néanmoins, ces taux resteront élevés pendant un certain temps, ce qui constitue un argument supplémentaire pour être sélectif.

Tant le yuan que le won coréen
sont des devises très porteuses.
Quel type de gestion convient-il le mieux à une période aussi turbulente?

L’année dernière a représenté un cycle complet de crédit: 10 ans comprimés en une seule année. Et a démontré que la gestion active pourrait vraiment faire la différence.  

Les meilleures opportunités sont-elles sur les marchés émergents?

Le Sud-est asiatique est une zone qui présente des poches de valeur car il bénéficiera d'une croissance plus forte que la moyenne avec le redémarrage de la demande des écosystèmes occidentaux et de la Chine. Toutefois, nous sommes baissiers sur la Thaïlande où le rendement est faible et le portage bas et lui préférons la Malaisie. Par ailleurs, certains pays classés High Yield offrent un excellent potentiel, par exemple des marchés frontières africains comme l'Angola, la Tunisie ou la Côte d'Ivoire, soutenus par le FMI et offrant une marge de rattrapage. Il ne faut toutefois pas être concentré et acheter un panier de pays en limitant le poids de chacun à 1-1,5%. Autres segments d’intérêt: les titres en devises locales dont certaines – en Amérique Latine ou en Afrique du Sud - offriront du potentiel si, à terme, le dollar US faiblit.

Les obligations chinoises sont-elles attrayantes?

Nous aimons beaucoup la Chine. Le taux de croissance y est élevé, les titres offrent un bon portage et la monnaie sera soutenue par le gouvernement. C’est l’une de nos positions clé. A ce propos, j’aimerai souligner que tant le yuan que le won coréen sont des devises très porteuses.

A lire aussi...