Un autre regard sur la Chine

Anne Barrat

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Pour Alice Wang, «mal comprises par l’Ouest», les mesures du gouvernement chinois sont un pas vers une économie plus durable.

Et si la méfiance occidentale vis-à-vis du «programme de rectification» lancé par le gouvernement le 26 juillet dernier, qui vise directement les géants chinois de l’économie digitale, relevait davantage d’une perception radicalement différente de la gouvernance d’un pays? C’est-à-dire du rôle des pouvoirs publics dans la promotion d’une «prospérité commune». Commune à tous, pas seulement à quelques happy few. Ce qui est sûr, c’est que ce programme crée à très court terme de véritables opportunités d’investissement, explique Alice Wang, gestionnaire des fonds Bamboo et China chez Quaero Capital.

Comment analysez-vous les récentes mesures prises par le gouvernement chinois et la réaction occidentale?

Tout d’abord, l’arsenal ne se résume pas à un renforcement de la réglementation antitrust, il comprend également des mesures pour favoriser non seulement l’accès des Chinois aux services de santé, notamment dans les zones rurales, mais aussi un meilleur équilibre des jeunes générations et la promotion de produits de consommation, nourriture en tête, de bonne qualité. C’est donc la vie quotidienne de près d’un milliard et demi d’habitants qui est en jeu. En outre, sur le fond, le «programme de rectification» lancé par le Ministère de l’Industrie et des Technologies de l’Information (MIIT), qui entend encadrer les pratiques anticoncurrentielles et la sécurité des données, est favorable à la monté en puissance de PME dans un secteur très profitable aujourd’hui aux mains de quelques entreprises, Tencent et Alibaba notamment.

Finalement, ce que l’Europe et les Etats-Unis perçoivent comme une répression, qui les a conduits à sortir les capitaux de Chine pour les investir dans les nombreuses IPO que connait actuellement l’Asie dans le domaine des techs, les dirigeants chinois le voient comme des mesures nécessaires pour un avenir durable.

Les valorisations des sociétés chinoises paraissent d’autant plus attrayantes que celles de leurs paires asiatiques sont surcotées.
Commençons par les mesures antitrust et leur impact sur la valorisation des géants de l’Internet. Sont-elles de bon augure pour les investisseurs?

A court terme comme à long terme, oui, sans équivoque. Les valorisations sont basses, les sociétés décotées, alors même qu’elles affichent des résultats très honorables et, surtout, des perspectives de croissance importantes. Ceci vaut aussi bien pour Alibaba que pour Tecent.

Les valorisations des sociétés chinoises paraissent d’autant plus attrayantes que celles de leurs paires asiatiques sont surcotées. Un élément que les investisseurs étrangers devraient pondérer avant de retirer leurs capitaux de Chine.

Il ne faut pas se trompe: réguler l’accès à Internet, augmenter la surveillance des plateformes pour réduire le poids de la publicité et de la concurrence déloyale ne va pas réduire la croissance des sociétés de nouvelles technologies. La Chine continuera d’être un marché à forte croissance des bénéfices; les sociétés Internet présentent des fondamentaux solides et très favorables à des investisseurs de long terme.

Parler de la fin de ces géants est donc hors de propos?

Bien au contraire. Ce que le gouvernement cherche à arrêter, c’est l’argent facile comme aux États-Unis, qui cherche des situations de rente dans Internet en tirant avantage de l’addiction des consommateurs. Il est temps de mettre fin à des comportements qui n’ont aucune valeur ajoutée et de réorienter les flux financiers vers des secteurs certes plus risqués, mais beaucoup plus innovants et pertinents pour le bien commun. Vers des entreprises qui rendent meilleure la vie des gens, y compris dans le secteur des médias sociaux et des sociétés de streaming,

Quid du pan des mesures qui concernent la santé et les biens de consommation. Dans quelle mesure sont-ils des opportunités d’investissement?

Les secteurs de la santé et de la consommation sont aujourd’hui sous-estimés. Les thèmes d’investissement porteurs en Chine reflètent ce que le gouvernement veut pour le pays. Il souhaite par exemple favoriser la montée en puissance de PME qui permettent aux médecins chinois d’intervenir dans des zones rurales. Ou bien proposent des produits innovants, médicaments, implants orthopédiques, matériels chirurgicaux, qui contribuent à réduire les coûts de la santé, donc son accès par un plus grand nombre.

En Asie, les gouvernements sont vus comme intelligents parce qu’ils mettent le bien du public avant tout et permettent aux gens de réussir en fonction de leurs mérites.

Ou encore les scooters électriques, parce qu’ils participent à la fois à une stratégie de désenclavement des campagnes et aux objectifs énergétiques affichés par la Chine. Ou encore les pharmaceutiques, qu’elles opèrent dans les secteurs classiques de la médecine occidentale, visant à traiter les maladies, ou qu’elles proposent des médecines traditionnelles chinoises, visant à assurer un bien-être global de la personne. Autant dire que les opportunités pour investir dans l’innovation que souhaite mettre en avant le gouvernement ne manquent pas.

Le plus grand malentendu entre l’Est et l’Ouest ne concerne pas les secteurs mais les gagnants dans chaque secteur industriel.

In fine, plutôt que d’effrayer ces mesures devraient rassurer?

Le gouvernement a su prendre les bonnes décisions pour réduire l’écart entre les happy few, gagnants de l’économie digitale en particulier, et la grande majorité des Chinois. Il est intervenu à temps pour limiter les dommages de pratiques néfastes aussi bien pour le tissu économique que pour le quotidien des gens. Bien sûr les critiques ont fusé, qui ont principalement dénoncé le processus de mise en œuvre de ces décisions, quand elles n’ont pas porté sur l’intégrité-même de ces décisions. Ce sont deux façons de voir qui s’opposent ici: celle du laissez-faire occidental et celle du leadership indispensable pour gérer un pays aussi grand et diverse que la Chine. L’Ouest part du principe que les gouvernements sont incompétents, bureaucratiques et inefficients. En Asie au contraire, les gouvernements sont vus comme intelligents parce qu’ils mettent le bien du public avant tout et permettent aux gens de réussir en fonction de leurs mérites. Simplifier les intentions du gouvernement chinois comme tendent à le faire certains Occidentaux revient à sous-estimer l’intelligence et la capacité d’observation des dirigeants chinois. Et pourrait conduire à déserter la Chine alors que ‘est un moment idéal pour renforcer son exposition.

Comment voyez-vous 2022 pour la Chine?

Le risque va augmenter, les primes de risque aussi. La croissance chinoise va ralentir. Et ce, pour plusieurs années. Ce qui est bon pour les valeurs de croissance. Plus la croissance est lente, plus elle est précieuse – une leçon nous avons apprise des États-Unis au cours de la dernière décennie. De grosses opportunités d’achat fleuriront, certaines entreprises bénéficieront des nouvelles réglementations.

2022 sera celle du congrès du parti. Or, en règle générale, les rendements ont tendance à être meilleurs les années de congrès du parti.

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