Taux: un spread français durablement élevé

Emmanuel Garessus

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Le spread entre la France et l’Allemagne peut encore légèrement augmenter. Il ne reviendra pas à son plus bas, selon Eléonore Bunel de Lazard Frères Gestion.

Les taux d’intérêt sont résolument orientés à la baisse en Europe, en particulier en Suisse. Mais les marchés obligataires sont nerveux. La dissolution du parlement français a créé une vague d’incertitude et le spread de taux long entre la France et l’Allemagne s’est élargi. Eléonore Bunel, directrice de la gestion obligataire de Lazard Frères Gestion, répond aux questions d’Allnews:

Quelles sont vos prévisions sur les taux d’intérêt à court terme en Europe?

Les taux d’intérêt devraient continuer à baisser en Europe. Tant la Banque centrale européenne (BCE) que la Banque nationale suisse (BNS) sont engagées dans un cycle de baisse des taux directeurs et ont fait un premier pas de 25 points de base. Ce cycle de baisse résulte de la réduction de l’inflation. Il permet de mettre en œuvre des politiques monétaires moins restrictives. Mais le combat contre l’inflation n’est pas terminé. La hausse des prix a d’ailleurs rebondi en mai. L’inflation atteint 2,6% dans la zone euro et 2,9% hors énergie et alimentation. Le dernier km est plus compliqué à réaliser et justifie la vigilance des banques centrales. La baisse des taux courts sera donc graduelle sur les marchés monétaires. Cela devrait se traduire par un repositionnement des investisseurs sur la classe d’actifs obligataire afin de capter des rendements plus élevés.

Est-ce que l’élargissement du spread entre la France et l’Allemagne provoquera une crise de la dette en Europe?

La probabilité d’un scénario de crise est faible même si le spread peut légèrement augmenter en fonction du résultat des élections françaises. Pour autant, il faut garder en tête que malgré la hausse des spreads, les taux d’intérêt des obligations françaises sont en réalité revenus à des niveaux proches de ceux du 7 juin en quelques jours, tandis que les taux allemands ont connu une baisse notable sur la même période. A ce stade, nous n’assistons donc pas à une «envolée des taux», contrairement à l’époque de la crise des dettes souveraines de 2011-2012.

«Nous aimons bien le marché obligataire européen parce que les fondamentaux sont très bien orientés».

Vers quel niveau le spread peut-il s’élargir?

La volatilité persistera jusqu’au second tour des élections législatives qui aura lieu le 7 juillet. L’écart entre les taux français et allemands avait atteint jusqu’à 85 points de base lors de la présidentielle de 2017 entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, et même 140 -150 pb durant la crise des dettes souveraines. Nous ne devrions pas grimper à ce sommet, mais le spread actuel d’environ 80 pb peut continuer d’augmenter vers 90-100 pb. Nous pensons qu’un retour de l’écart de l’OAT-Bund à 45 pb est peu probable. La Commission européenne semble le confirmer, elle qui vient de publier un avertissement relatif au déficit budgétaire excessif de la France et de l’Italie.

Si aucun des trois blocs n’obtient la majorité aux législatives, ce scénario avec un spread de 100 pb se poursuivra-t-elle longtemps?

Un écart de 100 pb ne devrait pas être durable, mais le niveau actuel pourrait l’être. L’incertitude sur la capacité de gouvernement empêchera un retour vers les 45 pb.

L’investisseur devrait-il acheter des OAT à 3,1% à 10 ans aujourd’hui?

En raison de la volatilité attendue ces prochaines semaines, la réponse n’est pas aisée. Je serais plutôt patiente et tenterais d’en ajouter après les élections du 7 juillet sur des niveaux légèrement plus hauts.

Les rendements obligataires français sont actuellement en ligne avec ceux que nous avons connus en 2023. Le mouvement est assez raisonnable et mesuré. D’ailleurs, après l’abaissement de la notation de la France par S&P le 31 mai, la réaction est restée très faible.

A quel point la BCE va-t-elle encadrer les mouvements de marché sur la dette française?

Il importe que le futur gouvernement soit en ligne avec la politique économique de la Commission européenne et n’entre pas en confrontation avec elle. La BCE apporte son soutien à travers le réinvestissement des obligations arrivés à échéance dans le cadre du programme PEPP. Elle pourrait intervenir en cas d’élargissement excessif du spread, mais nous sommes très éloignés d’un cas de stress majeur. L’écart de 140 pb observé depuis longtemps pour l’Italie ne pose d’ailleurs aucun problème.

Est-ce que le rendement des obligations suisses peut encore diminuer?

Oui, en lien avec le processus de désinflation. Malgré des différences de niveaux, l’inflation et les taux suivent globalement les mêmes tendances qu’en zone euro. La BNS continuera donc de baisser son taux directeur.

Préférez-vous les obligations françaises à 10 ans ou les obligations suisses au cours actuel?

Si la volatilité se poursuit sur la dette française, dans le sillage des élections, il devrait être possible d’obtenir des prix plus attractifs sur les obligations françaises. Mais il n’y a pas lieu de se précipiter.

Dans ce contexte, comment investir sur les marchés obligataires?

En décembre dernier, le marché anticipait sept baisses de taux de la part de la Fed et de la BCE. Un «re-pricing» majeur s’est ensuite réalisé. Aujourd’hui, avec un environnement de taux d’intérêt plus élevé sur toutes les classes d’actifs, le niveau de rendement des obligations est devenu très attractif sur l’Investment Grade, le High-Yield et la dette souveraine.

Notre stratégie consiste à capter ces rendements assez élevés dans l’anticipation de la baisse des taux monétaires. Pour bloquer ces rendements par exemple à 5 ans, les fonds à maturité constituent un instrument idéal, que ce soit dans l’IG (autour de 4%) ou le High-Yield (autour de 6%). Le rendement du crédit d’une manière générale nous semble attractif.

«Il importe que le futur gouvernement soit en ligne avec la politique économique de la Commission européenne et n’entre pas en confrontation avec elle».

Si les taux vont baisser, nous ne prévoyons pas d’augmentation de la prime de crédit. Le portage est très intéressant parce que les fondamentaux des banques et des entreprises restent très bien orientés. Nous n’assistons pas à une détérioration des ratios de crédits. Les entreprises déclarent s’attendre à une amélioration au deuxième semestre. Quant aux banques européennes, il semble que leurs résultats soient plutôt bons. L’image d’ensemble est donc constructive.

Le deuxième aspect à considérer concerne la valorisation, c’est-à-dire le rendement total. Ce dernier se situe à des niveaux historiquement très élevés. Les entrées de fonds sont d’ailleurs très importantes depuis plusieurs trimestres dans les différents segments obligataires.

Quel est le potentiel de baisse des taux longs?

Ce potentiel est assez limité en raison du volume d’émissions obligataires attendu sur la partie longue de la courbe.

La courbe est inversée de 40 à 50 pb en Europe et aux Etats-Unis. Si la diminution des taux courts démarrait, le potentiel serait supérieur sur les échéances à deux ans, plus liées à la politique monétaire. Avec des anticipations de croissance qui demeurent correctes en Europe et aux Etats-Unis, le rendement des échéances longues devrait moins baisser que celui à deux ans. A moyen terme, la courbe de taux devrait se normaliser, avec des taux à court terme inférieurs aux taux à long terme. Nous préférons donc capter le rendement sur la partie courte de la courbe parce que le potentiel de baisse des taux est plus élevé.

Quand la courbe de taux retrouvera-t-elle une pente positive?

C’est une question difficile car c’est la première fois que nous avons une inversion de courbe aussi longtemps, mais la repentification de la courbe pourrait survenir au deuxième semestre ou début 2025. C’est un pari que nous mettons en place dans nos portefeuilles.

Existe-t-il des marchés obligataires plus intéressants qu’en Europe?

Nous aimons bien le marché obligataire européen parce que les fondamentaux sont très bien orientés. Nous avons également accru l’exposition au High-Yield américain. Ces dernières années le rendement en dollar «hedgé» en euro était inférieur à celui du rendement du High-Yield en euro. Depuis le début de l’année, le prix de cette couverture est un peu moins cher si bien que le rendement est devenu similaire. L’intérêt consiste à profiter d’un marché américain qui est trois fois plus grand et compte trois fois plus d’émetteurs. Cette constellation améliore le potentiel de diversification.

Quelle est votre opinion sur le crédit?

Il existe d’intéressantes opportunités dans les différents secteurs du crédit, aussi bien High-Yield qu’IG. Les obligations des banques françaises ont particulièrement souffert, dans le sillage des élections. La vulnérabilité de ces dernières devrait persister à court terme. La difficulté consiste ici à s’assurer d’une liquidité suffisante sur ces valeurs dans la perspective d’un repositionnement futur de l’investisseur.

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