Sous-traiter les activités bancaires, une menace pour les données des clients?

Salima Barragan

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«La plupart des incidents constatés sont dus à des fuites internes», estime Jean-Claude Favre, de Belmont Consulting Services.

Les banques suisses surfent sur une tendance à externaliser certaines de leurs activités auprès de partenaires tiers. Pour des raisons de coûts. Selon, Jean-Claude Favre, directeur de Belmont Consulting Services et auteur d’une étude sur l’évolution des relations entre les banques suisses et leurs prestataires BPO (Business Process Outsourcing), elles pourraient être amenées à externaliser davantage leurs services de back-office à l’étranger. Entretien.

Pour quelle raison les prestataires BPO ont-ils commencé à susciter de l’intérêt lors de la crise financière de 2009?

Avant la crise, quelques acteurs proposaient déjà d’externaliser les services d’informatiques et de back-office, mais les établissements étaient alors craintifs de perdre la maîtrise de leurs données clients, surtout face à des prestataires ayant eux-mêmes le statut de banque. Puis lors de la crise, la baisse de la rentabilité des établissements bancaires a remis en question leur modèle d’affaire. Ainsi, dans une optique de réductions des coûts, les prestataires BPO ont suscité un regain d’intérêt.

Les banques suisses ont-elles choisi des fournisseurs BPO étrangers?

Les établissements suisses n’ont, pour l’instant, pas l’opportunité de choisir des fournisseurs à l’étranger. A l’époque, le secteur bancaire suisse était bien gardé et les fournisseurs BPO étrangers ne pouvaient pas s’implanter. Oddo, une société française, a essayé de s’imposer sans grand succès. Mais cela évolue…

Il y a déjà des volontés de délocaliser
certains services de back-office hors de Suisse.
Dans le futur, seront-elles amenées à travailler avec des sociétés étrangères?

C'est une possibilité. Il y a déjà des volontés de délocaliser certains services de back-office hors de Suisse. Mais cela prendra du temps avant que des sociétés étrangères puissent développer de nouvelles solutions adaptées aux activités suisses et à leurs aspects réglementaires. Les principaux acteurs suisses offrent des outils (Avaloq, Temenos, Olympic, Apsys, Finnova, S2i ou G2) au bénéfice d’un historique de 10 à 20 ans.

La sous-traitance des activités par un BPO étranger pourrait-elle porter préjudice à la protection des données des clients?

La protection des données des clients reste un élément très fort et présent malgré l’abandon du secret bancaire. La protection de la sphère privée a été renforcée par des lois tant suisses qu’européennes et, aujourd’hui, on exige des banques une meilleure gestion des CID (donnés clients), ce qui ajoute des contraintes supplémentaires aux systèmes utilisés. La conservation et la protection des données des clients est du ressort et de la responsabilité des banques avec la mise en place d’une gestion adaptée de ces données. Mais cela n’empêcherait pas au demeurant de gérer ces données depuis l’étranger.

Dans le cas d’un back-office ou d’un fichier central externalisé, le risque de fuites de noms de clients n’est-il pas plus important?

Il n'y a pas, a priori, davantage de risque. La plupart des incidents constatés ces dernières années étaient dus à des fuites internes de collaborateurs ayant récupéré des données et les ayant transmises à l’extérieur. Le point faible reste le facteur humain.

Le principal élément d’insatisfaction des banques reste l’incapacité
de leurs fournisseurs à les accompagner dans l’évolution digitale,
Selon vous, comment évoluera ce modèle d’affaire?

Il n’y aura pas de remise en question des prestataires BPO car ce modèle permet à une banque en création de réduire ses investissements de départ et ses coût fixes. D’ailleurs, les dernières nées ont toutes choisi d’intégrer ce modèle. Il y aura par contre davantage de BPO à la carte avec la sous-traitance de quelques secteurs d’activité, comme par exemple le fichier valeur ou les OST. Néanmoins, les banques existantes exigent des solutions plus modernes. Or un système bancaire basé sur des technologies modernes nécessite un investissement conséquent. Est-ce qu’un acteur sera prêt à investir pour le marché helvétique qui compte seulement quelques centaines d’établissements?

Les fournisseurs BPO peuvent-ils répondre aux attentes basées sur de nouvelles technologies comme la blockchain?

Selon notre étude, le principal élément d’insatisfaction des banques reste l’incapacité de leurs fournisseurs à les accompagner dans l’évolution digitale, au travers de la mise à disposition d’outils comme l’ouverture de comptes et les propositions d’investissement automatiques, les robo-advisors et le «client life cycle management». Ils peinent à répondre à ces sollicitations dans des délais raisonnables. Il y a également un nouveau besoin de gérer et valoriser et suivre les actifs digitaux qui reposent sur le blockchain. Mais cela va au-delà du «Core Banking System» car le réseau bancaire actuel n’est pas adapté à ces nouvelles classes d’actifs. De nouveaux acteurs émergeront et les fournisseurs BPO devront être capables de s’adapter et de communiquer avec ceux-ci.

La compétitivité de la place financière genevoise
n'est pas liée à ses systèmes d’information.
La place financière genevoise pourrait-elle perdre en compétitivité avec ce modèle d’affaire?

Je ne crois pas que la compétitivité de la place financière soit liée à ses systèmes d’information mais à sa connaissance pointue du métier et à la capacité des banques suisse à servir pleinement leurs clients. Si demain nous externalisions davantage à l’étranger, cela réduirait davantage la structure des coûts mais ne serait pas suffisant pour assurer un niveau de compétitivité et d’excellence.

Comment évolueront les banques suisses d’ici dix ans?

Toutes les banques vont devoir prouver qu’elles maîtrisent les nouvelles technologies. Les banques de détail font face à une nouvelle menace avec le développement des fintechs et elles devront mettre à disposition de leurs clients des solutions innovantes. En ce qui concerne les banques privées, les classes d’actifs numériques seront un élément important de leur transformation. Les outils de travail du Front Office vont devoir s’adapter afin de savoir gérer ces nouveaux actifs. Seuls les établissements faisant preuve de créativité seront présents dans dix ans.

* 2008-2018: Dix années de PBO dans les banques suisses «Quelles ambitions pour la décennie à venir?