L’été boursier s’annonce chaud. Les valeurs technologiques consolident et d’autres secteurs prennent le relais. Dans son rapport intermédiaire, BlackRock se révèle confiant à l’égard de la technologie, en particulier de l’intelligence artificielle (IA). Il souligne qu’au niveau global, les marchés pourraient connaître une transformation comparable à la Révolution industrielle. Ann-Katrin Petersen, Chief Investment Strategist de BlackRock pour l’Allemagne, l’Autriche, la Suisse et l’Europe de l’Est, répond aux questions d’Allnews sur sa politique d’investissement pour le deuxième semestre:
Dans votre rapport semestriel, vous recommandez les actifs risqués. Or une correction semble se mettre en place. Quelle pourrait être l’étendue de ce mouvement?
Nous restons favorables aux actifs risqués sur une base sélective. Notre principal scénario favorise ce que nous appelons «l’intelligence artificielle concentrée», à savoir une concentration sur une poignée de bénéficiaires de l’IA, ce qui comprend la technologie, les semi-conducteurs ainsi que ses fournisseurs de l’IA issus de l’énergie et du secteur des services publics. Nous pensons que les actions de ces entreprises continueront à générer des rendements sur un horizon tactique de six à douze mois. La hausse des cours devrait continuer à être soutenue par des fondamentaux solides.
«Alors que la saison des résultats trimestriels démarre, les investisseurs doivent garder à l’esprit que 40% des bénéfices des membres de l’indice Russell 2000 se contractent».
La rotation intervenue ces derniers jours en faveur des petites capitalisations a été alimentée par le ralentissement de l’inflation américaine et l’attente de futures baisses des taux par la Fed. Nous continuons à suivre de près les bénéfices des entreprises. Alors que la saison des résultats trimestriels démarre, les investisseurs doivent garder à l’esprit que 40% des bénéfices des membres de l’indice Russell 2000 se contractent. La situation contraste avec les leaders de la technologie. Certes la barre est sans cesse ajustée à la hausse, mais les résultats de la tech pourraient bien continuer à égaler ou à dépasser les attentes, comme ce fut le cas au premier trimestre.
Nous pensons que la concentration du marché constitue une caractéristique – un trait plutôt qu’un défaut - de l’environnement actuel. Ce dernier se traduit par des investissements transformateurs considérables dans l’économie réelle liée à l’émergence de l’IA, dans la transition énergétique et dans la refonte des chaînes d’approvisionnement mondiales. Les investisseurs devraient prendre en compte cette profonde transformation et ses conséquences dans une optique à long terme.
Est-ce que cette concentration est un signal de la force de la tendance du marché?
C’est une caractéristique de l’évolution de l’IA. Dans une première phase, nous attendons à ce que seule une poignée de sociétés bénéficient de la transformation, celles qui appartiennent à la tech, aux semi-conducteurs, à l’énergie et aux services publics. Un exemple concret: La croissance prévue des investissements dans les centres de données, qui se manifeste par des taux d’augmentation de 60 à 100% sur une base annuelle, nécessite d’importants besoins en énergie et en ressources naturelles. Ces efforts surviennent au moment où la transition énergétique et l’électrification font déjà appel à une demande accrue de certaines matières premières.
Dans une étape suivante, les gains de l’IA conduiront à un élargissement à d’autres secteurs et dans une troisième phase à l’économie dans son ensemble, qui profitera alors de gains de productivité. Nous sommes confiants que ce développement se produira en plusieurs étapes. L’incertitude porte sur le moment des différentes étapes. Pour les six à douze prochains mois, nous maintenons notre scénario de concentration sur un petit nombre de bénéficiaires de l’IA.
Comment reconnaître l’arrivée des étapes suivantes de l’IA? Est-ce possible dès cette année?
Il n’est pas impossible que la deuxième étape se produise déjà cette année, mais cela prendra probablement plus de temps. La deuxième étape concernera les secteurs qui sont en train d’adopter l’IA, comme la santé et la finance. Mais il faut d’abord que les investissements de la première étape, comme ceux en Data Centers progressent. Les indicateurs évoqués dépendront donc, entre autres, de la construction des Data Centers et du degré d’adoption de l’IA.
Quel sera l’effet de l’IA sur l’inflation?
Contrairement au consensus, nous pensons que l’IA sera inflationniste à court terme, en raison de la forte demande d’investissements et de la demande d’énergie et de ressources naturelles qu’elle induit. Ces développements devraient être liés à une offre encore limitée. Nous pensons que ni les banques centrales ni les marchés n’ont encore intégré ces perspectives.
Une partie de la récente baisse de la technologie est venue de commentaires de Donald Trump sur le besoin de sécurité de Taïwan qui devrait moins dépendre des Etats-Unis. Est-ce que les mesures que prendrait Donald Trump s’il était élu sont vraiment dans les cours?
Après l’attentat contre Donald Trump la réaction du marché a reflété l’anticipation des mesures qu’il prendrait une fois élu, à commencer par un allégement des réglementations, une baisse des impôts mais aussi une hausse des droits de douane et un protectionnisme accru. En termes d’investissements, il est trop tôt pour tirer des conclusions définitives des élections présidentielles américaines. La campagne sera longue et incertaine.
Quel est votre scénario principal sur les élections présidentielles?
Notre scénario de base, appelé «IA concentrée», ne dépend pas directement du résultat des élections présidentielles américaines. Nous suivrons les développements politiques de près. Lorsque nous comparons les programmes démocrates et républicains, il en ressort que, quoiqu’il arrive le 5 novembre, la politique budgétaire restera expansive.
«Contrairement au consensus, nous pensons que l’IA sera inflationniste à court terme».
Le déficit budgétaire américain s’élevait à 7-8% du PIB au début de l’année. Il pourrait rester de l’ordre de 6% du PIB à moyen terme. A l’inverse de la zone euro, considérée dans son ensemble, le déficit public américain devrait se creuser de sorte que la dette publique devrait représenter environ 150% du PIB en 2030 et jusqu’à 200% en 2040, selon le CBO.
Nous avertissons les investisseurs de garder ces chiffres en tête parce que la situation des finances publiques influencera la prime de terme, soit la compensation demandée par les investisseurs pour le risque de détenir des obligations à long terme. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous nous attendons à une normalisation de la courbe de taux d’intérêt, donc à sa pentification. Dans notre allocation stratégique (à 5 ans ou davantage), nous préférons d’ailleurs les obligations britanniques à la dette américaine et nous sous-pondérons les bons du Trésor américain, par rapport à notre indice de référence
Les actions européennes sont sous-évaluées de 30% par rapport aux américaines. Pourquoi préférez-vous les valeurs américaines?
Prise séparément, la valorisation des marchés européens paraît attrayante, couplée à un environnement de reprise économique après cinq trimestres de stagnation et une première baisse des taux d’intérêt par la BCE, qui sera sans doute suivie d’autres plus tard. Nous continuons de préférer les actions américaines pour deux raisons, la forte croissance des bénéfices des entreprises américaines et l’avantage des Etats-Unis dans la transformation liée à l’IA sur notre horizon tactique
Face à l’incertitude politique en France, est-ce que vous achetez des OAT à chaque hausse du spread avec le Bund?
Notre attitude est neutre à l’égard des OAT dans une optique à 6 à 12 mois. Le spread restera probablement plus élevé qu’avant l’annonce des élections législatives anticipées, en raison de l’incertitude politique et des risques pesant sur la consolidation fiscale. Il s’agira d’observer si ces risques se concrétisent véritablement et si la notation de la dette est à nouveau réduite.
Est-ce que la BCE interviendra et achètera des obligations françaises?
La BCE estime que l’évolution du spread s’est faite dans un «réajustement ordonné» et elle n’est pas inquiétante à ce jour. Mais elle se tient prête à utiliser tous les instruments nécessaires pour s’opposer à un élargissement«injustifié» de l’écart et assurer une transition en douceur, si le besoin s’en fait ressentir.
Votre deuxième plus grande conviction concerne les actions japonaises. Vous les recommandez sans vous protéger contre une baisse du yen. Pourquoi êtes-vous si confiants envers le Topix et le yen?
Nous surpondérons les actions japonaises depuis le début de l’année dernière. Nous avons relevé cette recommandation en début d’année et l’avons introduite sur un horizon stratégique de 5 ans et plus. Nous sommes convaincus que le Japon connaîtra une inflation modérée et que la politique monétaire, toujours expansive, se normalisera prudemment. Les taux d’intérêt réels sont toujours négatifs au Japon.
Nous pensons aussi que les réformes de gouvernances d’entreprises favorables aux actionnaires évolueront et continueront à augmenter le rendement des fonds propres. Le récent affablissement du yen a pénalisé les investisseurs internationaux mais le différentiel de taux entre la Fed et la BoJ continuera de diminuer. Le yen devrait s’apprécier contre le dollar et l’euro au fil du temps
Quelle est votre opinion sur l’or, qui est en train de battre de nouveaux records?
L’or est un actif qui peut offrir une diversification et contribuer à la protection contre l’inflation. Nous prévoyons que l’inflation reste volatile et s’établisse à un niveau plus élevé qu’avant la pandémie. A moyen terme, elle devrait osciller entre 2,5 et 3% aux Etats-Unis.
Ne pensez-vous pas que l’inflation est morte aux Etats-Unis?
Non, nous pensons qu’elle sera durablement plus élevée et plus volatile qu’avant la pandémie. La pénurie de main d’œuvre due aux vents démographiques contraire se traduit par des pressions sur les salaires, lesquelles sont une composante majeure de l’inflation dans les services. D'autres forces structurelles, telles que la réorganisation des chaînes d'approvisionnement mondiales et la transition vers une économie à faibles émissions de carbone, ajoutent également aux pressions sur les coûts.