Réduire les biais géographiques et sectoriels

Emmanuel Garessus

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Les marchés devraient être plus élevés à la fin 2025 qu’aujourd’hui, mais le parcours sera semé d’embûches, selon Sébastien Gyger, de la BCV.

Avec un marché de l’emploi en pleine forme et une croissance solide, les Etats-Unis continuent de recueillir les suffrages des investisseurs et des stratégistes après l’élection de Donald Trump. Mais après deux années de fortes hausses, les actions américaines peuvent-elles encore s’apprécier? Est-il temps de préférer d’autres régions? Après avoir correctement prévu la hausse des actions américaines et de l’immobilier suisse, Sébastien Gyger, directeur des investissements à la BCV, répond aux questions d’Allnews:

Est-ce que 2025 sera le miroir des deux dernières années pour les investisseurs?

En 2024, avec le soutien de la baisse des taux, il est vrai que les actions, notamment américaines, l’or et l’immobilier suisse ont présenté de très bonnes performances. 

La combinaison d’une croissance stable au plan mondial, et solide aux Etats-Unis, et d’une décrue de l’inflation a formé un environnement économique très porteur pour les marchés financiers. 

Le scénario de 2025 devrait présenter des similitudes et quelques éléments perturbateurs. Le spectre de la récession est à nouveau renvoyé à plus tard. Nous prévoyons la poursuite d’une croissance solide aux Etats-Unis et assez stable dans le monde. Par contre, la partie aisée de la décrue de l’inflation appartient au passé, notamment aux Etats-Unis, et certaines composantes du renchérissement sont très collantes, par exemple la hausse des salaires, surtout dans les services, et les prix de l’immobilier.

L’inflation augmentera-t-elle en réponse au programme de Donald Trump?

Si le programme de Donald Trump était mis en œuvre dans le bon ordre et sans excès, il devrait soutenir la croissance et augmenter l’inflation. Les marchés devraient le digérer à condition qu’il soit lancé avec doigté. Mais le sera-t-il? A l’orée de 2025, nous nous attendons à un accroissement des impondérables, des incertitudes et des défis. 

Les impondérables sont liés à la nature même du nouveau président américain, qui joue sur des politiques de rupture. L’imprévisibilité est évidente sur la partie tarifaire de son programme et sur son souhait de renvoi massif de migrants. Une forte émigration se traduit généralement par une hausse de l’inflation et une diminution de la croissance. Il n’est pas certain que ces facteurs puissent être allégés, dans leurs effets sur les prix, par des baisses d’impôts pour les ménages et les entreprises et par une réduction de la réglementation. L’incertitude porte sur le timing, l’ampleur et la séquence des différences mesures ainsi que sur leur impact sur le couple croissance-inflation. L’exercice suppose beaucoup de subtilité, ce qui n’est apparemment pas la qualité première de Donald Trump.

«Tant que la hausse de taux est conduite par de bons chiffres économiques, les marchés financiers ne devraient pas trop souffrir».

Quels sont les principaux défis?

Il s’agira en premier lieu de savoir comment les partenaires et les adversaires des Etats-Unis réagiront aux barrières tarifaires. Un second défi concerne la réaction des banques centrales, en particulier celle de la Fed si l’inflation augmente trop, celle de la BCE si elle entend raviver une économie atone et celle de la BNS si elle veut gérer la force du franc.

Est-ce que le taux de change ne sera pas la variable d’ajustement des mesures protectionnistes? L’économie ne finit-elle pas par s’ajuster?

L’économie s’ajuste si elle le peut. L’Europe le pourra-t-elle? Il est paradoxal de constater que l’euro, pondéré par les échanges commerciaux, est bon marché par rapport au dollar, mais cher vis-à-vis des monnaies asiatiques.

Les Etats-Unis devront aussi faire des choix. Donald Trump ne peut pas tout avoir: des droits de douane, un renvoi massif de migrants illégaux et un dollar faible.

Comment l’investisseur peut-il se positionner dans cet environnement?

Nous commençons l’année 2025 comme nous avons terminé 2024. Nous n’avons pas effectué de changements majeurs. Nous sommes neutres à surpondérés sur les actions. Nous avons peu de surpondérations géographiques si ce n’est un biais américain, et nous intégrons quelques décisions thématiques, en particulier les financières américaines - juste avant et après l’élection de Donald Trump. Nous privilégions les actions d’entreprises de bonne qualité et nous restons globalement bien diversifiés, donc exposés tant à la Suisse qu’à l’Europe et aux marchés émergents. Nous avons aussi un peu d’or et, bien sûr, de l’immobilier suisse. 

Dans la partie obligataire, nous avons privilégié les titres suisses, en prenant quelques profits durant l’année, et nous avons maintenu nos expositions dans les obligations à haut rendement.

Est-ce que vous prévoyez que les prochains mois seront marqués par des turbulences en réponse à la présentation de la politique de Donald Trump?

S’il veut marquer le coup, Donald Trump peut imposer d’emblée son programme de droits de douane. Le reste prendra davantage de temps. Si les mesures sont mal dosées et si les autres pays répliquent par d’autres tarifs, le couple croissance-inflation peut être déstabilisé. L’impact négatif serait évident sur les taux et les actions. 

Nous pensons qu’à fin 2025, les marchés seront globalement plus élevés qu’à la fin de 2024, mais le parcours sera davantage semé d’embûches qu’en 2024. La visibilité et les certitudes ont diminué.  

Le rendement à 10 ans est remonté à 4,8%. Prévoyez-vous une hausse au-delà de 5%?

Nous prévoyons pour 2025 un rendement des Bons du Trésor US à 10 ans entre 4% et 5%. Le taux peut dépasser 5%, si l’inflation augmente trop à la suite d’un mauvais dosage de la politique économique américaine; peut rester entre 4,5% et 5%, si les mesures sont pro-business et pro-inflation mais de façon contrôlée; peut se situer entre 4 et 4,5%, si le scénario dit des «boucles d’or» se prolonge; et peut passer en dessous de 4%, si la croissance est insuffisante. 

Tant que la hausse de taux est conduite par de bons chiffres économiques, les marchés financiers ne devraient pas trop souffrir parce qu’elle serait associée à une progression plus soutenue des bénéfices. Si la hausse des taux répond à une hausse des anticipations d’inflation ou à un excès d’émissions d’emprunts du Trésor, ce serait plus délicat.

Les incertitudes n’ont-elles pas aussi augmenté en Europe?

Certes, mais si l’optimisme est très élevé aux Etats-Unis, le pessimisme est extrême en Europe et il se reflète dans les indices de confiance ainsi que dans les valorisations des marchés des actions. 

L’écart de performance économique est massif, mais le risque boursier en ce début d’année est plus élevé aux Etats-Unis qu’en Europe, compte tenu de la différence entre les attentes. Pour cette raison, nous restons bien diversifiés sur les plans géographique et sectoriel. Nous prenons en compte une fragilité du marché: sa forte concentration sur les Etats-Unis (plus de 70% de l’indice MSCI Monde) et en majorité sur trois secteurs (Tech, services de communication, consommation discrétionnaire).

Pour réduire les risques liés aux droits de douane, les actions domestiques sont-elles les plus adaptées?

Les études sont nombreuses à conseiller les small & mid caps américaines précisément pour cette raison. Il apparaît qu’au contraire les grandes et les petites entreprises présentent la même part de revenus issue de l’étranger. L’argument n’est donc pas valable. 

Il est vrai que nous avons cherché à diversifier nos positions aux Etats-Unis, mais nous avons opté pour des financières et des valeurs énergétiques, ce dernier secteur protège contre un risque géopolitique. Nous pensons ici à l’ensemble des secteurs énergétiques et  nous le considérons sous un angle défensif. 

Le niveau des valorisations est faible dans les financières et dans l’énergie, et les dividendes relativement généreux. Ces deux secteurs peuvent aussi profiter d’une politique d’allégement réglementaire aux Etats-Unis.

«Donald Trump ne peut pas tout avoir: des droits de douane, un renvoi massif de migrants illégaux et un dollar faible.»

Les small & mid caps suisses et européennes ont encore souffert. Est-ce que les valorisations sont intéressantes?

Il est intéressant de voir que cette faiblesse relative s’est globalisée. Elle se retrouve aux Etats-Unis, en Europe, en Suisse. La durée de cette sous-performance est d’ailleurs étonnamment longue.

Une grande différence se fait jour entre les Etats-Unis et la Suisse. Nous ne sommes pas revenus sur ces valeurs aux Etats-Unis parce qu’elles sont très sensibles au cycle de taux, parce qu’elles sont plus endettées et parce que leur profil de rentabilité est plus faible. En revanche, en Suisse elles sont peu endettées. Nous avons diversifié notre exposition dans les small & mid caps suisses. Et nous avons eu le fin nez de choisir le bon produit.  

Est-ce que l’incertitude vous empêche d’investir dans les émergents?

Les marchés émergents affrontent deux obstacles majeurs. Premièrement, sur le plan monétaire, la Chine a attendu que la Fed baisse ses taux pour continuer d’affirmer son soutien à l’économie. Nous nous attendons à ce qu’elle attende les mesures de Donald Trump pour réagir. Mais les marchés en espèrent davantage. Ce qui explique la déception des indices chinois.

Deuxièmement, lorsque la Chine a très bien performé, l’automne dernier, les autres marchés émergents ne l’ont pas accompagnée à la hausse. Cela signifie que les investisseurs n’ont pas saisi cette opportunité pour revenir globalement sur les émergents.

Nous privilégions une attitude prudente à ce stade envers ces marchés avant d’augmenter nos positions.

Pourquoi la monnaie chinoise n’a-t-elle pas baissé dans l’anticipation des droits de douane?

La Chine gère son taux de change et perdrait en crédibilité, si le yuan devait fortement baisser. Les autorités chinoises souhaitent faire du yuan un concurrent crédible au dollar à long terme. Pékin doit répondre à la double exigence de soutenir son économie et de gérer son risque de change. 

Mais si les Etats-Unis devaient frapper très fort, Pékin n’aurait pas d’autre choix qu’une dépréciation du yuan. 

La Chine reste une économie affaiblie à la suite de la crise de son marché immobilier. Depuis cinq ans, elle a pris de nombreuses mesures qui ont amoindri son potentiel économique. Elle a présenté une politique sanitaire très stricte durant le covid. Elle a ensuite imposé des contraintes réglementaires fortes, notamment dans le secteur immobilier, secteur qui contribuait à environ 25% à 30% de son PIB. Par conséquent, la confiance des ménages est en berne depuis 2020. Et Pékin a toutes les peines à relancer la dynamique interne. De plus, les entreprises étrangères rechignent à investir en Chine en raison d’une concurrence qu’elles considèrent comme déloyale.

Est-ce que vous considérez un investissement dans une classe d’actifs qui a déçu en 2024 comme l’immobilier international?

Pour les institutionnels qui ont beaucoup investi dans l’immobilier suisse et qui cherchent des solutions de diversification, l’immobilier international présente un certain intérêt après la baisse des valorisations, notamment en Europe. Nos spécialistes travaillent d’ailleurs sur le sujet.

Est-ce que la Suisse retrouvera les taux négatifs?

Nous pensons sérieusement à cette possibilité, d’autant plus après la décision de la BNS de baisser ses taux de 50 points de base en décembre. L’inflation devrait se rapprocher encore de 0% à un horizon de six mois. La BNS devrait accompagner ce mouvement en gardant une politique monétaire accommodante. 

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