Privilégier les entreprises qui se fixent des objectifs réalistes en matière de durabilité

Yves Hulmann

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Pour John Ploeg de PGIM, il faut tenir compte non seulement des tendances actuelles et historiques des émissions d'un émetteur mais aussi de la trajectoire future de celles-ci.

En matière d’investissement durable, existe une multitude d’approches et de critères qui sont utilisés pour évaluer dans quelle mesure un portefeuille de titres est aligné ou non sur les Accords de Paris. Comment s’y retrouver? Selon John Ploeg, co-responsable de la recherche ESG chez PGIM Fixed Income, il est particulièrement utile de pouvoir disposer d’outils communs tels que l’approche appelée «temperature alignment» qui prend en compte non seulement les tendances actuelles et historiques des émissions d’un émetteur, mais aussi les attentes concernant la trajectoire future de ses émissions. Il juge cette approche plus pertinente que celle qui repose sur la mesure de la seule «empreinte carbone». Explications avec le spécialiste des questions liées à l’investissement durable chez PGIM.

Quelle est l’approche d’investissement de PGIM conçue dans le but d’«aligner les portefeuilles sur Paris» et comment a évolué votre approche de sélection des investissements récemment?

L'approche, souvent adoptée par les investisseurs pour aligner leurs portefeuilles sur Paris, consiste à mesurer une «empreinte carbone» – généralement définie, pour une entreprise donnée, comme ses émissions divisées par sa valeur d'entreprise ou son chiffre d'affaires, avant d'être agrégée au niveau du portefeuille - pour ensuite se fixer un objectif de réduction de cette empreinte. Cependant, nous pensons que cette approche manque de nuances essentielles et conduit souvent plus à des rotations sectorielles qu’à des investissements dans des entreprises qui sont dans un processus de décarbonisation de manière organique.

«Nous nous concentrons donc sur les émetteurs qui produisent le plus d'émissions, car c’est là que nos efforts sont les plus rentables.»

Pour les clients qui souhaitent aligner leurs portefeuilles sur Paris, notre processus de sélection préféré est basé sur notre outil exclusif d’alignement des températures. Cet outil prend en compte non seulement les tendances actuelles et historiques des émissions d'un émetteur, mais aussi les attentes concernant la trajectoire future de ses émissions. Dans un premier temps, ces attentes sont basées sur les objectifs déclarés de l'entreprise, puis elles sont affinées en tenant compte de la crédibilité - ou non - de ces objectifs. Nous essayons enfin de comparer cette trajectoire future à une trajectoire pertinente spécifique au secteur de l'entreprise et à son point de départ. Il en résulte une «note» d'alignement des températures attribuée à chaque entreprise, ce qui constitue, selon nous, une meilleure façon d'évaluer l'alignement de Paris.

Y a-t-il d’autres critères de comparaison qui sont davantage pertinents en fonction du profil de l’entreprise ou de son secteur d’activité spécifique?

Bien sûr, le chiffre d’affaires est un critère qui a l’avantage de permettre de comparer plus facilement le volume d’émissions de CO2 de n’importe quelle société avec la taille de ses activités, même lorsqu’il s’agit d’entreprises qui sont actives dans des domaines très différents. Il est aussi possible de comparer les émissions de CO2 par rapport à une certaine quantité de production d’un bien ou service donné, par exemple des tonnes de béton chez les cimentiers, le nombre de passagers transportés dans le transport aérien, etc. Toutefois, dans ce cas, les possibilités de comparaison sont limitées à l’intérieur d’un secteur et ne peuvent être effectuées qu’entre des entreprises actives dans des domaines relativement similaires.

Est-il pertinent de comparer les émissions de sociétés actives dans des domaines aussi différents que les logiciels, en principe peu polluants, et les cimentiers, par définition grands émetteurs de CO2, par exemple?

Définir des objectifs pour chaque secteur serait l’approche la plus sensée dans l’idéal. Toutefois, cette approche est également problématique dans la pratique lorsque l’on gère un portefeuille si celui-ci est toujours basé sur l'empreinte carbone : vous pouvez toujours manquer des nuances critiques au niveau de l’émetteur. C’est pourquoi, je pense que l’approche appelée «temperature alignment» est un outil plus approprié, car elle permet de saisir ces nuances de manière plus complète.

La définition d’objectifs de réduction des émissions de CO2 pour des secteurs ou des entreprises données n’est-elle pas elle-même sujette à manipulation? Certaines entreprises pourraient être tentées de se fixer des objectifs trop faciles à atteindre, alors que d’autres s’en tiennent à des objectifs plus ambitieux mais difficiles à réaliser ou hors d’atteinte…

Nous regardons bien sûr quel est le contenu en détail des objectifs définis par les entreprises et si ceux-ci sont réalistes ou au contraire trop souples. Nous n’accordons pas beaucoup d’importance à la seule fixation d’objectifs mais nous veillons à ce que ceux-ci soient adaptés aux activités spécifiques de chaque entreprise. Il est aussi important de tenir compte de la trajectoire des émissions de chaque société et de la crédibilité de celles-ci par rapport aux objectifs visés. De manière générale, nous préférons que les entreprises se fixent des objectifs réalistes, répartis entre différentes étapes intermédiaires, plutôt que des sociétés qui affichent des ambitions spectaculaires de style «nous atteindrons le Zéro Net en 2040» mais qui ne sont pas toujours crédibles, ni clairement mesurables.

«Nous préférons que les entreprises se fixent des objectifs réalistes, plutôt que des sociétés qui affichent des ambitions spectaculaires mais qui ne sont pas toujours crédibles.»

Cela nécessite un travail d’évaluation considérable. Comment procédez-vous: utilisez-vous vos propres bases de données ou recourrez-vous à des services de recherche externes?

Nous bâtissons notre analyse à partir d’autres recherches fournies par des prestataires tiers - payantes ou non. Nous rassemblons ensuite toutes ces sources de données. Lorsqu’elles sont cohérentes et racontent la même histoire, nous sommes plus confiants. Lorsqu’il y a en revanche des divergences, nous devons effectuer un travail qualitatif plus approfondi. Cela peut nécessiter de nombreuses analyses pour chaque émetteur, y compris parfois des entretiens visant à recueillir davantage d'informations. Nous nous concentrons donc sur les émetteurs qui produisent le plus d'émissions, car c'est là que nos efforts sont les plus rentables.

Il existe aujourd’hui une foule d’initiatives, de task force ou d’autorités qui définissent différents standards en lien avec la durabilité. Comment est-il possible pour un gérant ou des investisseurs individuels de s’y retrouver parmi cette multitude d’acronymes et de normes différentes?

Certaines personnes décrivent cela en tant qu’«ESG alphabet soup» en anglais. Toutes ces approches en lien avec la durabilité apportent néanmoins quelque chose; elles ont toutes leur raison d’être. Maintenant, en tant que gérant ou en tant qu’investisseur, il est important de décider quels aspects revêtent le plus d’importance et de définir les ressources que l’on peut mobiliser dans cette optique. C’est pourquoi je pense que le fait de déterminer et d’utiliser un concept commun tel que le «Temperature Alignment» d’un portefeuille fournit une aide très importante.

Quel sera l’impact de l’évolution de la régulation, notamment en Europe avec les nouvelles règles de MiFid concernant les placements ESG, pour favoriser l’adoption des placements durables chez davantage d’investisseurs?

A ce sujet, il faut distinguer entre, d’un côté, les règles qui concernent la distribution des placements durables, ou leur adéquation avec les souhaits et préférences des clients, et les règles qui concernent la définition de ce qui est durable ou non et l’impact des placements sur l’environnement. MiFid concerne avant tout le premier aspect.

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