Mille milliards désormais à portée des gérants indépendants

Nicolette de Joncaire

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«Nous assistons à un transfert de la prévoyance étatique à la prévoyance privée» explique Alexandre Michellod de Lemania Pension Hub.

La prévoyance évolue. Vers un contexte toujours plus difficile: alors que le taux technique se plaçait aux environs de 4,5% en 2005, il tourne parfois même autour de 0 chez certaines fondations collectives aujourd’hui. Un état de fait qui fragilise encore davantage l’univers des caisses de pension suisses, pourtant doté dans sa totalité d’encours proches de mille milliards de francs et représentant le composant essentiel de la fortune de la plupart des Suisses. Contributions et rendements en baisse, paiements en hausse, comment les organismes de prévoyance réussiront-ils une transition que le rejet, il y a trois ans, de la loi Prévoyance vieillesse 2020 a compromise encore davantage. D’autant que des capitaux de plus en plus importants «dérivent» de l’épargne obligatoire vers l’épargne surobligatoire et le libre-passage. Un changement de paradigme que nous décrit Alexandre Michellod Président du Conseil de Lemania Pension Hub et membre du Comité Exécutif de la Banque Gonet à Genève.

Pouvez-vous esquisser un bref panorama actuel de la prévoyance?

Notez en premier lieu que, si le nombre d’affiliés LPP est en hausse constante – il dépasse aujourd’hui 4 millions -, le nombre de caisses de pension a lui considérablement diminué. Des quelques 2900 caisses existantes en 2004, il ne reste actuellement qu’environ 1'500, dont seulement un tiers est propre à une société alors qu’elles étaient près de 1500 en 2004.  En effet, pour un employeur, maintenir une caisse de pension indépendante devient toujours plus difficile sous l’angle économique. Les fondations collectives connaissent dans ce contexte un développement très important. Par ailleurs, nous assistons à une forme de «dérive» entre le régime de prévoyance étatique (1er et 2e pilier obligatoire) et celui de la prévoyance privée (surobligatoire, libre-passage et 3a).

Comment s’explique cette dérive?

Au-delà de la polarisation provoquée par le politique, elle trouve son origine en partie avec l’augmentation des flux financiers dans la prévoyance professionnelle. Ces derniers ont deux origines bien différentes avec, tout d’abord, l’essor depuis novembre 2017 des plans 1e réservés aux revenus de plus de 127’980 francs et, ensuite, l’accélération de la sortie des épargnes des caisses de pension vers des institutions de libre-passage. Pour ce qui est de la seconde, cette envolée s’explique par la mobilité professionnelle et la péjoration du marché de l’emploi. Les carrières ne sont plus linéaires: entre changements de carrière, à l’international en particulier, et hausse du nombre de personnes au statut d’indépendant – par choix ou par force -, un nombre croissant d’assurés sort des caisses de pensions et entre dans une situation de prévoyance transitoire en situation de libre-passage.

Nous sommes au croisement de la gestion
de fortune privée et de la prévoyance.
La crise actuelle va-t-elle accélérer ce phénomène?

Sans aucun doute. L’effet COVID sera significatif sur la dégradation du marché du travail donc sur les pertes d’emplois, et, de là, sur l’augmentation des comptes de libre-passage. Notre scénario post-crise le plus pessimiste anticipe jusqu’à 50'000 destructions d’emplois en Suisse. Soit environ 10 milliards de flux financiers vers le libre-passage.

Avec quelles conséquences?

Avec une responsabilisation de l’assuré dans tous les cas de figure. Dans le cas du plan 1e, l’assuré peut adapter sa stratégie à sa situation patrimoniale ou à ses convictions. Dans le cas du libre-passage, il lui incombe également – et pour de toutes autres raisons - de décider de sa ligne d’investissement. Notez bien que les gens sont souvent perdus car ils ne savent comment gérer des avoirs dont la responsabilité revenait en totalité à leur caisse de pension, en fonction de règles établies par la loi. Bien souvent, ils ne savent même pas qu’en libre-passage, ils ont perdu le bénéfice de leurs prestations assurantielles c’est-à-dire des garanties contre le risque de décès ou d’invalidité. Mais tout est loin d’être sombre car tant pour l’épargne surobligatoire que pour le libre-passage, les assurés, s’ils doivent supporter les risques, peuvent aussi décider de la stratégie d’investissement qu’ils veulent mettre en œuvre.

Il s’agit donc de gestion «privée» de la prévoyance?

Il s’agit effectivement de solutions d’investissement en libre choix au sens où les assurés peuvent décider du style de leur gestion patrimoniale, ce pour lequel notre plateforme Lemania a été conçue, en tant qu’intermédiaire entre l’asset management et le wealth management dédié à la prévoyance. Disons, pour simplifier, que nous sommes au croisement de la gestion de fortune privée et de la prévoyance.

Comment cette responsabilisation fait-elle évoluer le marché?

Avec la responsabilisation des assurés, la gestion des actifs de la prévoyance cesse d’être une chasse gardée des gérants de l’asset management et peut revenir aux conseillers personnels et aux gérants indépendants. Pour preuve, au terme de deux ans d’activité, nos deux ombrelles de fonds se montent à quelques 350 millions de francs. Outre une architecture très ouverte, elle offre quatre stratégies standardisées à disposition des wealth managers et des courtiers et se propose en white label. Depuis septembre, la plateforme intègre également le service de comparaison Performance Watcher qui permet aux intermédiaires d’évaluer de façon transparente la qualité des produits proposés sur la plateforme.

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