Les priorités du leader du courtage d’assurance

Emmanuel Garessus

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La gestion de données sensibles est centrale sur le marché, selon Christian Burrus, de Diot-Saci, et Jean-Maurice Cailler, de Qualibroker-Swiss Risk & Care.

Le marché du courtage est en effervescence. Le rapprochement de Qualibroker et de Swiss Risk & Care donne naissance au premier courtier indépendant romand et deuxième sur le plan suisse. La société fait partie du groupe Diot-Siaci, premier courtier en assurance en France, leader en Europe continentale, deuxième au Moyen-Orient et 18e au monde. Il emploie 7000 personnes dans le monde.

Son chiffre d’affaires dépassera le milliard d’euros à fin 2024, ce qui correspond à environ 15 milliards de primes, pour 5 millions d’assurés. La moitié du chiffre d’affaires provient de France pour des raisons historiques. Mais la part issue du reste du monde progresse rapidement.

«Lorsque nous nous installons dans un pays, nous devons appartenir aux leaders», déclare Christian Burrus, co-président du groupe Diot-Siaci. «Tous les risques sont à notre portée, qu’il s’agisse d’assurer des satellites dans l’espace, l’extraction nucléaire au Niger ou encore le traitement de déchets nucléaires», avance-t-il. Le capital du groupe Diot-Siaci appartient à 55% au management, dont 42% à la famille Burrus.

Jean-Maurice Cailler, président et CEO de Qualibroker-Swiss Risk & Care et Christian Burrus, co-président de sa maison mère, le Groupe Diot-Siaci, répondent aux questions d’Allnews:

Quel est votre positionnement sur le marché de l’assurance?

Christian Burrus: Dans le monde, le marché de l’assurance est dominé par les Anglo-saxons. Mais pour les économies nationales, il est extrêmement important d’avoir une contrepartie locale pour des raisons de gestion et de protection des informations.

Le courtier d’assurance est en effet détenteur de données sensibles. C’est le cas par exemple en matière de maladie puisque nous intervenons comme gestionnaire des frais de santé. Nous avons également une activité de conseils. Nous pouvons les alerter par exemple en cas de détérioration de la santé physique ou psychique des employés sur un site de l’entreprise.

«Aujourd’hui, nous faisons de plus en plus de la gestion et nous nous développons dans le conseil».

Ce travail de veille peut être effectué dans tous les domaines et pas uniquement dans la santé. Nous faisons de l’assurance d’exportations, de crédits, etc. Nous avons accès aux données commerciales et pouvons aider notre client en cas d’une éventuelle détérioration de l’activité. La confiance avec le client est totale.

Nous travaillons avec tous les assureurs et sur les risques complexes, nous nous occupons de tout le montage, y compris du programme de réassurance. Nous assurons par exemple tous les notaires de France à travers un programme d’assurance et de réassurance. Il s’agit d’un des plus grands contrats européens en RC professionnelle.

Quelle est votre place en Europe?

C.B.: Nous sommes le premier courtier indépendant en Europe continentale. Nous sommes la seule alternative européenne sur un marché dominé par les américains.

Qu’est-ce qui vous distingue des brokers anglo-saxons?

C.B.: Le style est complètement différent dans les prises de décision et en matière de proximité avec le client. Nous sommes plus proches du centre de décision si celle-ci doit être prise en Suisse. 
La souveraineté est un critère extrêmement important.

Pourquoi la souveraineté est-elle cruciale?

C.B.: Nous avons nécessairement accès à de nombreuses informations sur les activités de nos clients pour les assurer. Il est crucial de savoir où ces informations se trouvent. Les entreprises suisses, qu’il s’agisse de banques, de grandes organisations internationales ou encore des entreprises industrielles, veulent être sûres que les données sur leurs salariés sont sécurisées en Suisse. Elles ne doivent pas se promener n’importe où.

Il y a un vrai sujet de souveraineté et de sécurité des données. Il faut savoir que le Patriot Act permet au gouvernement américain de regarder ce qu’il veut dans des sociétés régies par les Etats-Unis. Aucun choix n’est possible. En France, une mission vient d’être confiée à l’ancien président du MEDEF sur le problème de la souveraineté des données. C’est un réel sujet.

Est-ce que la captivité de votre clientèle est forte?

C.B: Non. Les grands groupes font des appels d’offre périodiques. Si nous travaillons bien, nous resterons le courtier durant de longues années.

Il faut savoir que nous ne faisons pas que du courtage. Il y a 20 ans, le courtier, surtout en Suisse, faisait du placement, cherchait la couverture d’assurance et toute la gestion était effectuée par les compagnies d’assurance.

«Nous faisons énormément de formation et aidons nos clients à faire de la prévention pour éviter certains sinistres et limiter leurs primes».

Aujourd’hui, nous faisons de plus en plus de la gestion et nous nous développons dans le conseil. C’est ici que se situe la valeur ajoutée. Par exemple, nous mettons en place en place des programmes pour minimiser la consommation de fonds propres des banques. Nous faisons énormément de formation et aidons nos clients à faire de la prévention pour éviter certains sinistres et limiter leurs primes. C’est pour cette raison que les primes diminuent dans certaines branches.

Quelle est la situation de Qualibroker-Swiss Risk & Care en Suisse?

J-M.C.: Après avoir co-fondé Qualibroker dans les années 2010, nous avons progressé et sommes montés en puissance avec quelque 25 acquisitions successives. De son côté, Swiss Risk & Care, propriété de Siaci Saint-Honoré, s’est principalement développé à Genève. Les deux sociétés, l’une présente dans tout le pays et au Lichtenstein, et la deuxième principalement à Genève, sont de taille semblable.

Sur le plan commercial, le rapprochement a été réalisée au début de cette année. Il s’est très bien déroulé et nous formons désormais une société unique sous le nom de Qualibroker-Swiss Risk & Care.

En trois ans, nous avons doublé de taille, moitié par acquisition et moitié par croissance organique. Nous allons poursuivre et intensifier cette dynamique dans les années à venir.

La consolidation est-elle le moteur du fonctionnement du courtage?

J-M.C.: Absolument. Le courtage d’assurance a commencé il y a seulement une trentaine d’années en Suisse. Les courtiers étaient composés d’agents généraux sortis de l’assurance pure, un peu à l’image des gérants de fortune dans le métier de la banque. Cette activité a bénéficié d’une forte croissance qui a nourri le processus de concentration. La Suisse compte encore de nombreux courtiers locaux et quelques régionaux.

Comme se finance votre développement?

J-M.C.: Si nous voulons développer un groupe, la rentabilité est une obligation, sous peine de ne plus faire de nouvelles acquisitions. Le deuxième levier consiste à utiliser nos capacités internes pour acquérir de nouveaux clients. Dès la création de nos sociétés, nous avons développé une offre en ressources humaines pour compléter le produit «assurance de personnes». Nous proposons des  solutions en matière de gestion de l’absentéisme, ainsi qu’en matière de formation du management, de prévention du burn-out, etc. L’absentéisme est un problème majeur aujourd’hui. Certains assureurs n’acceptent plus d’assurer les pertes salaires maladie parce que la sinistralité est trop forte. Nous cherchons à réduire cette sinistralité.

Comment pourriez-vous qualifier l’exercice 2024?

J-M.C.: L’exercice 2024 a été une bonne année, après une décennie marquée par des acquisitions majeures. Nous avons mis en place une nouvelle organisation, avec un comité de direction suisse et deux centres de décisions, l’un pour la Romandie et l’autre pour la Suisse alémanique, ce qui a permis de nous engager rapidement sur la stratégie future en mettant en place les projets qui nous tenaient à coeur. Cette complémentarité nous permet de nous positionner plus fortement sur le marché suisse. Nous accélérerons sur cette voie en 2025.

Quelles sont les branches d’activité en croissance et lesquelles déclinent?

J-M.C.: Les branches médicales ou assimilées sont en croissance, notamment les EMS, puisqu’elles représentent 12% du PIB suisse, soit davantage que les 8% pour le secteur bancaire. Nous conseillons quelque 200 EMS en Suisse. D’autres domaines traversent une période plus difficile, comme l’industrie. Nous travaillons aussi beaucoup à l’international, avec des solutions pour nos clients suisses dont de nombreuses activités sont à l’étranger ou avec des clients internationaux présents en Suisse.

«L’exercice 2024 a été une bonne année, après une décennie marquée par des acquisitions majeures».

Est-ce que l’essentiel de vos investissements concerne la digitalisation et l’IA?

J-M.C.: Nous investissons dans nos ressources humaines afin de répondre aux besoins des clients. La proximité est un facteur clé. L’informatique accompagne notre développement. Même si une part de notre activité se prête bien à l’utilisation de l’IA, la «sensibilité» humaine fait la différence.

C.B.: Au niveau du groupe, nous investissons plusieurs dizaine de millions de francs par an en informatique. C’est un gros budget.

L’assurance se prête très bien à la digitalisation, comme moyen de communication avec nos clients et notamment dans la gestion des sinistres.

Est-ce que ce souci d’externalisation des tâches des entreprises est un segment de croissance?

C.B: Absolument. Notre offre diversifiée de solutions RH correspond à une attente forte. Le courtier n’est ni l’assureur ni l’employeur. Il agit pour son client. Cette position permet aux entreprises qui font appel à nous de disposer d’un partenaire de confiance, pour elles comme pour leurs collaborateurs, reconnus pour son expertise dans toutes les problématiques liées aux ressources humaines. Nous avons deux entreprises en Suisse, Sulzer et Partner en Suisse alémanique et Ismat Group en Romandie, qui garantissent cette posture d’indépendance, y compris par rapport à notre propre groupe.

Quelle est votre place dans les différentes branches?

J-M.C: Nous sommes numéro un en Suisse romande parce que nous avons démarré ici et que Swiss Risk & Care est basé à Genève, et notamment sur la branche de l’assurance de personnes. La croissance future devrait venir de Suisse alémanique et nous poursuivons notre développement dans l’assurance Choses.

Quelle est la croissance moyenne de votre chiffre d’affaires?

J.M.C.: Nous estimons la croissance du marché à 2%. Notre but est d’atteindre une augmentation de 5% net par an. En 2024, l’année de la fusion, la croissance s’inscrit dans la moyenne. En 2025, nous ferons le forcing pour croître de façon organique. Nous travaillons beaucoup avec des expertises de branches, par exemple dans l’énergie en Valais ou dans les EMS.

Et nous continuerons de procéder à des acquisitions de courtiers et de proposer de nouveaux modèles d’activité aux acteurs du marché de l’assurance. Il faut savoir que 55% du marché des risques d’entreprises ne sont pas entre les mains des courtiers.

Est-ce que vous êtes réellement indépendants?

J-M.C.: Nous avons l’obligation d’être indépendants, comme l’exigent nos différents partenaires et la Finma. En tant que courtier, nous sommes toujours à la recherche de la solution optimale pour nos clients. Elle ne se limite pas qu’à une question de prime mais tient également compte de notre connaissance du marché.

Quelle est l’indépendance de la filiale suisse par rapport au groupe?

C.B.: L’indépendance de chaque entité pays est totale. Nous ne vendons que de la prestation humaine. Cette proximité est fondamentale. C’est l’avantage clé d’un groupe tel que le nôtre. Nous sommes une confédération. Les décisions sont prises dans le pays concerné.

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