Les inquiétudes sur l’inflation sont justifiées

Emmanuel Garessus

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Si les taux directeurs américains peuvent baisser cette année, les plus grands risques portent sur l’inflation, selon Karsten Junius, de J.Safra Sarasin, qui propose de surpondérer les actions.

Les incertitudes sur les taux d’intérêt américains, illustrée par la remontée des rendements des bons du Trésor à 10 ans, engendrent un mouvement de consolidation des actions. Karsten Junius, chef économiste du groupe J.Safra Sarasin, répond aux questions d’Allnews:

A combien de baisses de taux directeurs la Fed devrait-elle procéder en 2024?

Nous prévoyons deux baisses de taux d’intérêt de la part de la Fed d’ici la fin 2024. Le scénario  d’un abaissement des taux en septembre est affaibli à la publication de chaque indicateur conjoncturel témoignant de la robustesse de l’économie. 

Tout porte à croire que le deuxième trimestre restera robuste. La croissance économique américaine reste supérieure au potentiel de croissance, même si certains signaux pointent vers un affaiblissement conjoncturel, sous l’effet des conditions monétaires restrictives actuelles. L’octroi de crédit devrait se réduire progressivement. Mais les incitations fiscales en faveur de l’investissement empêchent un ralentissement plus prononcé de l’économie si bien que le marché du travail se développe toujours très favorablement. Les inquiétudes de la Fed à propos de l’inflation restent justifiées. 

Au début de l’année, trois rapports d’inflation successifs ont dépassé les prévisions, le dernier était plus favorable, mais la Fed a besoin d’observer 2 à 3 rapports positifs avant de pouvoir baisser les taux. Cela signifie qu’en mai, juin et juillet les statistiques de l’inflation sous-jacente (hors énergie et alimentation) devraient être compatibles avec les objectifs de la Fed pour qu’elle puisse agir en septembre. Dans le cas inverse, il lui faudra attendre les élections présidentielles.

Est-ce que vous craignez un affaiblissement de la croissance ou une inflation persistante?

Pour l’instant, les plus grands risques portent sur l’inflation.

Dans votre allocation d’actifs, les appels aux prises de bénéfices dans les actions se multiplient. Que privilégiez-vous actuellement?

Nous continuons de surpondérer les actions. Nos préoccupations portent plutôt sur la concentration de la hausse sur un nombre de titres toujours plus restreint. Je pense bien sûr à Nvidia, qui profite d’une hausse incroyable de son bénéfice. Il y a toujours moins de gagnants. Il est vrai que la saison des résultats trimestriels s’est avérée positive. 

«La Fed a besoin d’observer 2 à 3 rapports positifs avant de pouvoir baisser les taux.»

La tendance favorable des bénéfices trimestriels montre que la hausse des actions n’est pas uniquement alimentée par la spéculation. C’est l’une des raisons du maintien de notre approche positive des marchés. L’économie continue de croître et les bénéfices des entreprises également. Avec ce scénario, l’investisseur devrait rester investi.

Est-ce qu’il faut sortir des 7 magnifiques?

Nous ne sortirions pas du marché, ni d’ailleurs des valeurs technologiques, car nous sommes positifs à moyen terme, y compris à l’égard de ce secteur. Le choix des titres individuels est laissé au gérant de portefeuille.

Sur le plan des monnaies, le franc s’affaiblit lentement mais sûrement. Quand reprendra-t-il le chemin de la hausse?

Le franc suisse se traite aujourd’hui à sa juste valeur, à 0,9850 euro pour un franc. Il correspond à sa valeur réelle pondérée des échanges commerciales et à sa moyenne sur 10 ans. Je pense que le franc peinera à s’apprécier ces prochains mois. 

Les marchés doutent d’une baisse des taux de la BNS encore en juin, mais je suis persuadé qu’elle fera le pas et réduira son taux directeur. La politique monétaire reste en effet restrictive et la conjoncture ne croît qu’en dessous du potentiel. 

Mon scénario  de recul du franc s’appuie sur deux facteurs: la nouvelle baisse des taux d’intérêt de la part de la BNS et parce qu’une reprise cyclique de la zone euro correspond historiquement à une hausse de l’euro par rapport au franc. 

Le franc pourrait ensuite se renforcer, si la BNS, après la décision de septembre, n’entreprenait pas de baisse supplémentaire des taux, alors que la BCE, et la Fed d’ailleurs, les diminuerait encore. L’écart de taux plaiderait alors en faveur du franc. C’est pourquoi je m’attends à une hausse du franc au dernier trimestre 2024.

Quelle monnaie n’est pas à sa juste valeur?

Le yen est faiblement évalué. C’est le cas le plus évident.

Le rendement des Bons du Trésor à 10 ans est très volatile. Il est remonté à 4,57% mercredi. Quelle sera la prochaine étape?

Le rendement des obligations américaines devrait baisser d’ici la fin de l’année, mais je comprends les fortes hésitations du marché. Les fluctuations reflètent le protocole de la dernière séance de la Fed qui a révélé que plusieurs membres ne pouvaient pas exclure une hausse des taux. Les membres de la Fed eux-mêmes ne parviennent pas à se mettre d’accord sur la direction future des taux directeurs. C’est une réelle source de volatilité. La situation est assez extraordinaire. 

«La tendance favorable des bénéfices trimestriels montre que la hausse des actions n’est pas uniquement alimentée par la spéculation».

La perspective d’un atterrissage en douceur fait consensus mais elle se base sur l’idée que le niveau des taux d’intérêt exerce un effet restrictif. Si on en doute, on pourrait passer à l’idée d’un boom ou d’un «no landing». 

Je comprends que le niveau des taux ne soit pas à un niveau neutre si l’on ajoute encore le stimulus budgétaire actuel qui soutient la conjoncture. 
Il n’en reste pas moins que le niveau des taux est au plus haut depuis 20 ans et que le dollar est plutôt fort. Le ralentissement des offres d’emplois devrait indiquer qu’un ralentissement de la dynamique est en cours.

Les élections présidentielles américaines sont au centre de l’agenda politique de cet automne. Pourquoi les marchés paraissent-ils estimer que l’impact sur les grandes tendances économiques et financières sera modeste?

L’incertitude est encore très élevée. Nous sommes encore si éloignés de cette échéance que les marchés hésitent à se déterminer. Joe Biden est en train d’affaiblir la candidature de Donald Trump en introduisant des propositions similaires dans son programme, par exemple une politique budgétaire très expansive, ou des droits de douane massifs sur les produits chinois. 

Pour les marchés financiers, cela devrait se traduire par des taux d’intérêt plus élevés. Les deux candidats ont une politique inflationniste. Que ce soit à l’aide de dépenses budgétaires accrues , comme Biden, ou de baisses d’impôts, comme Trump, la direction choisie est celle d’une hausse des prix et de la croissance à court terme. Les deux programmes mènent à des taux d’intérêt plus élevés. Dans ce sens, le niveau des rendements obligataire indique peut-être une forme d’anticipation des futurs choix politiques.

Est-ce positif pour l’or?

L’or progresse en partie d’une confiance réduite dans la perspective d’une politique économique de stabilité. Les perspectives sont catastrophiques pour la dette publique américaine. Le CBO prévoit des déficits budgétaires de plus de 5% ces deux prochaines années. Aucun des deux candidats n’apporte une réponse à ce défi. Cela rend l’or plus attractif.

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