Les entreprises restent privées plus longtemps

Salima Barragan

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Selon Robert Natzler de Baillie Gifford, les entreprises américaines attendent en moyenne 12 ans au lieu de 8 avant d'entrer en bourse.

Contrairement aux habitudes du siècle dernier, les entreprises attendent plus longtemps avant d’entrer en bourse. Selon Baillie Gifford, l'âge moyen d'une société américaine au moment de son IPO s’élève aujourd’hui à 12 ans, contre 8 au début du millénaire. Ce qui ouvre l’horizon à de nouvelles perspectives d’investissement dans le domaine du private equity. Entretien avec Robert Natzler, gestionnaire d'investissements dans des entreprises privées.

Pourquoi les entreprises sont-elles plus hésitantes à entrer en bourse?

L'ouverture au public est un processus de longue haleine! Et le fait d'être coté en Bourse peut être une source d’affolement car les actionnaires agissent souvent à très court terme. Il y a 20 ans, les sociétés qui cherchaient à lever des capitaux n'avaient pas vraiment le choix. Mais aujourd’hui, une société peut se développer et obtenir des financements privés sans que ses actions soient cotées. L'internet a fait une énorme différence en aidant ces entreprises à trouver des investisseurs.  Les marchés publics ont également perdu leur aura de prestige. Facebook était très enthousiaste à l'idée d'être cotée en bourse. Mais les chefs d'entreprise d'aujourd'hui ne pensent pas qu'ils doivent s’ouvrir au public pour croître. Ils ont vu des sociétés comme SpaceX et Airbnb devenir des poids lourds sur les marchés privés, et donc le prestige du statut de société publique a disparu. Des raisons économiques font aussi que les entreprises peuvent rester privées plus longtemps.

 L'équipe qui a lancé l'entreprise peut continuer
à la diriger même si elle se développe.
Quels sont les facteurs économiques qui ont amorcé ce changement?

Par le passé, les sociétés avaient besoin de lever beaucoup de capitaux au début de leur vie pour se développer. Elles devaient acheter des ordinateurs, construire des magasins et engager de grandes équipes. Aujourd'hui, elles peuvent louer des capacités informatiques dans le nuage, trouver des clients grâce à la publicité dans les médias sociaux et utiliser des logiciels pour s'en sortir avec moins d'employés. Les fondateurs n'ont donc pas besoin d’abandonner autant de contrôle de leur entreprise à des investisseurs en capital-risque lorsqu'ils se lancent. Cela signifie qu’ils seront dans une position plus forte, lorsqu'ils voudront lever des capitaux pour développer leur entreprise.

Ces entreprises n'ont pas non plus besoin d'autant d'employés qu'au XXe siècle. L'équipe de base qui a lancé l'entreprise peut continuer à la diriger même si elle se développe. Elle n'a donc pas besoin de changer les membres de la direction pour faire appel à des managers venant des grandes entreprises publiques. Et cela signifie qu'elle peut maintenir les relations avec les investisseurs privés qu'elle a établies, sans avoir besoin d'aller sur le marché public pour lever davantage de capitaux.

Les réglementations incitent-elle également les sociétés à conserver leur indépendance plus longtemps?

Oui, la loi Sarbanes-Oxley de 2002 a rendu les conditions d'introduction en bourse beaucoup plus strictes, tandis que les mesures réglementaires ultérieures ont considérablement alourdi la charge administrative des entreprises publiques. Certains directeurs financiers sont même allés jusqu'à affirmer que le coût de l'introduction en bourse a plus que quintuplé depuis 2010 seulement!

De plus en plus de grandes entreprises de renom sont restées privées
car elles ne considèrent pas une IPO comme un gage de succès.
Quel est le profil type de l’entreprises en phase avancée sur le marché privé?

Les entreprises qui restent privées plus longtemps sont très différentes des entreprises jeunes et immatures que recherchent des capital-risqueurs. Elles n’ont pas besoin de l'aide d'investisseurs pour recruter des employés clé, rédiger des politiques de ressources humaines ou concevoir des plans de marketing. En fin de compte, leurs fondateurs ne souhaitent pas qu'un investisseur vienne leur dire comment gérer leur entreprise déjà très prospère et en pleine expansion. Ce qu'ils veulent, c'est un allié pour les aider à saisir l'opportunité stratégique qui les a poussés à démarrer cette entreprise en premier lieu. Grâce à de meilleurs modèles de financement et commerciaux, les entreprises les plus innovantes d'Europe arrivent sur les marchés publics avec des valorisations de 5 à 10 milliards d'euros, voire plus.

Une introduction en bourse n’est dont plus considéré comme un événement prestigieux?

Pour des entreprises telles que Facebook, le fait de sonner la cloche de la bourse lors de leur introduction a été un moment de gloire du passage à l'âge adulte. Mais de plus en plus de grandes entreprises de renom comme Airbnb, SpaceX, Stripe, ByteDance (propriétaires de TikTok) sont restées privées car elles ne considèrent pas une IPO comme un gage de succès.

Les investisseurs retail peuvent-il également avoir accès à ce marché fermé via certains véhicules?

Les Investment Trust, composés de 70% de sociétés cotées et de 30% de sociétés privées, permettent une exposition partielle. D’ici cinq ans, nous aimerions donner accès à ce marché aux investisseurs retail avec la structure de fonds (ou le véhicule) appropriée.