Le viager devrait croître fortement

Emmanuel Garessus

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Le durcissement des banques renforcera un peu la croissance ainsi que la hausse des prix des biens immobiliers, selon César Pidoux, associé de Gefiswiss.

 

Les débuts du fonds Viager Swiss SmPC, géré par Gefiswiss, sont prometteurs. Après les six premiers mois d’activité, la performance s’affiche en hausse de + 2.7%. Sur un marché de l’immobilier individuel caractérisé à la fois par une hausse des prix des biens et des pratiques plus restrictives de la part des banques, le viager est un instrument de niche qui répond à un réel besoin. Il permet à un individu de vendre sa maison en continuant de l’habiter.

Certaines notions doivent ici être rappelées à propos du viager:

Prix de transaction: Le prix de la transaction correspond à la valeur vénale du bien indépendamment du mode de transaction.

Valeur du droit d’habiter/d’usufruit: En contrepartie de l’inscription d’un droit d’habiter ou d’usufruit garantissant au vendeur la jouissance de son bien, un montant est déduit du prix de la transaction, ce qui équivaut au paiement de loyers d’avance.

Bouquet: Le montant effectivement versé par l’acheteur au moment de l’acquisition (prix de transaction – droit d’habiter) s’appelle le bouquet.

Rente viagère: Une partie du bouquet peut être versé sous forme de rente viagère.

César Pidoux, associé de Gefiswiss, répond aux questions d’Allnews, sur l’état du marché du viager et sur les perspectives du fonds Viager Swiss SmPC:

Quels enseignements tirez-vous des six premiers mois du fonds Viager Swiss SmPC?

Après six mois d’activité au 31 décembre, le fonds détient pour un peu plus de 40 millions de francs de biens en portefeuille, répartis sur 23 biens. Depuis le début de l’année, un premier bien a été vendu et un autre a été racheté. La performance nous satisfait puisqu’elle s’est élevée à 2,7% après six mois.

A la différence d’un fonds immobilier dont le rendement dépend du flux des loyers, notre rendement provient de la réduction des droits d’habiter/d’usufruit avec le temps.

Quelle est la composition de votre portefeuille?

Au sein des 23 biens, deux se situent à Genève, deux en Valais et le reste dans le canton de Vaud. La valeur moyenne des biens composés de maisons individuelles ou d’appartement PPE se monte à 1,75 million de francs.

«Les banques sont très réticentes à financer des viagers, faute de revenus assez élevés de l’acheteur et du fait que les banques ont l’habitude d’être en premier rang dans le registre foncier».

Est-ce de l’immobilier «milieu-haut de gamme»?

Le terme n’est pas nécessairement correct. Les personnes viennent de toutes les catégories sociales. Les objets sont souvent des biens achetés il y a 40 à 50 ans dont le prix s’est apprécié. Dans le cas des maisons individuelles, représentant un peu plus de la moitié du portefeuille, la valeur provient principalement du terrain.

Est-ce que le prix auquel vous l’achetez est le fruit d’une longue négociation?

La société Viage SA, notre partenaire pour l’achat des biens, applique un processus strict. Dans le cadre de notre processus, il n’y a aucune négociation avec le vendeur. Nous apportons une solution clé en main afin de mieux protéger les investisseurs et le vendeur. La Finma voulait éviter tout risque de réputation lié à un achat à une personne qui n’aurait pas été à même de négocier.

A la place de la négociation, notre processus consiste avant tout à expliquer les termes de l’accord au vendeur. Une fois que chaque partie est intéressée, un expert intervient pour définir la valeur vénale de la maison. Les autorités de surveillance ont accepté deux experts pour ce produit: les sociétés CBRE et CIFI. Enfin, la valeur du droit d’usufruit est déterminée par notre actuaire.

Et-ce que ce sont les banques qui vous envoient les dossiers?

Indirectement et involontairement. Avec leurs règles appliquées lors des renouvellements des crédits hypothécaires, de nombreux prêts ne peuvent être refinancer. Pour ces personnes attachées à leur logement et qui souhaitent en conserver la jouissance, le viager est une solution qui leur garanti le droit de rester dans leur logement avec une situation financière améliorée. Ceci en contrepartie du droit d’usufruit (équivalent à un loyer payé d’avance) et la renonciation aux plus-values futures sur le bien immobilier.

Ce principe du viager existe depuis fort longtemps, même s’il est peu connu en Suisse. Le lancement de notre produit l’a rendu plus populaire. Le fonds Viager Swiss SmPC est un partenariat entre la société Gefiswiss, qui s’occupe des aspects financiers, et la société Viage SA, qui se charge de la recherche des biens et surtout qui assure l’accompagnement succédant à la transaction. Viage reçoit des offres presque quotidiennement, souvent en direct, de la part de gens qui ont longuement réfléchi à  un viager mais qui n’étaient pas suffisamment en confiance pour réaliser une transaction de particulier à particulier. Notre approche institutionnelle et transparente offre une solution innovante et fortement appréciée.

Mon rôle consiste à acheter des biens en viager, mais je ne m’occupe pas de la relation directe avec le vendeur. D’ailleurs j’apprécie que la transaction s’établisse sur une base collective.

«Aujourd’hui les appartements en PPE et les villas individuelles représentent 60% de la valeur du parc immobilier suisse, les immeubles locatifs moins de 30%».

Pour éviter le risque de longévité, l’acheteur doit diversifier le risque. Quant au vendeur, il fait face aux risques de rénovation futurs et s’interroge sur la capacité de l’acheteur à les assumer à l’avenir.

C’est pourquoi le viager n’est pas une pratique fréquente lorsqu’il est effectué entre deux particuliers, si ce n’est au sein d’une famille lorsque les enfants rachètent la maison des parents. Encore faut-il que les enfants aient les moyens de gérer une succession de cette façon.

Les banques sont très réticentes à financer des viagers, faute de revenus assez élevés de l’acheteur et du fait que les banques ont l’habitude d’être en premier rang dans le registre foncier pour les hypothèques alors qu’ici elles ne peuvent pas l’être.  

Combien de personnes vous contactent-elles à la suite d’un problème de financement?

La moitié des personnes qui nous contactent le font à la suite d’un problème de financement hypothécaire. Le deuxième cas concerne les successions et il est initié par des gens qui anticipent les questions d’héritage. Il est vrai que les disputes sur la valeur d’un bien sont susceptibles de bloquer une succession pendant des années. Il est plus facile de répartir de l’argent liquide.

Je précise qu’il existe bien d’autre cas de figure, notamment celui des personnes qui n’ont pas de succession qui en quelque sorte hérite d’elles-même à travers un viager en rendant liquide leur fortune investie dans la pierre.

Le facteur temporel est-il crucial, sachant qu’en cas de problème de financement il faut vendre rapidement?

Oui. Il faut toutefois reconnaître que, compte tenu de la situation du marché, aujourd’hui mieux vaut être vendeur qu’acheteur. La banque n’exige d’ailleurs pas de vendre en trois semaines mais plutôt en six mois.

Face à l’idée de vendre, le problème est plus émotionnel puisque le vendeur tient à conserver son réseau et rester proche de ses racines. Le viager n’est la bonne solution que dans certains cas de figure. La création de Viage résulte d’ailleurs d’un cas individuel résultant d’un problème de financement.

Quelle est la situation pour les investisseurs?

Nous avions le sentiment que ce serait une très bonne idée de diversification pour les investisseurs. Aujourd’hui les appartements en PPE et les villas individuelles représentent 60% de la valeur du parc immobilier suisse, les immeubles locatifs moins de 30%. Tous les fonds immobiliers se concentrent sur ces moins de 30%.

La performance de la valeur des biens révèle que les villas progressent le plus nettement dans une optique à long terme (depuis les années 1970), devant les PPE puis les immeubles. L’aspect diversificateur du viager est un atout. Il s’y ajoute un facteur social, qui ne pénalise pas la performance. Le rendement attendu du fonds n’est pas basé sur le loyer mais sur un taux d’escompte de 4,25%.

Les institutionnels sont très attentifs à la durabilité et à la transition. Qu’en est-il des maisons contenues dans votre fonds?

C’est un élément très important pour nous. GEFISWISS a par exemple rejoint la communauté B Corp. Nous nous inscrivons dans la durabilité pour tous nos produits de gestion, y compris le fonds Viager. Au sein des fonds immobiliers, l’aspect énergétique est le plus important, mais ce produit vise principalement les aspects sociaux et économiques de la durabilité.

Une photo actuelle de notre portefeuille révèlerait une mauvaise note environnementale parce qu’il s’agit de biens individuels entretenus par des privés qui ont été construits il y a 30 à 50 ans.

Nous avons d’autres fonds plus performants en termes de transition et nous rendons attentifs nos investisseurs que l’aspect environnemental leur coûtera une fortune dans certains produits immobiliers disponibles parce qu’ils feront face à des frais de rénovation extrêmement coûteux ces prochaines années.

Dans le cas de Viager, l’expertise portant sur la valeur du bien n’est pas le fruit d’une estimation basée sur les cash-fow escomptés (méthode DCF) mais sur une estimation globale, y compris les futures rénovations. Nous savons donc ce qu’il nous coûtera pour mettre un bien au goût du jour. Des frais futurs sont provisionnés dès le départ. A la libération du bien, nous avons aussi l’avantage de parfois pouvoir faire un développement en termes de durabilité sur la parcelle.

Les rendements obligataires remontent. Quel serait l’impact d’une hausse des taux hypothécaires sur votre fonds?

Les fonds immobiliers sont valorisés sur la base du DCF (cash-flow escomptés). Si les taux augmentent, la valeur des biens immobiliers baisse. Mais nous sommes moins sensibles aux taux que d’autres fonds parce que nous ne sommes pas valorisés sur la base de la DCF. Il est vrai que le marché des biens individuels n’est pas insensible aux taux d’intérêt. C’est au moment de la revente qu’apparaît l’impact. Mais le risque et le rendement sont fonction de l’état de l’immobilier résidentiel individuel suisse, même si les taux ont un impact sur les revenus.

Pour notre fonds, nous avons une possibilité de levier de 30%.

Est-ce que la croissance du marché du viager dépendra des prix de l’immobilier individuel et de la tendance restrictive des conditions de refinancement des hypothèques?

Aujourd’hui, une grande partie des acteurs font du viager en raison de problèmes financiers. Le moteur futur du marché viendra de nos efforts d’explication. Nous apportons un cadre et une transparence qui n’existaient pas auparavant et qui convainquent certaines personnes. Notre solution crée de la confiance. L’évolution de la société, avec le vieillissement démographique, apporte un autre soutien structurel. La Banque Raiffeisen a souligné le potentiel du viager en vertu de ses atouts de tranquillité et de sécurité. Ces facteurs ne sont qu’en partie contrebalancés par une renonciation aux plus-values futures sur le bien immobilier.

Est-ce que le viager s’accompagne de mauvaises surprises fiscales?

Notre processus d’explication permet d’éviter des surprises après la signature. Nous montrons les conséquences fiscales de façon transparente, lesquelles ne sont pas de notre ressort. Le calcul du gain immobilier par exemple se fait sur la valeur vénale et pas sur le bouquet comme fréquemment entendu. De même, l’usufruitier reste imposé sur la valeur locative.  

Quelle devrait être la croissance du marché du viager?

Le marché du viager va fortement croître. En France, les estimations portent souvent sur une hausse annuelle de 15%. L’instrument est mieux connu qu’en Suisse. Le durcissement des banques renforcera un peu la croissance ainsi que la hausse des prix des biens immobiliers. Mais le moteur central sera l’existence de solutions institutionnelles qui rassurent les gens. La maison correspond à une forme de quatrième pilier.

Est-ce que vous allez lever de nouveaux fonds?

Nous devons finir la levée en cours. L’intérêt a été très fort pour notre fonds, mais il a été accompagné d’une forme d’attentisme. Le premier véhicule se doit de convaincre. La première indication de performance après six mois confirme la qualité du concept.

Est-ce qu’il y a un agio?

Le prix correspond à la valeur intrinsèque. Il n’y a pas d’agio. Les premiers qui ont souscrit l’ont fait à 100'000 francs par part pour ce fonds réservé aux investisseurs qualifiés. Le prix est grimpé à 102 700 francs. Tous les trois mois, la part est réévaluée. Nous avons une diminution des droits d’habitation. Une vente est en cours. Un bien va se libérer. La valeur intrinsèque devrait donc poursuivre sa progression.

Le fonds correspond à une fusée à trois étages. Le premier correspond aux 4,25% de rendement les premières années. Le deuxième étage vient des viagers libérés plus tôt que prévu. Le troisième correspond à la vente de l’objet et à la progression des  prix. A partir de 2027, nous prévoyons des distributions, qui devraient s’accentuer par la suite. Avec les années, le nombre de libérations va augmenter.

Nous visons une performance élevée, puisque de plus de 5%. Nous avons un aspect social important tandis que l’aspect environnemental est pris en compte dans les futurs.

Quelle est la composition des investisseurs dans votre fonds?

Un investisseur institutionnel a pris une part significative au lancement principalement sous forme d’apport en nature. Plusieurs caisses de pensions pourraient entrer et nous avons également des particuliers qui ont déjà souscrit. Nous discutons aussi avec des partenaires potentiels qui pourraient devenir des investisseurs importants. 

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