La première moitié de l’année a été marquée par une poursuite de la hausse des marchés des actions, portée en particulier par l’essor des valeurs technologiques en ce qui les Etats-Unis. Comment peut-on évaluer d’un point de vue quantitatif si les valorisations au sein de tel ou tel secteur sont élevées, ou contraire bon marché, par rapport à l’indice S&P 500 dans son ensemble et comparé à leur propre moyenne historique? Et quels sont les enseignements que l’on peut en tirer de manière plus générale? Le point avec Luc Dumontier, directeur général adjoint chez Ossiam.
Le mois de juin a été riche en annonces en matière de politique monétaire. Comment de telles décisions, par exemple concernant les taux, qui ont été annoncées successivement par la BCE, la Fed ou d’autres banques centrales affectent-elles votre approche d’investissement?
Notre approche d’investissement basée sur le modèle développé par le professeur Shiller et Barclays cherche à exploiter les situations de sur- ou de sous-réaction de la part des investisseurs en fonction de la survenance, ou non, de certains scénarios de marché. Nous ne cherchons pas à prévoir ou à faire des paris sur tel ou tel scénario de politique monétaire – ce n’est pas notre approche, ni notre rôle. En revanche, si un mouvement concernant les taux n’a pas été bien anticipé par les marchés – qu’il s’agisse d’une baisse ou au contraire d’une hausse inattendue -, cela va alors générer davantage de volatilité et de dispersion sur les marchés. Cela peut potentiellement créer des opportunités pour la stratégie que nous appliquons. Toute forme de sur-réaction des marchés par rapport à un événement ou à un certain «narratif» qui domine chez les investisseurs peut être exploitée.
«Les prix du pétrole, les tensions entre la Chine et Taïwan, la situation au Moyen-Orient et en Ukraine, sans oublier les élections américaines de novembre, sont autant de « narratifs » susceptibles d’entraîner plus de dispersions sur les marchés des actions.»
Par exemple, quand il y a une réunion de la Fed qui est à l’agenda, les investisseurs observent attentivement ce qui se passe dans les jours qui suivent. Comment les marchés ont-ils réagi à telle annonce de décision ou suite à un commentaire? Plus il y a de mouvement sur les marchés, plus cela créée des opportunités. L’évolution de la politique monétaire ne constitue qu’un seul exemple de tels facteurs: les prix du pétrole, les tensions entre la Chine et Taïwan, la situation au Moyen-Orient et en Ukraine, sans oublier les élections américaines de novembre, sont autant de «narratifs» susceptibles d’entraîner plus de dispersions sur les marchés des actions.
Au cours des prochaines semaines, l’attention des marchés sera portée en particulier sur la publication des résultats d’entreprises du deuxième trimestre et les perspectives pour la suite de l’année. Y a-t-il des secteurs que vous allez suivre plus attentivement que d’autres?
Chaque année, nous nous demandons quel sera le thème dominant de l’année. Et il est en général impossible de répondre à cette question ! Nous préférons simplement sélectionner différents secteurs sur la base de l’évolution de leur valorisation. Notre approche consiste ainsi à investir de manière égale sur des secteurs semblant sous-évalués, non pas seulement par rapport aux autres secteurs ou au marché dans son ensemble, mais aussi par rapport à leur propre moyenne historique. Ce second niveau de comparaison est important, car il permet d’évaluer si un secteur est cher par rapport à lui-même. Par exemple, tout le monde sait que le secteur des technologies est certes cher par rapport à d’autres secteurs, mais l’est-il par rapport à la valorisation qu’il affichait à d’autres périodes? C’est d’ailleurs tout l’intérêt du concept de ratio cours/bénéfice ajusté des cycles, ou ratio de CAPE® («Cyclically Adjusted Price-to-Earnings ratio»). Cette métrique met en relation le prix de l’indice par rapport à la moyenne sur 10 ans des bénéfices ajustés de l’inflation. Nous appliquons ce calcul aux 10 différents secteurs (ndlr: services de communications, consommation discrétionnaire, biens de consommation courants, énergie, finance et immobilier, santé, industrie, technologies, matériaux et services aux collectivités). Ensuite, nous sélectionnons les 5 secteurs qui sont les plus sous-évalués sur la base du CAPE® relatif (ndlr: ratio entre le niveau de CAPE® actuel d’un secteur et la moyenne historique sur 20 ans de son niveau de CAPE®). Nous prenons ensuite soin de retirer le secteur qui a eu la plus mauvaise performance au cours des 12 derniers mois, afin d’éviter un effet de «value trap».
«Le niveau de CAPE® de l’indice S&P 500 se situe actuellement entre 30 et 35, soit un niveau relativement élevé. Si l’on se fie à la performance du marché des actions américaines depuis 1881, cela induirait une performance annualisée inférieur à 4% sur les 10 prochaines années.»
Y-a-t-il une corrélation entre le niveau de CAPE® et la performance?
Nous observons effectivement un lien historique entre le niveau de CAPE et la performance qui en résulte sur le marché des actions américaines. Entre 1881 et aujourd’hui, lorsque le ratio de CAPE® de l’indice S&P 500 a été inférieur à 10, donc très peu cher, la performance annuelle moyenne qui a suivie sur les 10 prochaines années a été de l’ordre de 13%. Lorsque le ratio de CAPE® a été moyennement élevé, soit entre 20 et 25, cette performance a été historiquement plus faible, de l’ordre de 7%. En revanche, quand le ratio de CAPE® a été très élevé (en dépassant les 40, comme cela avait été le cas dans les années 2000), la performance annuelle moyenne sur les 10 prochaines années a été négative.
Où se situe-t-il actuellement?
Le niveau de CAPE® de l’indice S&P 500 se situe actuellement entre 30 et 35, soit un niveau relativement élevé. Si l’on se fie à la performance du marché des actions américaines depuis 1881, cela induirait une performance annualisée inférieur à 4% sur les 10 prochaines années. Il s’agit ici d’une moyenne historique et non d’un pronostic que nous formulons.
Y a-t-il un secteur particulièrement cher actuellement?
Clairement, il s’agit du secteur des technologies. Que l’on tienne compte du ratio cours/bénéfice (P/E), des ratios de CAPE® ou de CAPE® relatif, ce secteur est l’un des plus chers actuellement. A titre de comparaison, le secteur de l’énergie est également cher d’après son ratio de CAPE®, mais il l’est beaucoup moins si l’on regarde le P/E.
Que peut-on dire du marché des actions américaines dans son ensemble?
Si le secteur des technologies (IT) est très cher actuellement, ce qui accroît aussi la valorisation moyenne du S&P 500 dans son ensemble, l’indice S&P 500 hors IT est en revanche correctement valorisé. Force est de constater que l’indice S&P 500 a atteint récemment des niveaux élevés en termes de concentration: le premier secteur de l’indice, le secteur des technologies, représente à lui seul 32% de l’indice, égalant ainsi ses niveaux records des années 2000.