Le private equity résiste aux crises

Nicolette de Joncaire

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Le capital-investissement a gagné en maturité. Il poursuit son expansion pour s’ouvrir à un nombre croissant d’investisseurs, y compris retail. Avec David Arcauz de Flexstone Partners.

Malgré des conditions macroéconomiques et financières difficiles, le marché du capital-investissement reste actif. Il a mieux résisté aux dernières crises – pandémie, guerre en Ukraine, inflation, hausse des taux – qu’on ne l’aurait anticipé sur la base de sa réaction à la crise de 2008. En Suisse, les caisses de pension restent toutefois timides, bien davantage que leurs homologues américaines, canadiennes ou australiennes. Quelques questions à David Arcauz, associé chez Flexstone Partners, une société affiliée de Natixis Investment Managers.

Comment le private equity a-t-il évolué au cours des dernières années?

Sur les 25 dernières années, j’ai assisté à plusieurs cycles, à plusieurs crises. Avec une bonne résistance à la crise du Covid puis à celle des taux –supérieure à ce que nous avions vu en 2008 -, il est clair que le capital-investissement a gagné en maturité. Il reste bien placé pour poursuivre son expansion et s’ouvrir à un nombre croissant d’investisseurs, y compris retail. Aujourd’hui, le marché secondaire à lui seul se monte à 120 milliards de dollars. Les acteurs changent de main et nous observons plus de profondeur et de savoir-faire sur le marché avec une certaine flexibilité au niveau de la liquidité. Notre cœur de cible sont les petites et moyennes entreprises et la boite à outils à disposition est plus conséquente qu’il y a dix ans. Il est aujourd’hui possible de structurer des fonds sectoriels, alors que nous nous limitions à des découpages géographiques autrefois, tout en évitant la concentration pour maitriser les risques. Au niveau des fonds de pension, ils peuvent aujourd’hui acquérir des fonds de private equity déjà constitués. Aux Etats-Unis, les grands fonds de pension se défont de certains portefeuilles pour respecter leurs quotas. Pour les acheteurs, la visibilité sur la qualité des actifs et sur le levier n’en est que meilleure. Par ailleurs, on assiste à une intégration croissante de l’ESG dans l’établissement des portefeuilles ce qui aide les entreprises à évoluer.

Il y a effectivement très peu d’IPO et elles ne sont guère réussies. Celle de Birkenstock, qui se traite sous le prix d’introduction, en est un exemple.
Votre clientèle est essentiellement composée de grands fonds de pension. Quels sont les particularités de cette clientèle?

Nous avons comme clients des caisses de pension suisses, une caisse australienne et des compagnies d’assurance. En Suisse, le private equity n’en est encore qu’aux balbutiements avec 1,7% des portefeuilles des caisses alors qu’un fonds de pension australien peut typiquement en compter 15%. Pourtant les recommandations de l’OPP 2 ne constituent pas un frein: les directives actuelles prévoient jusqu’à 15% de placements alternatifs, 10% d’investissements dans les infrastructures et 5% d’investissements privés suisses. Mais ici, le processus est compliqué et nécessite pas mal de formation. Et les frais paraissent élevés ce qui en décourage beaucoup, surtout parmi les caisses de taille modeste. Malgré l’excellent alignement du capital-investissement sur l’échéance des retraites, son acceptation reste lente. Les compagnies d’assurances en ont été friandes mais le sont moins depuis la hausse des taux.

Pourquoi tant de résistance au sein des fonds de pension suisses?

Il y a une part de conservatisme mais aussi de très gros investissements dans l’immobilier qui sont une classe illiquide. Et puis les caisses de pension privilégient souvent l’indiciel pour ses coûts faibles. Certaines très grandes caisses peuvent avoir une équipe dédiée au private equity mais la plupart d’entre elles sont trop petites pour se permettre ce luxe, contrairement à ce qu’on observe aux USA, au Canada ou en Australie. La consolidation de la prévoyance suisse pourrait encourager la croissance du private equity au sein de ce type d’investisseurs.

Les valorisations de société sont basses à l’heure actuelle. Sommes-nous dans un marché acheteur?

Oui, les valorisations sont en baisse. Mais ne généralisons pas. Nous sommes aussi sur un marché plus profond et beaucoup plus granulaire qu’on peut segmenter. Sur les large caps, on a observé une baisse des volumes en raison du renchérissement du financement bancaire ou obligataire. Par contre, sur les small et mid caps, la dette privée s’est beaucoup développée et les valorisations ont baissé mais la tech profitable et la santé se montrent résilientes. Il existe d’autres poches protégées:  l’Espagne et l’Italie, par exemple, tirent leur épingle du jeu.

Les introductions en bourse piétinent depuis 3 ans. La fenêtre d’opportunité va-t-elle se réouvrir?

Il y a effectivement très peu d’IPO et elles ne sont guère réussies. Celle de Birkenstock, qui se traite sous le prix d’introduction, en est un exemple. Des 200 sociétés qui ont tenté une IPO en 2020, environ 80% traitent aujourd’hui au-dessous du prix d’entrée. Le bilan est encore pire pour les introductions en bourse de 2021 et 2022. Ceci dit, cette situation ne nous concerne pas directement car les sociétés que nous avons en portefeuille ne visent pas l’introduction en bourse.

Quelles sont vos vues de l’évolution du marché du PE à long terme?

La classe d’actifs a atteint une taille critique. Nombre de véhicules ont été lancés à destination de l’épargne et du retail. La démocratisation va continuer. Avec ELTIF, les marchés secondaires ont gagné en importance, sans toutefois atteindre la fluidité des marchés cotés. Racheter un investissement privé implique des frais légaux et fiscaux élevés et un processus plus complexe qu’échanger des titres en bourse. Certes, la hausse de la liquidité est attractive. Encore faut-il qu’elle n’obère pas la performance.

Beaucoup d’entreprises sortent de la cote.

Oui car cela implique moins de pression au niveau des résultats trimestriels et plus de flexibilité pour les investissements à long terme, en particulier ceux nécessaires à la digitalisation. Le capital-investissement est une classe d’actifs qui se «donne le temps».

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