
Depuis le début de 2025, l’industrie automobile mondiale reste sous pression, entre ralentissement de la demande, guerre commerciale et transition énergétique. La production stagne, notamment en Europe, tandis que les ventes de véhicules électriques progressent globalement, mais reculent dans certains pays comme la France, en raison de la fin des aides publiques. Les constructeurs doivent faire face à la montée en puissance des marques chinoises et à des restructurations massives, alors que l’électrification et la digitalisation du secteur exigent des investissements lourds.
Parmi les marques impactées, l’on trouve naturellement celles du géant allemand VW. Au premier trimestre 2025, le groupe Volkswagen a enregistré des résultats financiers contrastés. Le chiffre d'affaires a progressé de 3% pour atteindre 77,6 milliards d'euros, soutenu par une hausse des livraisons mondiales de 1,4%, totalisant 2,13 millions de véhicules. Cependant, le bénéfice d'exploitation a chuté de 37% à 2,9 milliards d'euros, principalement en raison de charges exceptionnelles totalisant 1,1 milliard d'euros. On fait le point avec Jérôme Schupp, responsable des investissements chez Prime Partners.
Le premier constructeur européen traverse une période sous haute tension (marges sous pression, plan d’économies, grèves, etc.). En quelques lignes: qu’est-ce qui cloche chez VW?
Depuis 2020, le secteur automobile – et donc pas seulement le groupe VW – vit une période extrêmement difficile. Elle fut notamment marquée par la concurrence accrue de Tesla ainsi que les réglementations européennes qui ont poussé les constructeurs historiques à investir des dizaines de milliards d’euros chacun dans le segment électrique. La crise du Covid et la guerre en Ukraine ont, quant à elles, entraîné d’importantes tensions sur les chaînes de production et sur le prix des matières premières.
«Le constructeur allemand est passé, depuis le début de l’année, devant Tesla en termes de volume des ventes.»
Le marché chinois, crucial pour VW, est également devenu très concurrentiel, notamment en raison de la présence de petits opérateurs locaux largement subventionnés. Tout cela a entraîné une hausse des prix, si bien que le nombre de véhicules vendus peine à progresser, en Europe en particulier. Et, finalement, la guerre des tarifs lancée par le président Trump n’arrange rien.
Malgré tous ces défis, les constructeurs européens – allemands et français pour l’essentiel étant donné que Fiat et Alfa Romeo appartiennent à Stellantis – restent largement bénéficiaires, même si les marges sont sous pression. Au premier trimestre, le groupe VW a réalisé un chiffre d’affaires de 77,6 milliards d’euros (+2,8%) pour un résultat opérationnel de 2,9 milliards d’euros (-37%). Ces chiffres restent bien meilleurs que ceux de Tesla, dont la rentabilité s’est effondrée.
Visiblement très en retard sur l’électrique, le groupe allemand n’a-t-il pas perçu l’importance de ce virage?
Le groupe VW fait pourtant partie des plus grands producteurs de véhicules électriques au monde, juste derrière BYD, désormais leader du marché. A noter que le constructeur allemand est passé, depuis le début de l’année, devant Tesla en termes de volume des ventes. Il peut même se targuer d’être numéro un en Europe. Son intérêt pour l’électrique a certes été relativement tardif, mais le virage a été amorcé il y a cinq ans, et le groupe allemand joue désormais les premiers rôles. La collaboration avec le chinois Xpeng lui apporte également un savoir-faire, notamment dans le domaine des logiciels.
VW propose déjà une gamme très large de véhicules électriques couvrant l’ensemble de ses marques, de Porsche à Seat. Rien que durant le premier trimestre 2025, celles-ci ont vendu 217’000 véhicules électriques.
Son avenir est-il en train de se jouer à Bruxelles avec l’assouplissement des règles sur le véhicule thermique?
Je ne pense pas que Bruxelles reviendra en arrière. Ce ne serait d’ailleurs pas dans l’intérêt des constructeurs automobiles européens eux-mêmes. Ils ont tous investi des sommes considérables dans le développement de véhicules électriques, l’adaptation de leurs sites de production ainsi que dans les batteries.
De toute façon, s’ils veulent vendre des véhicules en Chine, ceux-ci doivent être en priorité électriques. Et pour le marché européen, il faut être prêt à affronter la nouvelle concurrence venue de Chine. Le développement va se poursuivre, voire s’accélérer, pour toucher des modèles plus petits et surtout plus abordables. On peut déjà le constater avec la nouvelle R5 de Renault. L’année prochaine, le groupe français lancera une Twingo uniquement électrique.
Du côté de VW, ce sera la Polo, tandis que la future Golf sera entièrement électrique. Il n’y aura ainsi plus deux plateformes totalement différentes — celle de l’ID.3 et celle de la Golf actuelle — mais une seule, ce qui permettra des économies considérables en développement et en production.
Sans cet assouplissement, peut-on craindre aujourd’hui que Wolfsburg ne finisse par devenir la prochaine Détroit?
Pour le moment, je ne le pense pas, et la stratégie du groupe allemand fait tout pour l’éviter en étant réactif en termes de produits mis sur le marché. Mais il faut en parallèle agir aussi sur les coûts de production pour rester compétitif. Les sites en Allemagne, trop longtemps préservés, auraient dû être restructurés depuis déjà de nombreuses années. Ce retard s’explique en partie par la puissance des syndicats, mais aussi par la structure de l’actionnariat, dans laquelle figure le Land de Basse-Saxe, où se trouve Wolfsburg.
On suppose que la bataille commerciale engagée par Trump et son administration ne joue pas en sa faveur?
C’est évidemment une mauvaise nouvelle, en particulier pour Mercedes, BMW et le groupe VW, même si ces trois sociétés disposent de sites de production aux Etats-Unis. VW y produit des ID.4 et des Atlas à Chattanooga, mais les Audi ou Porsche vendues sur le marché américain proviennent d’Europe. Il faudra attendre la fin des négociations — qui n’ont guère avancé — pour avoir une idée plus claire des conséquences économiques.
Les belles années chinoises sont-elles définitivement derrière VW? Et quid de l’arrivée de BYD sur ses propres terres?
Il est vrai que le marché chinois est aujourd’hui bien plus mature qu’il ne l’était il y a dix ans. Il ne faut plus s’attendre à des hausses importantes des ventes. Et oui, BYD s’apprête effectivement à prendre des parts de marché en Europe : d’abord sur les véhicules thermiques de petite et moyenne taille, mais aussi, bien entendu, sur le segment électrique lui-même. BYD contribuera ainsi à accélérer l’électrification du parc automobile européen.
Cela dit, les groupes européens les plus concernés — VW avec ses marques Seat et Volkswagen, mais aussi les groupes Renault et Stellantis — sont bien mieux préparés qu’ils ne l’étaient lors de l’arrivée de Tesla. A l’époque, ils n’avaient quasiment rien à proposer face aux modèles de la société d’Elon Musk, alors qu’aujourd’hui, ils disposent d’une large gamme de véhicules électriques, qui va encore s’élargir dans les prochains trimestres, notamment dans la tranche de prix des 20’000 à 25’000 euros.
Il s’agit aussi d’apprendre des grands concurrents chinois : être capables de lancer de nouveaux modèles plus rapidement qu’auparavant, et de les produire à moindre coût! Ces mêmes constructeurs européens avaient d’ailleurs déjà dû s’adapter lorsque les marques japonaises — plus efficaces à l’instar de Toyota — avaient attaqué le marché européen.
Quelles sont vos attentes pour VW dans les trimestres à venir? Sommes-nous dans une situation où, puisque tout le monde a peur, c’est le bon moment pour investir dans le constructeur allemand?
Les prochains trimestres devraient rester difficiles pour les constructeurs automobiles. Le groupe VW a cependant fait mieux que bon nombre de ses concurrents, tant en termes de volumes — avec une légère progression — qu’en termes de rentabilité. Il détient toujours environ 10% de parts de marché au niveau mondial. Ses carnets de commandes sont en forte hausse, avec une progression à deux chiffres, notamment dans le segment électrique (+64%).
Les titres des constructeurs automobiles ont souffert ces dernières années, pour les raisons évoquées plus haut, et sont aujourd’hui faiblement valorisés. Ce sont désormais des valeurs assez volatiles. L’action VW avait progressé de plus de 25% à la mi-mars, contre environ 5% actuellement, la guerre commerciale et les incertitudes économiques ayant logiquement pesé sur ce secteur cyclique. Notons cependant que VW verse un dividende très généreux, d’environ 6,8%.