La zone euro croîtra faiblement, sans tomber en récession

Yves Hulmann

3 minutes de lecture

Selon Florence Pisani, économiste chez Candriam, l’Allemagne a une marge de manœuvre sur le plan budgétaire. La France est plus solide que l’Italie.

Les chiffres des principales économies de la zone euro ont souvent fait souffler le chaud et le froid ces derniers mois. Qu’en est-il à l’orée du deuxième trimestre? Le point avec Florence Pisani, économiste chez Candriam.

La zone euro a montré des signes de ralentissement au cours des derniers trimestres, avec une croissance du PIB attendue à 1,3% pour 2019 contre 1,8% en 2018, tandis que les indices PMI sont aussi orientés à la baisse cette année dans plusieurs pays, particulièrement en Allemagne. Côté positif, le taux de chômage continue de reculer dans la plupart des pays membres de la zone euro. Le verre est-il à moitié vide ou à moitié plein?

La croissance a nettement faibli depuis un an. On est passé de près de 3% début 2018 à guère plus de 1% aujourd’hui. Certains facteurs exceptionnels ont accentué le ralentissement. C’est le cas notamment de l’entrée en vigueur de nouvelles normes antipollution pour les véhicules qui ont nettement pesé sur le secteur automobile en Allemagne à l’automne dernier. Mais les tensions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine ont aussi joué un rôle important, en freinant, en particulier, les exportations de la première économie de la zone. A l’horizon des prochains mois, le plus probable est que la zone euro continue de croître faiblement, sans toutefois tomber en récession. L’emploi progresse en effet toujours à 1-1,5%, ce qui soutient la confiance des ménages. De plus, la politique budgétaire est devenue plus accommodante: elle va contribuer cette année au soutien de l’activité dans les plus grands pays de la zone – soit l’Allemagne, la France, l’Italie et l’Espagne. Bien sûr, la croissance européenne reste vulnérable, car elle est particulièrement sensible à l’environnement extérieur: si les Etats-Unis décidaient, demain, d’augmenter les droits de douanes sur les exportations de voitures européennes, il est sûr que cela aurait un effet négatif sur la croissance. L’industrie automobile allemande exporte plus de 0,7 point de PIB vers les Etats-Unis. Et à l’effet mécanique lié au repli de ces exportations, s’ajouterait sans doute aussi une sérieuse baisse de la confiance des entreprises.

L’Allemagne pourrait procéder à d’importants investissements publics,
sans risque pour la maîtrise de son endettement public.
L’économie allemande n’est-elle pas ainsi un facteur de risque pour la zone euro actuellement?

Oui c’est sûr. Le modèle économique allemand est mis à mal par la guerre commerciale. Mais l’Allemagne dispose de marges de manœuvre: avec des taux négatifs, une dette publique faible – elle est repassée sous la barre des 60% de son PIB cette année – et des besoins en infrastructures importants, l’Allemagne pourrait procéder à d’importants investissements publics, sans risque pour la maîtrise de son endettement public.

Sur le plan politique, les éventuels projets d’investissement ne risqueraient-ils pas d’être bloqués par une remise en question de la coalition actuellement au pouvoir en Allemagne, compte tenu de l’affaiblissement du SPD lors des élections européennes?

L’affaiblissement du SPD est certes un facteur de fragilité pour la coalition au pouvoir outre-Rhin. Toutefois, les Verts – qui sont, eux, sortis renforcés des élections européennes – et les sociaux-démocrates réussiraient certainement à s’accorder sur des projets d’infrastructures ou l’octroi d’aides à la transition énergétique, par exemple. Avec des taux à -0,2% pour les emprunts souverains allemands à 10 ans, ce serait du reste le moment de réaliser des investissements qui préparent l’avenir! L’investissement public (net de l’amortissement) est pratiquement nul en Allemagne depuis plus de deux décennies alors que les besoins sont importants.

Malgré des similitudes en matière d’emplois, la France
et l’Italie ne sont pas sur la même trajectoire économique!
S’agissant de l’Italie, pourquoi l’UE redécouvre-t-elle soudainement le niveau élevé de la dette italienne. Cette situation existe depuis longtemps – pourquoi faudrait-il particulièrement s’en inquiéter maintenant?

Ce n’est pas seulement le niveau de la dette en lui-même qui inquiète les autorités de l’UE mais plutôt une combinaison de facteurs. D’abord, le gouvernement en place fait peu d’effort pour réduire son déficit alors que sa dette est élevée. Il semble en outre peu enclin à annoncer des mesures pour compenser le gel de la hausse des taux de TVA prévu pour 2020. La Commission prévoit d’ailleurs un déficit budgétaire de 3,5%, faute de mesures compensatoires. Dans un contexte de croissance quasi nulle, un tel déficit ne peut que rendre plus délicat encore la soutenabilité de la dette publique italienne. C’est l’évolution de la politique budgétaire en Italie couplée à une croissance économique très faible qui inquiète Bruxelles.

Et qu’en est-il de la France?

Comme en Italie, le chômage est lent à baisser et l’érosion de la classe moyenne favorise la montée du populisme: dans les deux pays depuis le milieu des années 2010, les créations d’emplois dans les métiers à salaires intermédiaires ont été très faibles. C’est une situation assez atypique en Europe: dans la plupart des autres pays européens on a observé des créations importantes d’emplois dans ces métiers.

La France est loin toutefois d’être dans la même situation que l’Italie. Certes, le poids de la dette publique est monté sur les dernières années, mais il est nettement plus faible. Surtout, les perspectives de croissance sont plus favorables en France: en Italie les gains de productivité ont été nuls sur les deux dernières décennies et la population en âge de travailler décroît. Ce n’est pas le cas en France: malgré des similitudes en matière d’emplois, la France et l’Italie ne sont pas sur la même trajectoire économique!