Le taux de rénovation est à la peine. Ce taux n’est que de 1% par an en Suisse, comme dans l’UE d’ailleurs. Ce faible désir d’assainissement pourrait mettre à mal le respect de traités signés par la Suisse, comme les Accords de Paris, et leurs projets de décarbonation. Les économistes tentent de mieux saisir les raisons de ce faible appétit rénovateur et d’améliorer leur financement.
Un projet a ainsi été lancé à Fribourg, financé dans le cadre de la Nouvelle Politique Régionale (NPR). Son acronyme est assez long et son titre l’est tout autant. Les chercheurs voulaient en effet que l’on puisse saisir sans peine l’objectif de leur projet. SAFFTESIS est l’acronyme de «Solutions Alternatives de Financement pour Favoriser la Transition Énergétique dans le Secteur Immobilier en Suisse». Nils Tuchschmid, professeur et directeur de l’Institut de Finance de la Haute Ecole de Gestion Fribourg, qui participe à ce projet, répond aux questions d’Allnews:
Pourquoi le taux de rénovation est-il aussi bas?
Deux raisons ressortent généralement des discussions que l’on peut avoir avec les propriétaires ou des questionnaires qui leur sont envoyés. La première tient à la perception que les travaux de rénovation d’un bâtiment ne sont pas rentables. La deuxième porte sur les contraintes sur les sources de financement traditionnelles. Ces dernières sont effectivement très limitées. L’investisseur peut disposer des liquidités nécessaires ou emprunter les capitaux à sa banque, mais s’il possède déjà d’une hypothèque, les conditions offertes ne seront pas bon marché. Il manque donc des solutions alternatives.
De quel type de rénovations parlons-nous ici?
Il s’agit de rénovations à des fins d’efficience énergétique. Nous excluons les travaux visant à améliorer le confort ou le design, par exemple la transformation d’une cuisine ou l’installation d’une nouvelle salle de bain. Les rénovations peuvent porter aussi bien sur la toiture que les fenêtres, les murs ou la source de production de chaleur. On distingue ainsi les travaux de rénovation dits passifs qui concernent l’enveloppe du bâtiment, des travaux que l’on dit actifs qui concernent les changements sur les sources de chaleur.
Quel est l’état de votre projet?
Nous en sommes à mi-chemin. Nous avons d’abord établi le cadre de la situation en Suisse. Nous nous sommes ensuite concentrés sur l’exemple du canton de Fribourg en tenant compte de ses spécificités en matière de crédits d’impôt et des possibilités de subventions. Si nous prenons d’ailleurs l’exemple du programme «bâtiment» de ce canton, il faut avouer que nous avons été surpris par la complexité de ces aides.
Nous avons aussi fait appel à la littérature économique existante et aux travaux de recherche qui ont déjà été publiés. On peut trouver par exemple une multitude de travaux s’intéressant à la relation entre la valeur d’un bâtiment et sa qualité. Ils étudient plus précisément le lien entre le classement des bâtiments en termes d’efficience énergétique et leur valeur marchande, répondant en quelque sorte à une question relativement simple: la rénovation se reflète dans le prix que de futurs propriétaires seraient prêts à payer?
Ici, tous les résultats sont possibles. Dans certaines études, les différences sont nulles. Dans d’autres, les résultats semblent favoriser les bâtiments bien classés. Enfin, quelques études trouvent des écarts qui sont énormes et qui sont par conséquent sujet à caution. Le problème réside sans doute dans la qualité des données disponibles.
«Notre étude semble indiquer que les programmes de subvention sont nettement insuffisants pour imaginer que le propriétaire puisse compenser ses pertes».
Que révèlent vos études sur les rénovations?
Le nombre d’études sur les rénovations est étonnamment réduit. Il est vrai qu’il est difficile de récolter des données. L’Allemagne fait ici exception parce que plusieurs instituts collectent des données de façon standardisée. D’autres se penchent sur des cas de rénovations effectifs, donc des bâtiments rénovés souvent de grande taille.
Leurs études montrent que l’opinion générale selon laquelle les travaux de rénovation sont trop coûteux et leur rentabilité est négative s’avère correcte. En termes financiers, la valeur actualisée nette -ce que l’investisseur doit investir par rapport à ce qu’il espère collecter comme diminution des coûts- est négative. En ce sens, ces projets de rénovation détruiraient de la valeur.
Mais il faut peut-être distinguer entre les projets de rénovation dits passifs, ceux qui portent sur l’enveloppe du bâtiment, lesquels ne semblent pas être rentables, de ceux qui s’intéressent aux rénovations dites actives (par exemple changer la source d’énergie du mazout à la pompe à chaleur, ou du gaz aux pellets) qui eux produisent des résultats mixtes. Certaines rénovations actives présentent une rentabilité positive. A titre d’exemple et de manière un peu anecdotique, une étude montre que le changement des robinets d’un grand bâtiment pour des robinets «verts», moins consommateurs d’eau serait économiquement rentable.
Quelle a été la situation pour la deuxième phase de votre projet?
Nous nous sommes intéressés à la situation particulière de Fribourg. Grâce à nos partenariats avec le groupe Grisoni et le groupe CSD Ingénieurs, nous avons pu collecter des données standardisées, par exemple sur les coûts et la qualité d’isolation des différents matériaux et calculer ainsi les gains attendus en termes de consommation énergétique par rapport à la situation prévalente avant des travaux d’isolation. Les premiers résultats que nous avons pour l’instant obtenus confirment ceux que l’on trouve dans les articles de recherche. Les travaux de rénovation dits passifs ne sont pas économiquement rentables.
Pour les rénovations actives, nous avons pu nous baser sur des données fournies par le groupe CSD. Nous avons étudié le passage du mazout à la pompe à chaleur ou du gaz à la pompe à chaleur. L’un des deux changements est légèrement positif alors que l’autre demeure négatif à cause du surcoût engendré par la pose de la pompe à chaleur.
Quels sont les travaux qui valent la peine d’être engagés?
Les travaux qui valent la peine d’être réalisés, parce qu’ils ne sont pas trop chers pour une économie d’énergie significative, sont par exemple les isolations de toiture. Il en va de même pour les travaux d’isolation entre local froid et local chaud.
Qu’en est-il des subventions?
Les résultats sont calculés en tenant compte des subventions. Et, il est clair qu’il est encore moins intéressant de s’engager dans une rénovation sans ces subventions.
D’ailleurs, les rénovations passives, qui ne donnent pas droit à des subventions, ne sont clairement pas rentables. Par exemple, la pose d’une surface isolante entre la cave et la maison n’est pas subventionnée dans le canton de Fribourg. Et sans cette subvention, le propriétaire ne peut pas espérer rentrer dans ses frais. Il en est de même pour les fenêtres et ainsi de suite.
Est-ce que l’absence de rendement est fonction de la durée choisie ou du taux d’intérêt?
Dans le cas de nos premiers scenarii, nous avons pris pour hypothèse une durée de 50 ans et un taux d’actualisation de 3% avec l’octroi de crédits fiscaux et de subventions. Pour l’instant, nous avons fait nos estimations en séparant chaque type de rénovations, c’est-à-dire en prenant séparément le toit, la façade, les fenêtres, mais sans étudier un «paquet complet». Nous devons encore combiner ces différents travaux et tenir compte du fait que dans ce cas, les programmes de subventions ne sont plus les mêmes. Mais l’objectif reste toujours le même. Il consiste à mettre en rapport les dépenses d’aujourd’hui et d’imaginer les gains réalisés grâce à l’économie de consommation énergétique. Il est naturellement possible de modifier les paramètres. J’ajoute que nous n’avons pas intégré d’inflation dans les coûts de l’énergie dans nos premiers résultats. Mais nous pouvons le faire facilement.
De toute manière, sans subvention, une rénovation ne sera pas rentable.
«Il faut ensuite offrir aux institutionnels suisses, à même de financer une partie de ces travaux, des véhicules d’investissement adaptés».
Est-ce que vos travaux permettent de fixer la subvention à un niveau optimal?
En tous les cas, notre étude semble indiquer que les programmes de subvention sont nettement insuffisants pour imaginer que le propriétaire puisse compenser ses pertes. Ou alors, il nous faut peut-être imaginer l’existence d’une «valeur verte» (green value), mais cela nous amène à un autre débat. Ce concept de valeur verte implique qu’après rénovation, la maison disposerait d’une valeur résiduelle supplémentaire parce qu’elle serait «verte», plus confortable en quelque sorte. Personnellement, en tant qu’économiste, j’ai de la peine à intégrer ce concept dans nos calculs. Le «confortable» me semble difficile à estimer. Mais je sais que certains de mes collègues travaillent sur cette idée et cherche à développer des méthodologies pour estimer cette valeur.
Notons également que de nombreuses études montrent que les bâtiments non rénovés consomment moins d’énergie qu’attendu et qu’inversement, un bâtiment rénové en consomme davantage. Comme si les habitants étaient convaincus des vertus de l’isolation de leur maison et chaufferaient dès lors davantage.
Qu’en est-il de l’absence de convergence d’intérêts entre le locataire et le propriétaire?
Dans nos calculs, nous n’avons pas tenu compte de ce conflit d’intérêts entre le locataire et le propriétaire. Si le propriétaire pouvait correctement répercuter ses travaux de rénovation sur le loyer, la rénovation se ferait plus fréquemment. Il manque une volonté politique qui encouragerait les rénovations à travers une plus grande flexibilité des loyers. Pour l’instant, la volonté électorale dépasse la volonté politique.
La question porte aussi sur la subvention. Elle atténue la rentabilité négative. Mais notre étude montre qu’elle reste insuffisante pour rentabiliser la rénovation. Là encore, c’est un problème politique, la subvention étant forcément prise sur les ressources limitées du canton.
Les hypothèses ne sont-elles pas fragiles sur l’horizon à 30 ou 50 ans?
De nombreuses mesures peuvent en effet être annoncées ces prochaines années, y compris des mesures coercitives ou des sanctions contre ceux qui ne rénovent pas ou encore des pénalités à caractère financier, par le biais par exemple de conditions hypothécaires défavorables pour des immeubles présentant un mauvais bilan énergétique. Il n’en demeure pas moins vrai qu’il convient de connaître les coûts économiques associés à ces mesures et savoir si elles sont acceptables pour notre société.
Quels sont les suites de vos prochains travaux?
Nous devons tout d’abord finaliser nos estimations quant à la rentabilité économique des travaux de rénovation. Être à même d’en estimer le coût brut et net des crédits d’impôt et des subventions en prenant soin de mesurer aussi précisément que possible les économies d’énergie que l’on peut espérer retirer de ces travaux. Rien ne sert de présenter un bilan avantageux si la réalité montrera un visage différent.
Nous entrons également dans la phase de développement des propositions de financement. Les pistes possibles peuvent comprendre des avantages fiscaux, des modifications des taxes foncières, des subventions, des hypothèques vertes, le crowdfunding et les solutions offertes par l’ESCO – soit la réalisation des travaux par un tiers qui peut être rémunéré entre autres sur les économies réalisées-. Cette dernière solution reste toutefois assez rare en Suisse en raison de sa complexité. A noter aussi que l’on recourt à l’ESCO en Suisse sur des bâtiments de taille plutôt modeste ce qui est assez contre-intuitif.
La solution qui nous paraît la plus intéressante est celle dite du guichet unique («One stop shop»): un seul interlocuteur s’occupe de l’ensemble des travaux, du mandat à l’exécution, en passant par la facturation et la recherche du financement. Le problème tient ici à l’incertitude sur le montant des travaux de rénovation et à lutter contre l’idée encore très répandue selon laquelle «l’argent n’est pas le problème». En fait, il ne s’agit pas de clamer haut et fort qu’il y a de l’argent. Il faut encore s’assurer qu’il est correctement alloué. Et il faut ensuite offrir aux investisseurs potentiels et notamment aux institutionnels suisses, à même de financer une partie de ces travaux, des véhicules d’investissement adaptés à leurs besoins, qui offrent des garanties de rentabilité même si elle devrait demeurer modeste et qui respectent les contraintes usuelles en matière de régulation et de loi. Car c’est en effet dans les «détails» que le diable se cache. En d’autres termes, offrir des solutions d’investissement adaptées avec une vraie mesure d’impact et qui se destine au marché local.