La surperformance européenne est maintenant terminée

Emmanuel Garessus

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L’augmentation des dépenses d’infrastructure et de défense est maintenant dans les cours, selon Mathieu Savary, de BCA Research, lequel prévoit une récession mondiale.

 

Après des années de sous-performance européenne, les investisseurs se détournent des Etats-Unis au profit de l’Europe. Même durant l’actuelle correction, l’Europe tire son épingle du jeu. Mais cette surperformance a été excessive et elle va rapidement prendre fin, estime Mathieu Savary, stratégiste en chef pour l’Europe auprès de BCA Research. A son avis, la divergence avec les Etats-Unis va se corriger La relance budgétaire allemande est déjà anticipée dans les cours. Et l’économie européenne reste très dépendante du marché américain. De plus, si le multiple de bénéfice s’est accru en Europe, les bénéfices des actions européennes n’ont pas augmenté de concert. Mathieu Savary répond aux questions d’Allnews:

Pour quelles raisons pensez-vous que la surperformance des actions européennes va prendre fin?

Notre étude met toutefois en lumière plusieurs raisons pour lesquelles la surperformance européenne devrait prendre fin. 

La première raison est liée à l’augmentation de l’incertitude sur les marchés mondiaux. Cette incertitude est alimentée par la politique économique du gouvernement Trump, très négative pour les perspectives de croissance. Elle n’est pas encore entièrement reflétée dans les cours des actions européennes. 

Je note que le marché européen est devenu très dépendant de l’évolution des actions de l’industrie de la défense. La hausse de ces dernières a été nettement trop rapide par rapport à la réalité économique. Les gouvernements augmenteront leurs budgets de défense, mais le phénomène ne se traduira pas immédiatement par une hausse des bénéfices des entreprises, d’autant que, faute d’avoir assez investi ces dernières années, elles n’ont pas encore les capacités nécessaires pour répondre à cette demande. Elles devront donc procéder à des investissements, ce qui réduira leurs flux de trésorerie. Ajusté du mouvement des valeurs de défense, il apparaît que le marché européen des actions est extrêmement cher.

Les valeurs de défense ne représentent-elles pas qu’une petite partie de l’indice européen?

Sans doute, mais la performance des actions européennes de cette année est pour une grande part le résultat de l’industrie de la défense. Nous pensons donc qu’une réévaluation de ce secteur pénalisera l’indice européen en général.

Pourquoi le comportement des hedge funds vous inquiète-t-il?

Au sein des hedge funds, les CTA sont massivement sortis des actions américaines au profit des valeurs européennes. Le mouvement correspond à 150 milliards de dollars en moins de trois mois. On sait qu’ils ne conservent pas leurs positions très longtemps. La probabilité qu’ils sortent de ces positions est donc très élevée, ce qui pèsera sur les bourses européennes.

«La probabilité d’une récession mondiale en 2025 s’élève à 75%.»

Qu’en est-il des perspectives à long terme des actions européennes?

J’aimerais être clair sur ce point. A long terme, les actions européennes sont attractives. Et toute période de sous-performance par rapport aux valeurs américaines constitue une opportunité d’achat. 

Notre point de vue sur la fin de la surperformance européenne est d’ordre tactique. La correction peut toutefois être douloureuse. Nous conseillons donc de ne pas ajouter de positions en ce moment et d’attendre que la correction se poursuive avant de revenir sur les titres européens.

Globalement, est-ce que vous êtes très baissiers?

Nous avons un point de vue négatif sur les actions mondiales en raison du risque de récession. Nos adoptons donc un profil défensif également en Europe, où les actions sont très sensibles à l’indice mondial.

Quelle est la probabilité d’une récession mondiale?

La probabilité d’une récession mondiale en 2025 s’élève à 75%. L’une des raisons de cette prévision est liée à l’incertitude résultant de la guerre tarifaire. Les effets de cette dernière sont d’autant plus négatifs que l’économie mondiale se situe à un moment tardif du cycle économique. Les signes sont nombreux: les ménages américains sont de plus en plus pessimistes sur leurs perspectives financières. L’épargne excédentaire accumulée durant la pandémie a disparu. Pour plus de la moitié d’entre eux, le niveau des dépôts bancaires est inférieur aujourd’hui à celui de 2019. Sur le marché du travail, le nombre de postes vacants est en repli. Les entreprises réduisent aussi leurs demandes d’investissements dans l’anticipation de la guerre tarifaire. L’incertitude augmente aussi à cause des mesures de réduction des dépenses publiques de DOGE et de Donald Trump. Quelque 10 millions d’employés directs ou indirects sont dans une situation d’inquiétude.

Nous entendons souvent le terme de changement de paradigme (game changer), tant pour la politique commerciale que pour la politique de défense. Est-ce que l’Europe ne va durablement se dissocier des tendances prévalant aux Etats-Unis? D’ailleurs, l’argent ne sort-il pas durablement des Etats-Unis au profit de l’Europe?

Les changements qui interviennent actuellement en Europe représentent un changement de paradigme, mais les variations des marchés ne se font pas de façon linéaire. 

Les attentes influencent la réalité. Depuis le début de l’année, les taux européens se sont accrus 70 points de base et l’euro a gagné 7% contre le dollar. La capacité de l’économie européenne à générer des surprises économiques positives durant les 2e et 3e trimestre sera affectée négativement par ces changements des attentes et par le resserrement des conditions financières. C’est pourquoi, en réponse à l’augmentation des risques, les actions européennes devraient sous-performer. Le «de-Risking» devrait se produire ces prochaines semaines.

Ne faites-vous pas la différence entre les Etats-Unis qui mettent en place une politique budgétaire restrictive et l’Europe qui relance ses dépenses budgétaires et ignore les critères de Maastricht?

Les décisions budgétaires prises en Allemagne ne seront mises en oeuvre qu’au cours des prochaines années. La politique budgétaire sera effectivement expansive, mais les conditions financières sont déjà plus restrictives à travers le changement des anticipations liées à cette relance. Durant les 2e et 3e trimestre, l’économie européenne fera face aux coûts des dépenses publiques avant de profiter de leurs avantages. Ce bénéfice ne se fera sentir qu’à la fin de l’année et au début 2026. Le marché traduit un combat entre les attentes, très élevées, et les risques. La probabilité d’une déception nous paraît importante.

«Les changements qui interviennent actuellement en Europe représentent un changement de paradigme, mais les variations des marchés ne se font pas de façon linéaire.»

Qu’en est-il de l’écart de politique monétaire?

La BCE devrait continuer de baisser ses taux directeurs, comme le laissent supposer des indicateurs tels que l’évolution des salaires et celle des postes vacants.  La tendance reste à la désinflation en Europe. 

Le taux neutre se situe à 2% en termes nominaux en Europe. La BCE devrait amener le taux directeur à 2%. Précédemment, nous attendions une plus forte diminution des taux (1 à 1,5% fin 2025), mais le changement de politique budgétaire induit une modification des perspectives de taux.

Qu’attendez-vous du débat sur un Accord de Mar-a-Lago sur les monnaies?

Ce n’est que du bruit. Il n’y aura pas d’accord dans la mesure où les Etats-Unis essaient de dicter leur volonté aux autres pays. On ne peut pas parler d’accord avec une telle position.

En bourse, est-ce que les indices devraient baisser de 10% en Europe et aux Etats-Unis?

Aux Etats-Unis, la bourse devrait baisser d’encore 10 à 15% et en Europe de 15 à 20%, en réaction à l’écart de performance depuis le début de l’année. Après un recul des indices européens de 10%, nous ne manquerions pas de saisir les opportunités qui se présenteront.

Après la connaissance du niveau des droits de douane réciproques, est-ce qu’un rebond boursier est possible?

Un rebond est effectivement possible à cette occasion, mais l’investisseur devrait en profiter pour réduire ses positions. Les dommages causés par l’incertitude sont déjà très faits. 

Il est aussi possible que Donald Trump introduise les nouveaux droits de douane à une date ultérieure, ouvrant la porte à une négociation. Mais l’incertitude persisterait. Tous les travaux d’économistes, par exemple du FMI, soulignent les méfaits de l’incertitude sur l’économie mondiale. Je suis davantage inquiet par l’incertitude que par les droits de douane.

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