La diversification en prévoyance

Nicolette de Joncaire

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«Nous avons été l’un des premiers en Suisse à diversifier si précocement dans les alternatifs» explique Martin Roth de Manor Pensionskasse.

Ce n’est un secret pour personne. Les taux d’intérêt négatifs sur les obligations de la Confédération remettent en cause les stratégies de placement classiques des institutions de prévoyance. Qui peinent à générer les revenus nécessaires pour s’acquitter de leurs engagements à moins d’orienter une partie de leurs fonds vers des actifs plus risqués. Tôt diversifiée, la caisse de pension de Manor a une expérience pionnière qui s’étend sur une vingtaine d’années car elle s’est tournée – pour partie – vers les hedge funds et le private equity dès 1999. Entretien avec Martin Roth, directeur de la Caisse de pensions de Manor.

Comment se fait-il que vous vous soyez aventurés si tôt dans des territoires peu couverts par les autres institutions du même type que la vôtre?

Les caisses de pension sont traditionnellement gérées en fonction de leur passif alors que nous avons vite compris que le risque viendrait de la gestion des actifs. Alors que nos pairs maintenaient des stratégies plus classiques (essentiellement obligataires), nous avons estimé très rapidement qu’une bonne diversification ajoutait de la valeur au niveau du risque et commencé depuis 20 ans à nous positionner sur des classes alternatives comme les hedge funds ou le private equity. Aujourd’hui le calcul est assez simple: le taux risk free est à -0,6% sur 10 ans alors que sur cette même période de 10 ans, une caisse de pension doit en moyenne gagner entre 2 et 3% par an pour assurer une couverture stable de ses engagements. Il faut donc atteindre un risk premium de 2 ou 3% dans la gestion des actifs et, par conséquent, augmenter les risques, en investissant, par exemple, dans des actifs illiquides qui offrent une prime d’illiquidité. Beaucoup de caisses ont augmenté leur risque sur les derniers 5 ans mais je crois que nous avons été l’un des premiers en Suisse à diversifier si précocement en particulier dans les alternatifs. A ce jour, près du tiers de nos placements (27%) est en actions, 38% en actifs illiquides et 12,5% en hedge funds.

«Le plus important est l’analyse ALM qui détermine
la stratégie optimale et le montant maximal d’illiquidité.»
Comment sont réglementés les investissements alternatifs des instituts de prévoyance?

La règlementation LPP2 limite l’investissement dans les classes alternatives à 15%. Mais le plus important est l’analyse ALM1 qui détermine la stratégie optimale et le montant maximal d’illiquidité. C’est le Conseil de fondation qui définit cette stratégie et qui peut dévier des limites réglementaires s’il donne des explications raisonnables. 

Commençons par les actions que vous dites gérer largement de manière passive. Pour quelles raisons?

Autrefois, nous gérions cette portion actions de manière active mais nous nous sommes progressivement tournés vers la gestion passive car l’approche active ne battait pas les marchés sur cinq ans et, qu’à performance égale, la gestion passive était beaucoup moins couteuse. Ce choix nous a permis de conserver notre budget de risque pour d’autres classes d’actifs. Notez toutefois que nous continuons à gérer les small et mid caps suisses de manière active. 

Avec le retour de la volatilité, n’y a-t-il pas de nouveau du potentiel pour une gestion plus active?

C’est effectivement le cas. Et nous nous en servons en utilisant des hedge funds qui tentent de profiter des inefficiences des marchés passifs avec des stratégies actives. 

38% de votre allocation est dans des classes d’actifs peu liquides. N’est-ce pas inhabituel?

Pas autant qu’il y parait car, de manière assez classique, 30% de notre portefeuille va à l’immobilier - dont 21% en l’immobilier suisse et 9% en l’immobilier étranger. Ce qui est peut-être moins banal, est que nous avons également une poche de 4,5% en private equity et une autre de 3,5% dévolue à l’infrastructure. 

«En 2013, nous avons commencé à investir dans des fonds d’infrastructure durable,
pour un tiers en Suisse et pour deux tiers à l’étranger.»
Quel type d’investissement en infrastructure?

En 2013, nous avons commencé à investir dans des fonds d’infrastructure durable, pour un tiers en Suisse (eau, recyclage) et pour deux tiers à l’étranger (solaire, éolien, routes à péage). Ce sont des investissements à long terme générant des cashflows annuels indexés partiellement sur l’inflation donc bien adaptés aux paiements des retraites. Mais ce segment doit être limité. Nous lui préférons l’equity qui génère un rendement supérieur.

Le private equity exige un engagement à long terme est, en outre, il est cher.

Oui, les frais sont très importants et difficilement négociables. Comme ce segment a eu de bons résultats sur les 5 à 10 ans dernières années, les gérants n’ont aucune raison de baisser leurs fees (contrairement aux gérants de hedge funds). Le coût est de l’ordre de 2 à 4% net sur le capital investi mais comme la prime d’illiquidité est de 3% environ après fees, ce prix est pour l’instant justifié. Il s’agit effectivement d’un investissement sur le long terme, de 10 à 15 ans et il est donc crucial de choisir un partenaire de confiance. Attention donc aux changements de managers et à la clôture des fonds. Nous ne nous adressons qu’à des instituts, présents depuis longtemps avec une réputation qualitative et quantitative de haut niveau. Autre point, valable d’ailleurs pour d’autres classes d’actifs, nous sommes très attentifs à la proportion que nous représentons au sein d’un manager ou d’un actif. Pas question de se retrouver avec personne en face si nous voulons liquider. 

N’est-ce pas un marché encore difficilement accessible?

C’est le cas. Pour atteindre la masse critique nous travaillons avec une fondation d’investissements en pool avec d’autres caisses de pensions, sur un programme global.

«Nous n’aimons ni les Cocos, ni les synthétiques.»
La proportion d’obligations, classe autrefois chérie de la prévoyance, a bien fondu. Quelle est votre position?

Notre portefeuille est pour 5,5% investi en obligations suisses et pour 2% en obligations étrangères. L’univers de ces dernières est vaste mais notre passif étant en francs, nous essayons de minimiser l’exposition aux devises étrangères, or le coût de la couverture de change est considérable (3% pour le dollar).

Vous détenez également 6% environ de convertibles.

Oui, des convertibles traditionnels, cotés sur les marchés. Nous n’aimons ni les Cocos, ni les synthétiques. Les convertibles nous permettent de participer au marché equity même quand notre volonté est de diminuer le risque actions. 

Quel est, à votre sens, le plus grand risque aujourd’hui pour les caisses de pension suisses?

Hors actions, compte tenu des montants investis dans les obligations liées aux immobilières suisses et les hypothèques par les fonds de pension, elles pourraient se retrouver en crise si la liquidité venait à manquer. Je parlerais de risque systémique. 

1 ALM: Asset/Liability Management