La direction de fonds immobiliers Realstone SA est l’un des principaux acteurs suisses de l’immobilier, avec 4,6 milliards de francs d’actifs sous gestion. L’un de ses fonds, Realstone RSF, a vu son cours en bourse en forte reprise en 2024 puisqu’il a davantage performé que le SWIIT, l’indice des fonds immobiliers cotés à la SIX. L’agio, qui était tombé en dessous de 5% alors que les fonds concurrents se situaient entre 12 et 15%, a également progressé en réponse à l’annonce progressive des mesures mises en place dans une stratégie à cinq ans. Ce fonds immobilier, dont la fortune totale est de 2,5 milliards de francs, investit pour moitié en Suisse romande et pour moitié en Suisse alémanique, principalement dans les cantons de Zurich, Argovie, Berne et Bâle Campagne. Julian Reymond, CEO de Realstone SA, répond aux questions d’Allnews:
Comment expliquez-vous la surperformance de l’année dernière?
Le cours en bourse du fonds Realstone RSF ainsi que son agio étaient restés en retrait par rapport à la moyenne du marché. Nous en avons déduit qu’il fallait plus communiquer tout au long de l’année sur les différents points de notre plan d’action à cinq ans et notamment insister sur le fait que notre résultat net allait grimper à l’avenir.
Le rendement du dividende du fonds, vers 3%, était conforme au marché. Mais les caisses de pension considéraient davantage les résultats réalisés liés à l’exploitation du fonds et ses revenus. Ils attachaient moins d’importance aux gains en capitaux susceptibles de s’ajouter au résultat net. Ces gains supplémentaires étaient utilisés ces dernières années pour compléter le dividende.
La faiblesse de l’agio révélait que nous avions peut-être insuffisamment présenté nos perspectives. Nous avons donc voulu être totalement transparents à ce sujet et sur nos perspectives. La présentation des différents objectifs de notre plan d’action a provoqué un net rebond du cours, tout comme la livraison en septembre des 233 logements de la partie finale de l’important projet que nous avons développé à Horgen (ZH). La performance boursière du fonds en 2024 s’est élevée à 22%, y compris le dividende. Le message a donc été compris.
La structure mixte du fonds, avec une composante commerciale, vous avait-elle pénalisé auparavant?
Effectivement, c’était une raison de la faiblesse de notre agio. Nous avons saisi des opportunités commerciales qui n’ont pas pu être louées aussi rapidement que nous l’aurions souhaité, notamment en raison de la crise du Covid. Je pense en particulier à l’immeuble Octagon au Grand-Saconnex, l’ancien siège européen de DuPont de Nemours, un actif de 125 millions de francs, qui représente la moitié du taux de vacance du fonds. Pour cet immeuble, nous sommes passés d’une situation avec un seul locataire à un site avec plus de cent locataires. Les durées des baux ainsi que la diversité des utilisateurs réduisent fortement l’impact d’un éventuel départ et éliminent tout risque pour le fonds.
La future évolution du fonds dépend-elle d’autres facteurs que de votre capacité à le mettre en œuvre?
La progression dépendra de l’exécution du plan et des mesures qui y seront ajoutées. Le plan consiste à pérenniser le dividende de 3% de la VNI sur la base du résultat net organique, sans les gains en capitaux, et à atteindre la part de 70% d’immobilier résidentiel (67% actuellement) afin d’être définitivement catégorisé comme un fonds résidentiel. Nous y parviendrons en réduisant le taux de vacance, qui était à 8% lors de la clôture semestrielle du 30 septembre dernier. Nous devrions être à environ 7% à la fin mars 2025, pour la clôture annuelle. La baisse de ce taux devrait se poursuivre ces prochaines années. Trois immeubles expliquent cette situation, le principal étant Octagon.
«La présentation des différents objectifs de notre plan d’action a provoqué un net rebond du cours».
Êtes-vous prêts à faire des concessions de prix?
Non. Pour l’immeuble Octagon, nous avons réussi à louer plus de 20’000 m2 depuis le 1er avril 2022, notamment grâce à la mise en place d’un Property management spécifique à cet actif, et négocions actuellement la location de 3’000 m2 supplémentaires, dont notamment l’arrivée d’une crèche. Nous avons également prévu de convertir une partie de ces surfaces commerciales en résidence meublée avec services. Comme c’est une zone d’affectation mixte artisanale/commerciale, nous ne pouvons pas convertir en logement standard. Un premier permis nous est parvenu l’année passée pour 2’400 m2, auquel nous ajouterons 1’200 m2, pour lesquels nous venons d’obtenir le permis. Au final, nous aurons donc 3’600 m2 de résidence meublée avec 103 chambres au lieu des 70 précédemment annoncées. Les travaux de transformation sont en cours.
Avec cette résidence meublée ainsi que l’apport de quelque 2’000 m2 en discussion avec l’Etat de Genève et une mission diplomatique, nous devrions arriver à un taux de remplissage de 95% sur cet immeuble, si tous les logements meublés sont loués.
Est-ce possible cette année?
Cela devrait être terminé à la fin des vacances d’été et loué en septembre. Cela signifie qu’à la fin du prochain exercice du fonds, à fin mars 2026, la vacance de cet immeuble sera résolue, ce qui permettra d’ajouter 15 centimes d’excédent par part au résultat net du fonds.
Dans le cas d’Octagon, nous avions l’idée d’un «hôtel» pour entreprises, à savoir d’offrir des prestations supplémentaires et pas uniquement la location d’une surface. Les entreprises locataires bénéficient ainsi d’un restaurant, un fitness, un centre de conférence avec un auditorium de plus de 100 places, un parking souterrain de plus de 600 places et peut-être bientôt une crèche. C’est clairement un succès. Nous le louions au départ à 290 francs/m2 comme loyer net annuel. Celui-ci est monté à 390 francs/m2 pour les baux signés récemment. Nous sommes satisfaits parce que notre idée de départ a pu été réalisée en dépit de diverses complications.
Quel était le prix d’achat?
Nous l’avons acheté autour des 130 millions de francs. Nous ne sommes pas encore au « break-even ». Nous avons certes signé des baux pour 68% de la surface, sans compter la transformation de la résidence meublée, mais nous aurons atteint la pleine valeur de ces signatures dans 18 à 24 mois.
Pourquoi visez-vous un taux de vacance inférieur à 3% et pas un autre taux?
Nous estimons que ce taux correspond à la juste valeur pour le fonds Realstone RSF. Il comprend une part de vacance pour l’immobilier résidentiel et un taux pour la partie commerciale. Avec le plan d’action mis en place, nous passerons de 8% à 3% de vacance pour 100 millions de francs d’états locatifs, ce qui ajoutera 5 millions de revenus locatifs supplémentaires au résultat net du fonds.
Aurez-vous atteint en deux ans votre objectif à cinq ans?
Compte tenu de plusieurs facteurs dont la gratuité de certaines surfaces en début de bail à Octagon, il est raisonnable de vouloir atteindre cet objectif en cinq ans, même si nous ferons tout pour l’atteindre avant.
«Nous avons également prévu de convertir une partie de ces surfaces commerciales en résidence meublée avec services»
Quelle est votre opinion sur l’état du marché?
La baisse des taux d’intérêt a des conséquences sur la situation du marché. D’une part, les vendeurs ont revu leurs attentes à la hausse. D’autre part, le prix des immeubles neufs ou récemment construits est en train d’augmenter significativement. Le nombre d’opportunités intéressantes est donc plus restreint.
Notre savoir-faire se situe dans l’achat d’objets comprenant un potentiel d’amélioration, par exemple en termes de vacance ou d’efficience énergétique. Ces objets présentent une décote par rapport aux objets neufs, qui sont privilégiés par les grandes caisses de pension et les assurances.
Nous ciblons aussi des objets qui présentent une décote en raison, par exemple, du besoin d’investissements dans la transition énergétique. Avec notre taille et notre expertise, nous pouvons acheter ces objets et y créer de la valeur en couplant une rénovation énergétique à une densification.
Vu la taille de nos fonds, nous visons plutôt des objets entre 30 et 40 millions, mais nous plaçons néanmoins la limite des achats à 10 millions de francs au minimum pour un objet. En effet, certains privés vendent des immeubles entre 7 et 15 millions, ce qui peut nous intéresser en fonction de la décote et de l’état de l’immeuble.
Pouvez-vous préciser?
L’an dernier, pour un autre de nos fonds (Solvalor 61), nous avons acheté un objet à 140 millions à une caisse de pension qui l’estimait trop compliqué à gérer. Nous savons gérer les questions de transition énergétique et les oppositions. Les investissements dans la transition sont parfois trop élevés pour des particuliers ayant des objets d’environ 10 millions et cela nécessite une réelle expertise. Nous observons que certains particuliers sont obligés de vendre une partie de leur parc immobilier pour en financer la rénovation, ce qui est plus compliqué s’ils n’ont qu’un immeuble.
Il faut savoir qu’une rénovation simple exerce un effet négatif sur un parc immobilier parce que, pour des raisons légales, une partie de l’investissement ne peut pas être répercutée sur le loyer. Le défi consiste à planifier les travaux de rénovation de façon rigoureuse en les couplant à une densification pour compenser cet effet dilutif. Surtout qu’un permis de rénovation porte sur un an alors qu’un permis de surévaluation nécessite davantage de temps. Et c’est là qu’intervient notre expertise.
Quel est le rendement des objets neufs?
Le rendement brut des objets neufs atteint déjà 3,5% à Lausanne. Il est plus difficile d’acheter à ce prix-là.
Est-ce que les taux négatifs s’inscrivent dans votre scénario de base?
Notre scénario de base comprend des projections avec un taux de 1,50% pour 2025 puis 1,25% pour les années suivantes. En ce moment, le rendement des obligations de la Confédération remonte. Mais sur le marché, nous observons plutôt l’impact de la baisse précédente des taux que de la récente correction à la hausse. C’est d’ailleurs le scénario idéal pour le secteur immobilier.
Si l’on revenait aux taux négatifs, comme il y a quelques années, seules les caisses de pension et les assureurs pourraient acheter des immeubles parce qu’ils n’ont pas les mêmes exigences. Si l’on assistait au retour des taux négatifs, nous nous concentrerions sur la gestion et l’optimisation du parc. Et nous conserverions peut-être un intérêt pour le vétuste.
Donald Trump renonce à l’Accord de Paris. Qu’advient-il au marché immobilier si d’autres pays vont dans ce sens?
L’Accord de Paris est juridiquement contraignant. Pour l’instant, tous les Etats signataires mettent en place des mesures afin de le respecter, c’est-à-dire de limiter l'augmentation de la température à 1,5°C au-dessus des niveaux préindustriels en réduisant les émissions de gaz à effet de serre de 43% d'ici 2030. Si cet accord devait être remis en question, certains propriétaires immobiliers pourrait en tirer profit à court terme en retardant les investissements dans la transition énergétique. Mais pour cela, il faudrait d’abord que le Conseil fédéral sorte de l’Accord de Paris, ce qui ne se fera certainement pas du jour au lendemain. Et qu’adviendra-t-il dans quatre ans, lors de l’élection du prochain président américain?
Est-ce que le grand risque vient d’une réduction de l’immigration de main d’œuvre européenne notamment en lien avec l’accord avec l’UE?
Temporairement, ce serait un problème pour l’immobilier. Les trois quarts de l’immigration viennent de l’UE. Sans accord avec l’UE, il faudrait trouver la main d’œuvre ailleurs. Et la demande de logements diminuerait.
Quelles réglementations impactent le marché immobilier cette année?
Dans le canton de Vaud, un projet de loi nous obligerait à rénover notre parc plus rapidement que prévu. Notre branche s’y oppose d’ailleurs en raison des délais prévus dans ce projet de loi. L’obligation des rénovations des classes F et G serait réduite à 10-15 ans pour des immeubles qu’il n’était pas toujours prévu de rénover aussi rapidement. Et cela à un moment où les subventions ont tendance à diminuer.
A part une réduction du taux de vacance, comment allez-vous augmenter le résultat net?
Nous voulons également augmenter le bénéfice net à travers nos efforts de densification. Divers projets sont en cours, dont nous attendons parfois le permis, par exemple à Gland pour 78 logements, et le projet Sébeillon à Lausanne, pour potentiellement 50 logements. Ces investissements sont majeurs: 19 millions à Gland, quelque 10 millions à Lausanne. Les rendements dépassent 5% et permettent de générer de la valeur.
Comme évoqué, il y a aussi la conversion de 3'600 m2 de surface commerciale d’Octagon en résidence meublée, ce qui ajoute 900000 francs de revenus supplémentaires à l’année, donc l’équivalent de 5 centimes par part.
Le coût de la dette peut aussi contribuer à un accroissement du résultat net, à travers les effets de la baisse des taux. Nous prévoyons une réduction du coût financier de quelque 2 millions en 2026, donc 15 centimes par part.
Avec les trois mesures présentées, nous visons un résultat net d’exploitation de 3,25 francs pour l’exercice en cours (à fin mars), contre 3,0 francs en 2024, et d’atteindre 3,50 francs en 2026 (fin mars). L’objectif est fixé à 3,70 francs l’année suivante. Cela permettrait de verser le dividende de 3,70 francs sans avoir recours aux gains en capitaux et sans vente d’immeubles à cet effet.
Est-ce que vous prévoyez de lever des fonds?
Nous l’envisageons uniquement si nous trouvons des opportunités intéressantes.
Avec un objectif de 3% de rendement du dividende, où vous situez-vous par rapport à la concurrence?
Avec un rendement de 3%, le fonds Realstone RSF fait partie du premier quartile parmi les fonds mixtes, ce qui est déjà appréciable.. Mais lorsque le fonds aura atteint une part résidentielle de 70% et qu’il sera donc considéré comme un fonds résidentiel, il fera partie des meilleurs de sa catégorie avec un tel rendement.
«L’agio moyen des fonds cotés atteint 36,4% (17% à la fin 2023) et se rapproche du sommet de 45%».
Quels sont les principaux acheteurs de votre fonds?
Depuis deux mois, le fonds Realstone RSF figure souvent parmi les plus fortes transactions de la semaine, si bien que l’agio remonte. Fruit du travail déjà accompli depuis trois ans, des gérants d’actifs surpondèrent maintenant ce fonds.
Est-ce que l’agio des fonds immobiliers peut encore augmenter?
L’agio moyen des fonds cotés atteint 36,4% (17% à la fin 2023) et se rapproche du sommet de 45%. Il faudrait sans doute revenir aux taux négatifs pour atteindre ce niveau. Ce n’est pas notre scénario-type.
Nous assistons à une augmentation des émissions de parts chez les fondations immobilières, donc de produits non cotés, devenus relativement intéressants parce qu’achetés à la valeur intrinsèque. En revanche, la liquidité de ces derniers est inférieure. C’est l’une des raisons pour lesquelles les caisses de pension préfèrent des fonds résidentiels cotés.
Qu’en est-il de la concurrence des sociétés immobilières?
Ces sociétés sont davantage présentes dans l’immobilier commercial, ce qui réduit leur attrait. Elles ont aussi pâti de la récente hausse des taux à long terme.
Est-ce que l’année 2025 est celle de la normalisation après un excellent cru 2024?
C’est le scénario le plus probable. Il n’est pas possible de dépasser les 10% de performance chaque année.