Les marchés émergents séduisent en raison de leur potentiel de croissance élevé mais ils font aussi peur à certains investisseurs à cause des risques plus élevés qu’ils comportent. Comment investir au mieux dans les emprunts souverains et les obligations d’entreprise issues des pays émergents ? Tour d’horizon avec Aaron Grehan, gestionnaire de fonds spécialisé dans les marchés émergents chez Aviva Investors.
Comment définissez-vous l’univers dans lequel vous investissez?
Nous investissons à travers l’ensemble du marché des obligations de pays émergents, à la fois dans des titres de dette souveraine et dans des obligations d’entreprises libellés aussi bien dans des devises dures qu’en monnaies locales.
Sur des actifs de plus de 10 milliards de dollars, un peu plus de 8 milliards de dollars sont alloués à des obligations libellées en devises dures. Une des particularités de l’univers dans lequel nous investissons est qu’il est constitué aussi bien d’emprunts de haute qualité, à l’exemple d’obligations émises par des pays tels que les Emirats Arabes Unis (EAU), que de titres de dette de faible qualité comme ceux de l’Argentine.
Cela ne pose-t-il pas des problèmes à certains investisseurs, institutionnels notamment?
Si vous investissez dans les pays émergents, vous devez de toute façon tenir compte de la très grande diversité des situations, aussi bien en termes de degré de développement que de leurs spécificités sur le plan politique et géopolitique, des pays dans lesquels vous placez de l’argent. Les marchés émergents sont un univers très mélangé qui comprend à la fois des emprunts de catégorie investissement (IG) et à haut rendement (HY). Maintenant, avec certains clients institutionnels, nous avons aussi la possibilité de mettre à leur disposition des solutions sur mesure qui tiennent compte de leurs exigences spécifiques en termes de risque ou parfois aussi de régions. Il est possible de proposer des solutions sur mesure dans le cadre de fonds à compartiments séparés.
«Nous nous basons avant tout sur notre propre analyse. Les agences de notation tendent en effet à attendre une confirmation pour prendre leurs décisions.»
Au début de la dernière décennie, le concept de «marchés frontières», par contraste avec les grands pays émergents regroupés dans les Brics, était très en vogue. Intégrez-vous aussi ces marchés plus risqués dans votre allocation d’actifs?
Il n’est pas chaque fois si simple d’attribuer chaque pays dans une catégorie donnée pour toujours. L’univers des marchés émergents a même justement connu une forte croissance ces dernières années grâce à l’intégration de pays qui étaient, précédemment, considérés comme des marchés frontières. L’univers d’investissement des titres de dette souveraine est passé de 35 pays à plus de 70 pays. Cette croissance a été largement soutenue par l’intégration de marchés frontières.
Quelle est l’influence de la baisse attendue des taux d’intérêt des banques centrales sur votre domaine d’investissement? Une diminution des taux d’intérêt réduit les coûts de l’emprunt mais les risques de récession augmentent aussi.
La particularité de la baisse des taux d’intérêt qui est attendue en cours d’année est qu’elle intervient dans le contexte d’une croissance qui demeure relativement résiliente. La baisse sera rendue possible par la diminution graduelle de l’inflation dans le contexte d’une croissance un peu plus faible – mais sans récession, du moins pas pour l’instant. C’est pourquoi, je pense que cet environnement est plutôt propice pour les investissements effectués sur les marchés émergents car ces derniers profitent d’une réduction de leurs coûts de l’emprunt mais avec peu de risque d’un ralentissement sévère de la croissance.
En cas de ralentissement de la croissance, cela induirait tout de même aussi un risque accru de défaut de certains emprunteurs?
Dans l’univers des marchés émergents, nous sommes de manière générale plus inquiets de la hausse des coûts de l’emprunt que des variations de la conjoncture. Dès lors, si les taux d’intérêts baissent, c’est plutôt favorable pour les marchés émergents.
La faible reprise de l’économie chinoise est-elle un risque pour les autres marchés émergents?
La Chine est à un stade de reprise différent des autres marchés. Cela s’explique par le fait que le pays avait maintenu les restrictions liées au Covid beaucoup plus longtemps qu’ailleurs et en raison des difficultés en rapport avec l’immobilier. Cela dit, l’économie chinoise est sur la voie de la reprise et cela peut s’avérer bénéfique à d’autres pays et entreprises des marchés émergents, en particulier ceux qui lui fournissent des matières premières, qu’il s’agisse de pétrole, de gaz ou de minerais comme le cuivre par exemple.
«Quel que soit le nouveau président élu aux Etats-Unis, il y a peu de chances que les entreprises américaines cessent d’investir ou d’acheter des produits au Mexique.»
Pendant longtemps, les grandes institutions comme le FMI ou la Banque mondiale avaient une grande influence sur la stabilité des pays émergents. Est-ce toujours un facteur que vous prenez en compte dans votre analyse?
Oui, dans certains cas et dans un nombre croissant de pays au cours des dernières années. Par exemple, l’Egypte a d'abord été aidée par l'annonce d'investissements en provenance des Emirats Arabes Unis. Nous nous attendons maintenant à ce qu'un paquet de financement soit annoncé par le FMI, ce qui devrait permettre à l'Egypte de réduire ses coûts d'emprunt. Cela créée un sentiment plus positif chez les prêteurs, ce qui ensuite diminue les coûts de la dette lorsque celle-ci doit être renouvelée. De cette façon, l’intervention d’organisations comme le FMI peut donc, avec d’autres mesures qu’elles peuvent soutenir, contribuer à l’instauration d’une spirale positive.
Quelle est l’influence des agences de notation sur votre travail: intégrez-vous leurs recommandations dans vos décisions d’investissement ou préférez-vous vous fier à vos propres analyses?
Nous nous basons avant tout sur notre propre analyse. Les agences de notation tendent en effet à attendre une confirmation avant de prendre leurs décisions. Même lorsque les choses vont déjà clairement dans une certaine direction, les agences de notation vont plutôt attendre que des données ou statistiques supplémentaires confirment leur décision. Cela créée un décalage. Parfois, au moment où les agences abaissent une note sur un pays donné, nous considérons cela comme une opportunité d’achat. En effet, la baisse d’une notation est déjà souvent entièrement intégrée dans les cours.
Y a-t-il des pays ou des régions pour lesquels la perception du marché est exagérément négative et comment réagissez-vous dans ce cas?
Cela arrive à intervalles réguliers et cela créée parfois aussi pour nous des opportunités pour accroître nos positions dans certaines catégories d’emprunts. S’agissant du Moyen-Orient, par exemple, certains investisseurs ont des inquiétudes à propos des risques géopolitiques présents dans cette région. Bien sûr, il s’agit d’une région ou les risques géopolitiques peuvent s’accentuer ou diminuer dans des intervalles assez courts à la suite de certains événements. Pour nous, en tant qu’investisseur spécialisé dans les marchés émergents, cela nous permet d’avoir accès à des titres de haute qualité à des prix nettement plus avantageux quand les fondamentaux sont mal appréciés par les marchés.
Avez-vous d’autres exemples de telles situations?
Le Mexique est un pays intéressant à suivre actuellement. L’issue incertaine des élections aux Etats-Unis créée un contexte d’incertitude qui peut aussi créer des opportunités. Quel que soit le nouveau président élu aux Etats-Unis, il y a peu de chances que les entreprises américaines cessent d’investir ou d’acheter des produits au Mexique. Il faut donc être conscient des risques mais sans vouloir pour autant tout faire pour les éviter. Si vous restez constamment à l’écart des risques, vous allez probablement réduire ou supprimer l’attractivité des rendements obtenus. Dans ce cas, il vaudrait mieux ne pas investir du tout dans les marchés émergents!