«L’idée est de rester investi…un peu partout»

Salima Barragan

3 minutes de lecture

Le portefeuille balancé sera l’assurance de réaliser des gains tout en minimisant les erreurs, estime Fabrizio Quirighetti, CIO de DECALIA.

Covid en 2020, invasion de l’Ukraine en 2022, guerre au Moyen-Orient en 2023, que nous réservera cette nouvelle année? À l’heure des prévisions macroéconomiques, une pléthore de préoccupations géopolitiques persiste. Se pose aussi la question de savoir si certaines régions tomberont en récession. Durant cette semaine, 5 experts chevronnés partageront leur stratégie d’investissement pour 2024. L’équipe d’Allnews vous adresse ses meilleurs vœux autour de 5 points clés.

Nous donnons la parole à Fabrizio Quirighetti pour le premier volet de cette série. À l’aube d’une année rythmée par des élections présidentielles de plusieurs pays représentant ensemble la moitié du PIB mondial, dont la Russie en mars et les États-Unis en novembre, le CIO de DECALIA anticipe une volatilité accrue sur les marchés financiers. Dans ce contexte, le portefeuille balancé sera l’assurance de réduire les erreurs.

Quelles sont vos principales préoccupations pour cette nouvelle année?

Je suis attentif à une série de risques, dont l'importance relative évoluera au fil des mois.

En premier lieu, verra-t-on une récession? Bien que nous ne soyons pas enclins à cette hypothèse, nous ne pouvons écarter la possibilité d’un atterrissage brutal.

La résurgence de l’inflation constitue une seconde préoccupation. Nous anticipons pour l’instant un renchérissement sous contrôle vers les 2%, couplé à une croissance positive ; c’est-à-dire un environnement «Goldilocks», ni trop chaud, ni trop froid, favorable aux marchés.

La concentration du poids des 7 géants technologiques américains – les 7 magnifiques -, qui représentent presque 30% de l’indice américain, soit environ 15% d’un indice mondial, peut constituer une source de fragilité, voire conduire à des situations inattendues comme l’année passée avec des performances à 2 vitesses.

«Je m’attends à une année haussière pour les actions. Les performances atteindront entre 5 à 10%, portées essentiellement par des marges stables et une croissance des bénéfices.»

L’immobilier commercial, ainsi que plus généralement toutes les sociétés qui se sont surendettées lorsque les taux d’intérêt étaient à zéro, vont avoir de plus en plus de difficultés à se refinancer: nous ne sommes pas à l’abri d’un accident de crédit.

Enfin, nous devrons composer avec les élections présidentielles américaines qui amèneront de la volatilité dès la fin de l’été. Quelle que soit l’issue du scrutin, la réaction des marchés reste imprévisible, d’où la difficulté de se positionner. De nombreux pays représentant au total la moitié du PIB mondial, dont les États-Unis, le Mexique, l’Indonésie et la Russie, se retrouvent aux urnes cette année. Ces événements politiques ont tendance à augmenter la volatilité à court terme et pourraient avoir des conséquences géopolitiques significatives à plus long terme. Dans le pire des cas, une flambée du prix du pétrole raviverait les attentes d’inflation tout en pesant sur la croissance.

L’intérêt retrouvé pour les obligations pénalisera les actions?

Non, dans la mesure où cela impliquerait un scénario de récessions avec une inflation en dessous de 2%, forçant les banques centrales à baisser rapidement et fortement les taux. Dans de telles conditions, les obligations, notamment souveraines, présenteraient en effet plus d’attrait au détriment des actions. Cependant, les prévisions de 4 ou 5 baisses de taux d’intérêt sur l’année aux États-Unis nous semblent exagérées, car la Fed n’agira pas de la sorte tant qu’elle estimera qu’il existe encore un risque de tensions sur les prix au moins aussi important que celui d’un ralentissement plus marqué: elle perdrait sa crédibilité.

Lors des années 90, les taux élevés n’avaient pas empêché les actions de surperformer. Par ailleurs, la volatilité sur les taux va certainement se tasser après 3-4 années complètement folles sur le marché obligataire. Les taux à dix ans oscilleront ainsi dans une bande de fluctuation comprise entre 4 et 5%. Les deux actifs ont ainsi leur place dans les portefeuilles.

Je m’attends à une année haussière pour les actions. Les performances atteindront entre 5 à 10%, portées essentiellement par des marges stables et une croissance des bénéfices. Cette dernière est estimée à 10%, en ligne avec les derniers consensus. Les valorisations des P/E prospectifs, en excluant les 7 magnifiques, sont tout à fait correctes et conformes aux niveaux actuels des taux à dix ans.

Les actions européennes feront-elles mieux que les américaines?

C’est possible, cependant notre allocation ne prend pour l’instant pas de grands paris régionaux. Nous restons toutefois prudents en Chine et au Royaume-Uni. Une correction des 7 magnifiques pourrait potentiellement favoriser les actions européennes, si l'enthousiasme autour de l'IA venait à se dissiper ou être éclipsé par une autre thématique. Notons qu’en Europe, le même phénomène existe: les valeurs du luxe et Novo-Nordisk ont aussi atteint des fortes valorisations liées à la forte croissance attendue de leurs bénéfices.

Un assouplissement plus rapide de la politique monétaire de la BCE par rapport à la Fed insufflerait aussi de l’oxygène dans les marchés actions européens en raison de taux plus bas, de meilleures perspectives de croissance et de la faiblesse de l’euro.

N’oublions pas que depuis la pandémie, le consommateur européen a été plus frugal que son pendant nord-américain. Son taux d’épargne reste élevé, car il n’a pas vidé son bas de laine et il a renégocié les salaires tandis que l’inflation en Europe redescend rapidement. Il se trouve ainsi dans une situation préférable que son homologue américain, offrant peut-être un terrain plus propice à des surprises positives sur le front économique.

Vous attendez-vous à une récession dans une des régions du monde?

La Chine est empêtrée dans une crise qui ressemble de plus en plus à celle qu’a traversée le Japon depuis la fin des années 1980: un éclatement de la bulle immobilière qui se traduit par des courants déflationnistes et le moral en berne des agents économiques. Le chômage des jeunes a dépassé allègrement la barre des 20% cet été… conduisant le gouvernement à ne plus publier ce chiffre. En l’absence de confiance dans un avenir meilleur, il sera difficile de faire redémarrer l’économie. Le pays se trouve ainsi dans une spirale négative, illustrée par la faiblesse de l’inflation. Fort heureusement, les autorités chinoises ne sont pas dupes et ont bien compris les risques puisqu’elles continuent d’assurer un minimum de support afin de contenir ces vents déflationnistes.

Quelle est votre stratégie d’investissement pour 2024?

Notre exposition sur les actions, dont la part est actuellement de 45%, est globalement neutre, mais très diversifiée sur l’ensemble des secteurs, des régions, des styles et des tailles de sociétés. Nous adapterons évidemment notre positionnement durant l’année selon les événements et l’ajustement subséquent de notre scénario.

Nous sommes investis avec 35% d’obligations, notamment de la dette souveraine et du crédit de bonne qualité (Investment Grade) avec une duration moyenne autour de 4,5. Cette exposition nous semble adaptée à notre scénario macro d’un atterrissage en douceur avec l’inflation restant à 2-2,5% et à la courbe des taux inversée, où les taux courts sont plus élevés que les taux longs. Nous avons aussi de petites poches de dettes subordonnées, de high yield et de dette émergente gérées de façon active, car les taux de défaut de ces segments vont augmenter.

Nous maintenons également des investissements panachés au sein des matières premières avec 3-4% d’or et le même poids dans un panier diversifié en tant que protection contre les tensions géopolitiques et les problématiques structurelles, telles que la transition énergétique, les risques climatiques et le poids de la dette. Une dernière couche de diversification consiste en 10% de placements alternatifs, notamment des hedge funds décorrélés des marchés tels que CTA et stratégie d’arbitrage, ainsi qu’une exposition diversifiée à la dette privée à travers des fonds gérés activement par nos soins.

A lire aussi...