L’humeur est au risk-off

Nicolette de Joncaire

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«Pas de rotation vers les titres value dans un contexte aussi chahuté» estime Vincent Manuel d’Indosuez Wealth Management.

Economistes et investisseurs s’essaient à évaluer l'impact macro-économique du coronavirus. Un exercice périlleux dans la mesure où les antécédents historiques font défaut. «A l’époque de l’épidémie de SRAS en 2003, le PIB chinois était le neuvième de ce qu’il est aujourd’hui» explique Vincent Manuel, Chief Investment Officer chez Indosuez Wealth Management. Alors entre anxiété et ignorance, impossible encore de dégager de vraies conclusions. Une certitude toutefois: la grande rotation vers les titres value n’est pas pour tout de suite. Dans un contexte chahuté, l’humeur est plutôt au risk-off. Bref tour d ’horizon. 

Quels sont les points qui vous frappent le plus dans la conjoncture actuelle?

C’est au dollar que profite l’écartement des surprises économiques entre les Etats-Unis et le reste du monde (et plus particulièrement l’Europe). La corrélation est historiquement forte entre hausse du dollar et décélération de la croissance mondiale et cet état de fait se vérifie encore une fois aujourd’hui alors que la devise US bénéficie simultanément du momentum macro et du carry, grâce au différentiel de taux avec les autres devises. 

«La baisse du PMI des services
en février aux Etats-Unis est surprenante.»
Les PMI ne paraissent-ils par s’améliorer globalement?

C’est effectivement le cas, en-dehors de l’Europe. Malgré des créations d’emploi en hausse, la croissance française a calé au quatrième trimestre, mais en grande partie à cause des grèves et de la mobilisation contre la réforme des retraites. La bonne nouvelle est que la croissance française est plus riche en emplois. Nous nous attendions à une baisse des PMI manufacturiers en Europe en février en raison du coronavirus mais ce n’est pas le cas pour le moment; en revanche la baisse du PMI des services en février aux Etats-Unis est surprenante.

Vous dites avoir observé une très forte augmentation de la dette corporate aux Etats-Unis. Inquiétante?

La faiblesse des taux incite à l’endettement mais, sans aucun doute, le rapport dette corporate / PIB que nous observons est un indicateur de fin de cycle avec une détérioration des ratios de levier des entreprises: l’abaissement de la note de la dette de Kraft Heinz il y a quelques jours est assez symptomatique. En outre, et en raison de la réglementation, la liquidité des marchés obligataires s’est fortement dégradée. Il y a trois ans le rapport entre volatilité et liquidité était la moitié de ce qu’il est aujourd’hui. On observe aussi aujourd’hui un lien croissant entre volatilité et moindre liquidité, y compris sur les marchés actions, pour lesquels cette corrélation est deux fois plus forte qu’il y a trois ans.

Vous attendez-vous à une dégradation sensible de l’économie globale dans le sillage de l’épidémie de coronavirus?

Difficile encore de tirer des conclusions alors que nous n’avons aucune visibilité sur l’évolution de l’épidémie. Mais les opinions des économistes commencent à converger: de plus de 6%, la croissance de l’économie chinoise pourrait passer au-dessous de 5%, voire autour de 4%. N’oubliez pas que la province de Hubei, épicentre de l’épidémie, représente environ 4% de l’économie du pays. On observe par ailleurs une baisse de plus de 50% du trafic aérien des voyageurs chinois avec un impact significatif sur le tourisme au Japon et en Thaïlande. On envisage également un effet négatif sur le commerce mondial et la sphère manufacturière et, plus largement, sur les chaines d’approvisionnement touchant les secteurs technologiques et industriels. De l’avertissement d’Apple, la semaine dernière, beaucoup n’ont retenu que la baisse des ventes mais ce n’est pas la seule leçon à en tirer : le tiers des 900 fournisseurs du géant américain sont en Chine. Une menace qui pourrait aussi affecter aussi des entreprises pharmaceutiques pas si défensives qu’il y parait en raison de la concentration de la production de certains composants en Asie et des pénuries qui découlent des ruptures d’approvisionnement. 

«Le Japon est en difficulté et le coronavirus risque de gravement
péjorer la situation sur la première partie de l’année.»
Vous évoquiez le Japon. Il semble être en grande difficulté.

L’économie japonaise a reculé de 1,6% au quatrième trimestre 2019, selon une estimation du gouvernement publiée la semaine dernière. Annualisée, la chute (largement imputable à la hausse de la TVA) est de 6,3%, la plus forte contraction depuis 2014. Oui, le Japon est en difficulté et le coronavirus risque de gravement péjorer la situation sur la première partie de l’année. Le Japon accueille environ 10% des 170 millions de touristes qui sont sortis de Chine l’an dernier. La restriction des voyages à l’étranger va atteindre durement un secteur touristique en pleine expansion. Je vois l’évolution de l’économie japonaise en 2020 en deux parties distinctes: un premier semestre affaibli tant sur le plan des exportations que du tourisme; puis un second semestre beaucoup plus dynamique grâce à des effets de report et potentiellement aux Jeux Olympiques. 

Quel est votre sentiment sur les marchés?

Il a beaucoup été question d’une grande rotation vers les titres «value» mais le moment ne s’y prête guère. Le marché est polarisé entre des actifs chers que tout le monde s’arrache (Treasuries US pour les obligations, consommation discrétionnaire et technologie pour les actions) et des actifs dont personne ne veut entendre parler malgré leur attractivité en termes de valorisation (essentiellement des cycliques comme l’énergie ou l’automobile). L’humeur est au risk-off. A mon sens, à ce stade, la bonne allocation se compose d’actions de qualité couvertes par de l’or, des Treasuries, du dollar et du franc suisse. Mais, malgré le coronavirus, nous restons positifs sur les valeurs émergentes.

Où attendre une croissance des marchés financiers?

Il y a peu d’espoir de les voir tirés pas les multiples de valorisation. Ils seront plus vraisemblablement portés par une croissance des bénéfices par action de l’ordre de 3 à 5% en Europe, de 5% à 7% aux Etats-Unis et de 8 à 10% dans les marchés émergents.