L’Europe doit se réveiller

Anna Aznaour

2 minutes de lecture

«Pour ne pas être engloutie par les ambitions américaines et chinoises, l’Europe doit réagir. Et vite!», affirme Dominique de Villepin.

«Quand la Chine s’éveillera, le monde tremblera…», avait prophétisé Napoléon en 1816. Il y a 40 ans, elle s’est réveillée. Depuis, la géante a sorti 800 millions de ses habitants de la pauvreté et son actuel président Xi Jinping a lancé, en 2013, le projet Nouvelle Route de la Soie (OBOR*), liaisons maritimes et ferroviaire pour relier plus de 60 pays du continent eurasien. Une stratégie d’expansion aussi bien économique que diplomatique discutée au Forum international de Huangpu** où Dominique de Villepin, son invité d’honneur, nous a éclairés sur le dessous des cartes géopolitiques.

Quels sont les vrais enjeux de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine?

Les États-Unis souhaitent aujourd’hui se servir du commerce international comme moyen pour peser dans l’organisation du système en privilégiant les accords bilatéraux et non pas les accords multilatéraux. Une stratégie commencée avec la Corée du Sud. Tandis que la stratégie de la Chine était, jusqu’ici, celle d’un pays développé qui s’appuyait sur sa position pour tirer avantage de l’ouverture des marchés sans pour autant offrir nécessairement la réciprocité. Aujourd’hui, elle se rend compte que, pour aller plus loin, il faut sans doute repenser cette approche et ce modèle. Le président Xi Jinping a encore dernièrement réaffirmé sa volonté de poursuivre l’ouverture. Ce qu’il faut, c’est bien évidemment que ses intentions se traduisent en actes.

La vraie question est: Comment peut-on arriver
à une mondialisation organisée, structurée, maîtrisée?
Dans cette configuration d’ouverture, comment interpréter alors les élans protectionnistes aussi bien aux États-Unis qu’en Europe?

Le développement des échanges et la mondialisation ont abouti à l’imbrication des systèmes économiques. L’affaire ZTE aux États-Unis l’illustre bien. Donald Trump a voulu interdire l’accès au marché américain à cette grande société de téléphonie chinoise, mais compte tenu de ses liens avec les sociétés américaines, cela équivalait à se tirer une balle dans le pied. La vraie question est: Comment peut-on arriver à une mondialisation organisée, structurée, maîtrisée? Ce qui n’a pas été le cas jusqu’ici. D’où les inquiétudes des États et leur propension à vouloir reprendre le contrôle à travers leurs propres économies. Une stratégie à la viabilité – donc durée – limitée. Sauf pour les États-Unis qui bénéficient de très importants marchés intérieurs qui, à eux seuls, peuvent constituer un élément de développement. Il n’en reste pas moins qu’actuellement c’est la politique et non l’économie qui domine tout.

Pendant que la Chine et les États-Unis redessinent leur politique, l’UE semble se disloquer. Croyez-vous encore en son avenir?

Oui, plus que jamais! Et malgré ses difficultés à trouver sa propre vision et à s’adapter au monde qui change à grande vitesse. L’Europe est un continent trait d’union, celui de l’équilibre entre une Chine qui ne cesse de progresser en matière économique tout en s’affirmant sur la scène mondiale, et les États-Unis qui hésitent entre le repli et l’interventionnisme. C’est donc à l’Europe d’apporter du pragmatisme et en même temps de la vision à la société internationale. Si le monde d’aujourd’hui veut aller mieux, il doit se doter d’une meilleure gouvernance et d’une capacité à organiser un dialogue international plus efficace. Et, de ce point de vue, l’Europe est irremplaçable. Le fait qu’elle se soit engagée avec la RGPD dans un travail de contrôle et de régulation est déjà un pas stratégique très important de positionnement.

Pourquoi ne pas essayer de créer une vraie coopération entre la FED,
la Banque centrale européenne et la Banque centrale chinoise?
Divisée et en pleine crise économique, quelles actions concrètes l’UE devrait-elle engager pour se repositionner plus avantageusement sur la scène politique?

Pour commencer, mieux structurer sa coopération avec la Chine autour du dossier de la Nouvelle Route de la Soie. Ce que je propose, c’est qu’un bureau soit ouvert à Bruxelles par les Chinois et un autre à Pékin par les Européens, de façon à pouvoir organiser un dialogue sur les progrès. Par ailleurs, pourquoi ne pas essayer de créer une vraie coopération entre la FED, la Banque centrale européenne et la Banque centrale chinoise pour défendre les intérêts des uns et des autres. Par exemple, quand la FED augmente ses taux, on voit les ravages que cela occasionne dans certains pays émergents comme l’Argentine et la Turquie avec 40% de baisse de leur monnaie. Aujourd’hui, ni le G20 ni le G7 ou le G8 n’ont le levier pour faire ce travail. Il faut donc se doter des institutions, des moyens de coordination pour avoir une prise sur ces réalités.

Que risque l’Europe en cas d’échec?

L’Europe, dans le fond, est prise en porte-à-faux entre les États-Unis et la Chine, et pourrait devenir la variable d’ajustement entre ces deux pays. À terme, on voit comment un accord serait possible entre ces deux puissances, et dont l’Europe ferait les frais. Et si nous, Européens, nous voulons nous affirmer dans le monde de demain, nous devons défendre une stratégie ambitieuse vis-à-vis de la Chine!

* OBOR – One Belt, One Road
** Huangpu International Business Media & Think Tank Forum