L’antichambre de la COP 28

Nicolette de Joncaire

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«Soyons ambitieux mais réalistes, les discussions de Building Bridges seront je l’espère utiles pour préparer les débats de la COP 28». Entretien avec Patrick Odier.

Chaque année, Building Bridges fédère les acteurs de l’industrie financière, les Nations-Unies, les ONG, le monde académique et les gouvernements dans le but d’accélérer la transition de la place financière vers la durabilité, autour des Objectifs de développement durable de l’ONU. L’arrivée, la semaine prochaine, d’orateurs et de délégués en provenance du monde entier confirme l’internationalisation de la portée du sommet. Quel en sera le cap cette année? Entretien avec Patrick Odier, président de Building Bridges.

Après plusieurs années de focalisation sur le réchauffement climatique et la transition énergétique, il semblerait que les objectifs de la finance durable se diversifient. ESG ne se résume plus à E. Pouvez-vous résumer l’élargissement de vues que Building Bridges veut apporter aujourd’hui?

La vocation de Building Bridges est double. Mettre l’accent sur les sujets les plus propres à être implémentés, d’une part. Identifier et débattre de sujets devenus critiques, d’autre part. Cette année, nous ferons les deux. L’édition 2023 abordera la transition énergétique et les solutions basées sur la nature mais traitera aussi de l’importance du facteur social, avec une vision humaniste ou sociétale plutôt que politique. Notre objectif est de contribuer à l’accélération de la transition durable tout en veillant à ce qu’elle ne laisse pas de gens sur le bord de la route, tant dans les économies développées que dans les pays émergents, et de diriger les flux de capitaux vers les régions les plus vulnérables et les pays les plus impactés par le changement climatique. Building Bridges sera également le terrain des dialogues menés par UNFCCC et issus de la conférence de Charm-el-Cheikh, pour préparer l’agenda finance de la COP 28 qui se tiendra fin novembre aux Emirats Arabes Unis.

La protection de la nature et de la biodiversité est devenue l’un des chevaux de bataille de la finance durable. Avec la présence de la co-présidente de la TNFD (Taskforce on Nature-related Financial Disclosures) à Building Bridges, quel message entendez-vous faire passer à l’assistance?

Nous voulons rappeler l’accord dit «30x30» signé à Montréal en 2022 qui vise à protéger 30% de la planète d’ici à 2030 et mettre en valeur le cadre de travail établi par la TNFD en vue d’améliorer la transparence financières des entreprises en matière de protection de la nature et de la biodiversité. Les acteurs financiers ont bien compris la démarche de Mark Carney, envoyé spécial des Nations Unies pour le financement de l’action climatique, et l’idée de réutiliser dans le contexte de la protection de la nature les outils mis en place pour la transition énergétique, ce qui devrait accélérer l’implémentation de solutions efficaces.

«Les standards de l’International Sustainability Standards Board vont éviter l’actuelle multiplication des obligations de reporting.»
Les standards en matière de comptabilité durable sont-ils suffisants? Qu’apporte l’International Sustainability Standards Board créé il y a 2 ans?

Ces recommandations, publiées en juin, permettent de résoudre une question très importante: dissiper la confusion qui entoure encore le type d’information à publier sur la durabilité et éviter l’actuelle multiplication des obligations de reporting, lourde à porter pour les entreprises les plus petites en particulier. C’est une étape essentielle. De plus, les standards permettant d’évaluer l’impact du climat sur les états financiers d’une entreprise permettront au secteur financier d’allouer de manière plus rigoureuse le capital d’investissement ou de crédit.

Prioriser la stabilité de nos sociétés n’est-il pas une gageure en ces temps de hausse des prix effrénée et de paupérisation? Comment pensez-vous aborder la question?

Il va falloir nous montrer réalistes sur les moyens à mettre en œuvre compte tenu des circonstances. L’approche serait de ne pas imposer de contraintes absolues mais de progresser sur le chemin de la transition énergétique sans empirer les conditions sociales, de trouver un équilibre entre actions publiques et privées en encourageant, par exemple, l’autoréglementation de certains des acteurs concernés. De s’assurer aussi que les contraintes édictées (en matière de chauffage ou d’isolation) soient accompagnées d’incitations fiscales qui permettent d’atténuer le coût des prescriptions sur les citoyens sans compromettre le but final. L’essence gratuite pour calmer la colère populaire - ne me parait pas une solution alors que l’on cherche à en réduire l’usage. Nous devons plutôt réfléchir à comment mettre un prix plus réaliste sur le carbone en particulier.

La présence d’orateurs et de délégués en provenance du monde entier confirme l’internationalisation de la portée de Building Bridges. Comment comptez-vous étendre encore son influence à l’avenir?

Building Bridges s’est effectivement largement internationalisé, sans être ni un G7, ni une COP. La plateforme souhaite jouer le rôle d’outil diplomatique pour la Suisse afin de faire avancer la finance durable au niveau global. Le Président de la Confédération, Alain Berset ouvrira d’ailleurs les discussions, et la secrétaire d’Etat des finances Daniela Stoffel viendra clore la semaine à mes côtés. Cette édition se veut également plus interactive en termes de format pour encourager l’échange et le partage entre les participants. Nous y parlerons notamment de déploiement de capitaux par de grandes organisations telles que Gavi avec le président de leur conseil d’administration, José Manuel Barroso. Nous aborderons aussi le rôle de l’art pour faire avancer la prise de conscience sur les défis planétaires avec la vision engagée du photographe Sebastião Salgado.

«Ne devrait-on pas mieux valoriser le capital naturel et établir la notion de ‘services rendus’ pour ceux qui protègent leur nature?»
Pandémie, guerre d’Ukraine, tensions entre les blocs, la fragmentation politique et économique du monde telle que nous la constatons va-t-elle être un frein à l’essor de la finance durable?

Ce sera certes un handicap temporaire mais peut être aussi un accélérateur de la transformation avec la recherche de nouvelles sources d’approvisionnement de certains matériaux ou d’énergies. Il faut garder une vision et donc le cap sur le développement des objectifs aux échéances 2030 et 2050 et jouer un rôle actif dans la transition. A l’horizon que nous nous sommes fixés, les turbulences actuelles ne sont peut-être pas si problématiques qu’il y parait aujourd’hui. Ce qui importe le plus est de redonner une juste valeur à certains actifs et à la contribution de certaines régions du monde. Ne devrait-on pas mieux valoriser le capital naturel et établir la notion de «services rendus» pour ceux qui protègent leur nature au bénéfice de tous comme pourraient le faire beaucoup plus systématiquement les pays émergents.

Building Bridges est-il l’antichambre de la COP 28 qui se déroulera à Dubaï fin novembre?

Soyons ambitieux mais réalistes, les discussions de Building Bridges seront je l’espère utiles pour préparer les débats de la COP 28.

Vous rendrez-vous à cette COP 28?

Building Bridges a été invité à constituer une délégation sous l’égide du Secrétariat d’Etat aux questions financières internationales (SIF) à la COP. J’en ferai partie.

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