L’âge d’or de la connectivité

Yves Hulmann

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Pour Sumant Wahi, gérant chez Fidelity, les changements technologiques en cours transformeront plusieurs secteurs, au-delà des seules télécommunications.

Les valeurs technologiques ont subi un brusque passage à vide début septembre. Pour autant, il ne faut pas perdre de vue les développements à long terme dans la tech, en particulier ceux en lien avec le domaine de la connectivité, souligne Sumant Wahi, gérant de portefeuille d’un fonds global dédié à la communication chez Fidelity International. Avant de rejoindre le gérant de fonds en tant qu’analyste technologique, Sumant Wahi a été co-fondateur d’une start-up dans le secteur des technologies. Il explique pourquoi le «mégatrend» actuel de la connectivité va modifier en profondeur la situation dans de nombreux secteurs, au-delà de la seule branche des télécommunications.

Vous insistez sur l’importance des développements en lien avec le «megatrend» de la connectivité. Pourquoi cette tendance est-elle si importante actuellement?

Il faut d’abord revenir quelques pas en arrière pour mieux situer le thème actuel de la connectivité en comparaison d’autres évolutions précédentes. Il y a eu tour à tour la télévision, l’arrivée de la téléphonie mobile, puis celle d’Internet. Maintenant, je pense qu’on se trouve dans l’âge d’or de la connectivité. A titre d’exemple, quand vous participez à une vidéo-conférence, vous pouvez désormais échanger toutes sortes de documents simultanément – vous avez à la fois le son et l’image de vos interlocuteurs et vous pouvez échanger des graphiques, des tableaux, etc. - lorsque vous communiquez avec quelqu’un. Il y a seulement dix ans, cela aurait été impossible.

«La 5G sera environ 20 fois plus rapide que la 4G, 20 fois meilleur marché
et aussi environ 100 fois plus efficiente sur le plan énergétique.»

En outre, en termes de rapidité de déploiement des offres de services, les nouveaux moyens de communication actuels permettent à certaines entreprises de développer leur modèle d’affaires à travers toute la planète en très peu de temps. Si vous prenez l’exemple de la plateforme Zoom, il n’aurait pas été possible il y a dix ans de passer de 10 millions à 100 millions d’utilisateurs en l’espace de quelques mois. Maintenant, c’est possible, et sans avoir besoin d’une présence locale dans différents pays.

A quels changements majeurs en lien avec le thème de la connectivité faut-il s’attendre au cours des cinq à dix prochaines années?

En ce qui concerne l’arrivée de la norme 5G, cette technologie apportera non seulement des capacités de transmission plus élevées mais aussi une meilleure efficience énergétique. Pour donner quelques ordres de grandeur, la 5G sera environ 20 fois plus rapide que la 4G, 20 fois meilleur marché et aussi environ 100 fois plus efficiente sur le plan énergétique. La 5G n’est toutefois pas qu’une histoire de télécoms - cette technologie ouvrira la voie à de nombreuses autres applications. Prenez l’exemple de l’Internet des objets (IoT): il y a différentes applications développées dans ce domaine depuis déjà plus de dix ans – pourtant, il ne s’est pas passé grand-chose entretemps parce que la 4G ne rend pas l’utilisation de cette technologie suffisamment intéressante. Autre avantage de la 5G: cette technologie permet de facturer des prix différenciés pour différents services, ce qui n’est pas le cas avec la 4G. Elle permettra ainsi aux entreprises de proposer de nouvelles offres plus ciblées.

Dans les pays émergents qui ne disposent pas toujours d’infrastructures télécoms d’aussi bonne qualité que dans les pays développés, l’arrivée de la 5G pourrait-elle permettre d’effectuer une mise à niveau d’un seul coup?

Bien sûr, la situation de départ est différente dans les pays qui, à l’exemple de la Suisse, ont toujours beaucoup investi dans la qualité de leur réseau télécom, et ceux qui ne disposent pas d’aussi bons réseaux.

La 5G peut aider les pays en développement à «sauter» les générations précédentes de télécommunications et à fournir une connectivité de haut niveau, mais cela nécessite un réseau 5G «autonome» - contrairement aux pays développés comme la Suisse, où la 5G peut n'être qu'une «mise à niveau» des réseaux existants. Par exemple, en Suisse, les appels téléphoniques peuvent toujours être passés sur un réseau 3G/4G de haute qualité, mais les fichiers et les téléchargements de données volumineux se font sur le réseau 5G.

«Il existe d’importantes opportunités
d’amélioration dans le domaine de la santé.»

La 5G va aussi pouvoir s’appuyer sur les réseaux qui ont une bonne qualité initiale. Avec la 5G, la nouveauté ne se situera toutefois pas seulement au niveau du volume des données échangées ou de la vitesse de transmission. C’est l’intelligence du réseau dans son ensemble qui sera différente. Si vous envoyez un mail à quelqu’un que celui-ci arrive avec deux minutes de retard, cela ne change pas grand-chose. En matière de conduite autonome («autonomous driving»), chaque seconde compte! Le fait que le réseau fonctionne parfaitement est une question de vie ou de mort.

Qui profitera le plus des nouveaux développements relatifs à la connectivité – les fournisseurs spécialisés de solutions pour ces domaines ou les géants habituels de la tech?

Bien entendu, les sociétés qui rendent possible l’usage de ces technologies – les «enablers» - tireront largement parti des développements en lien avec la connectivité. Mais il faut bien se rendre compte que les changements seront importants aussi dans de nombreux autres secteurs.

Lesquels?

Dans la santé par exemple, qui représente près de 18% du PIB aux Etats-Unis, bien davantage que dans d’autres pays industrialisés. C’est un secteur toujours largement fragmenté et qui n’est pas toujours organisé de manière efficiente. Il existe d’importantes opportunités d’amélioration dans ce domaine.

Ensuite, il y a des entreprises qui offrent des solutions qui permettent de communiquer différemment comme les systèmes de reconnaissance vocale. On peut citer une société comme Nuance qui permet réellement de comprendre ce que les gens disent. Cette société propose des techniques beaucoup plus sophistiqués que celles d’Alexa de Google par exemple.

Un autre domaine qui sera entièrement transformé par les nouvelles possibilités de communication est celui de l’éducation en ligne. Jusqu’à présent, beaucoup de gens étaient réticents envers l’enseignement en ligne car les outils n’étaient pas encore adéquats. Mais les choses changent: en Inde ou en Chine, les familles accordent une grande importance à la formation et sont intéressées aux offres proposées à distance par de grandes universités, comme celle d’Oxford par exemple.

Si toujours plus de choses s’effectuent en ligne, qu’en est-il des aspects liés à la sécurité de la transmission des données?

C’est aussi un enjeu clé bien entendu. Les activités criminelles sont passées du monde hors ligne à celui du monde en ligne. Les entreprises sont doublement exposées aux cyber-risques quand leurs employés travaillent à partir de la maison. Une société comme Okta, spécialisée dans le domaine de la gestion des identités, permet non seulement d’identifier l’identité des employés de l’entreprise mais aussi celle de ses clients.

«La correction de septembre ressemble plus à une ‘digestion’ naturelle
au milieu d'un marché haussier qu'à un retournement de la situation.»
Quels sont principaux risques que vous voyez actuellement pour le secteur des technologies?

Un risque non négligeable est celui d’une fragmentation des écosystèmes numériques. On se dirige vers un monde réparti entre plusieurs écosystèmes. D’un côté, les Etats-Unis avec l’Inde, l’Europe et l’Amérique latine. De l’autre, celui de la Chine et d’un certain nombre de pays d’Asie. Cela peut représenter un risque pour certaines sociétés.

Comment analysez-vous la forte correction qui a affecté le secteur des technologies durant la première moitié de septembre?

Il faut mettre cette correction du marché en perspective; alors que l'indice Nasdaq a reculé de près de 8% début septembre, il est en hausse de 31% YTD, y compris l'impact du COVID-19, tandis que l'indice S&P 500 l’est seulement de 5,5%. Cela ressemble plus à une «digestion» naturelle au milieu d'un marché haussier qu'à un retournement de la situation. Cette pandémie a mis en évidence l'importance de la connectivité et ses implications futures; beaucoup de tendances structurelles sous-jacentes de l'activité humaine passant de l'offline à l'online ont connu un changement radical. C'est presque comme si nous voyions le niveau d'activité de 2025 déjà en 2020. Il est peu probable que cette tendance s'inverse, mais plutôt qu'elle s'accélère. Au départ, COVID-19 a permis d'apporter des solutions rapides en matière d'infrastructures informatiques, de connectivité, de magasins en ligne; mais à mesure que les entreprises adopteront de plus en plus la flexibilité du travail et une présence numérique permanente, elles devront repenser toute leur stratégie de transformation numérique en vue d'un changement global plutôt que par étapes.