Pour préserver son capital d’ici 10 ans, mieux vaut privilégier les actions, selon Philipp Vorndran, de Flossbach von Storch.
Le stratégiste Philipp Vorndran est bien connu des investisseurs suisses. Il fut chef stratégiste de Credit Suisse entre 1997 et 2008. Il est depuis 14 ans responsable de la stratégie de placement du gérant de fortune allemand Flossbach von Storch présent à Zurich depuis 2006. Il répond aux questions d’Allnews.
Nous ne réfléchissons pas du tout en fonction du calendrier. Les prévisions annuelles intéressent les médias mais cet exercice est absurde. Nous élaborons plutôt un tableau des principales tendances de la société et de l’économie et discutons avec nos clients en fonction de leur horizon d’investissement et de leurs objectifs de rendement afin d’élaborer une allocation de portefeuille.
Notre idée centrale porte sur l’inflation. Nous pensons que l’inflation sera plus élevée que la moyenne historique durant une très longue période. Un portefeuille devrait ainsi être composé d’actifs réels de première qualité afin de présenter un rendement positif après inflation, impôts et frais de gestion. C’est la raison pour laquelle nous avons une proportion élevée d’actions.
En Europe et aux Etats-Unis, nous pensons que l’inflation dépassera les objectifs des banques centrales ces dix prochaines années. Nous disons que le 4 sera le nouveau 2, donc que l’inflation oscillera autour de 4% et non plus de 2%. La raison n’est pas liée aux questions d’approvisionnement et aux pénuries mais à des facteurs structurels. Depuis la chute du mur de Berlin, le processus de globalisation s’est développé à l’excès, laissant de côté les aspects moraux autant que les questions de sécurité d’approvisionnement. Aujourd’hui des médicaments de base font défaut dans nos pharmacies. Les conflits politiques entre la Russie, la Chine et les Etats-Unis et la décarbonisation de l’économie mondiale contribuent aussi à une hausse durable des prix. Enfin, le vieillissement démographique renforcera la rémunération des salariés. L’ère d’une inflation basse appartient au passé. Son niveau retrouvera celui des années 1980, entre 3 et 5%.
C’est sans doute une bonne piste, à moins de gagner davantage pour la même activité. Malheureusement une partie de l’augmentation des salaires sera en partie absorbée par l’Etat à travers la progressivité de l’impôt sur le revenu.
Si l’horizon d’investissement peut être le long terme, par exemple en prévision de la retraite, il est recommandé d’investir dans des participations au capital des entreprises. Celles-ci profitent de la hausse des prix à travers l’augmentation des bénéfices puisque cette dernière est nominale. Si l’inflation est de 4%, les bénéfices devraient aussi s’accroître de 4% sur le plan nominal. Le rendement de ces actions devrait dépasser celui des obligations de la Confédération, à moins que les banques centrales n’amènent les taux au niveau de l’inflation. Mais à l’avenir, le rendement des placements sans risque ne permettra guère d’offrir un rendement réel positif.
Je préfère parler d’entreprises particulières plutôt que de branches d’activités. Prenons l’exemple de Microsoft qui appartient aux entreprises dont le consommateur peine à éviter les logiciels, peu importe leur prix. De nombreuses entreprises disposent d’un fort pouvoir sur les prix, par exemple dans l’alimentation.
La hausse des coûts de l’énergie laisse de marbre des groupes tels que LVMH ou Rheinmetall en Allemagne. Le regard de l’investisseur doit être global et porter sur la sélection de titres individuels plutôt que de secteurs. Cette approche se distingue de celle des grands gérants d’actifs qui chaque mois réunissent leurs comités d’investissement pour ajuster de 2 ou 3% les allocations d’actifs. Si un investisseur me demande de préserver son capital d’ici 10 ans, la proportion d’actions sera proche de 80%. S’il entend acheter une entreprise dans les deux ans, il n’aura guère que du cash.
La politique menée par Xi Jinping nous inquiète. J’adore la culture chinoise. Je m’y déplace fréquemment et parle assez bien la langue. Jusqu’en 2012, je pensais qu’un processus de convergence aux valeurs occidentales allait se poursuivre cahin caha, en dépit de crises passagères. Depuis l’arrivée de Xi Jinping, la Chine est dirigée par une sorte de Vladimir Poutine éclairé. C’est un dictateur qui a pour but de reprendre Taïwan d’ici la fin de son règne. Les Américains l’ont compris avant les Européens. Nous n’avons pas voulu croire ce que l’on pouvait voir, à condition de le vouloir. La confrontation ne sera pas immédiate mais c’est un élément de la réduction du processus de globalisation et de ses effets d’échelle. Xi Jinping n’entreprendra rien contre Taïwan dans les 12 mois mais les relations continueront de se détériorer. La Chine ne sera plus le moteur de la croissance mondiale, même si une reprise est possible au deuxième semestre.
Ce sont des suppositions car en Chine la sécurité du droit n’est pas garantie. L’argent que vous confient les clients pour que vous l’investissiez vous oblige à chercher des placements protégés par le droit en Suisse, en Europe ou aux Etats-Unis. La Chine ne vous le garantit pas. Si le régulateur chinois décide de nationaliser Alibaba, le juge chinois risque de ne pas défendre vos droits. Cette incertitude s’est accrue, en dépit des récentes déclarations du régulateur, et elle justifie une prime de risque gigantesque. Cette incertitude existe d’ailleurs dans de nombreux marchés émergents. Je ne comprends pas les investisseurs qui comparent les multiples de bénéfices des actions émergentes avec ceux des valeurs suisses sans tenir compte de l’état des systèmes juridiques.
Dans notre portefeuille sans contraintes, jusqu’en octobre dernier, nous n’avions pratiquement aucune obligation. Ces 4 derniers mois, nous avons acquis quelques obligations d’entreprises parce que leur rendement s’est approché de ceux qu’offrent les actions, et quelques obligations liées à l’inflation.
L’or constitue une part significative de notre portefeuille depuis 14 ans parce que les Etats vivent au-dessus de leurs moyens et parce que nous sommes à la recherche d’une «bonne» monnaie. L’or est la monnaie ultime et une assurance contre les risques connus et inconnus du système financier. C’est pourquoi nous plaçons en moyenne 10% de notre fortune en or, et aujourd’hui un peu plus.