Indispensable proximité

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

«Pour croitre en Suisse, il faut servir la clientèle là où elle se trouve.» Entretien avec Yves de Montmollin de la banque Bonhôte.

Moins «touchée par les vents du large» que d’autres en raison de sa clientèle à grande majorité suisse, la banque Bonhôte veut se montrer solidaire en ces temps difficiles. Son fonds immobilier annonçait dès mi-mars des mesures de soutien aux locataires commerciaux indépendants. Investie depuis longtemps dans la finance responsable, la banque se tourne aujourd’hui vers d’autres fronts, dont l’ouverture vers la Chine. Entretien avec son directeur général, Yves de Montmollin.

Votre fonds Bonhôte Immobilier va dépasser le milliard de francs cette année. Il annonçait il y a peu des mesures de solidarité vis-à-vis de ses clients. Qu’entendez-vous par là?

Le fonds lui-même devrait être peu touché par la crise car il possède majoritairement de l’immobilier résidentiel. Mais il est aussi propriétaires de quelques arcades qui abritent artisans et petits commerces. En tant que propriétaire, le fonds a des responsabilités vis-à-vis de ces locataires qui sont aussi nos partenaires et qu’il faut éviter de mettre à genou. Car il y aura un «après». C'est dans cet esprit que nous avons suspendu le loyer du mois d'avril de ces locataires de surfaces commerciales indépendantes et demandé à nos gérances de ne procéder à aucun rappel ni mise en poursuite. Nous nous engageons à trouver des solutions avec chacun d'entre eux pour les aider à passer cette période difficile.

«Les fonds et les mandats de gestion ESG représentent
un segment qui offre la meilleure des croissances.»
Vous êtes depuis longtemps engagé dans la finance responsable, devenue l’an dernier très populaire. Quelle évolution observez-vous?

Pendant longtemps, j’ai pensé que nous avions eu raison un peu trop tôt. Avec Angela de Wolff de Conser Invest, Bonhôte avait élaboré une très belle offre en profondeur, notre «radar» de valeurs ESG, qui s’est longtemps heurté à l’indifférence de caisses de pension plus préoccupées de coûts que de durabilité. Notre approche était trop pointue et trop coûteuse et des approches pourvues d’une «couche ESG» plus fine nous étaient régulièrement préférées. Avec l’intérêt pour la problématique climatique, le démarrage l’an dernier s’est fait en flèche. Notre offre pointue a dû être adaptée - verte sans être jusqu’au-boutiste - mais, sans nul doute, les fonds et les mandats de gestion ESG représentent un segment qui offre la meilleure des croissances. Bonhôte s’est tourné davantage vers l’impact et notre fond éponyme, lancé l’an dernier, rencontre un vif succès. La performance se tient bien et cette gestion nous donne un sentiment d’utilité très apprécié de nos collaborateurs qui adhèrent avec enthousiasme aux valeurs de notre charte d’entreprise tournée vers l’investissement durable.

Appliquez-vous ces normes à votre portefeuille immobilier?

Tout à fait, nous avons lancé un vaste programme de développement durable de notre parc immobilier comportant un nombre important de mesures prises ou à prendre ces prochaines années. En raison de l’âge d’une partie du parc, il est pour l'instant difficile d’obtenir un label durable pour l’ensemble mais tous les travaux possibles de mise à niveau, sur des lignes directrices claires, sont en cours.

«Notre prochaine étape sera probablement la dette chinoise,
un marché gigantesque mais semé d’embuches.»
Bonhôte s’est récemment associé à Zhong Ou, un asset manager chinois. Dans quelles circonstances et pour quelles raisons?

Comme vous le savez peut-être nous avons développé, en partenariat avec la Banque Bordier et d’autres acteurs de la gestion privée, Bonhôte Fund Solutions, un cercle d’investisseurs qui identifie et sélectionne des opportunités d’investissement et qui pratique le «capital acceleration». C’est dans ce cadre que nous avons cherché et trouvé une expertise sur les actions A – c’est-à-dire les actions domestiques chinoises – avec Zhong Ou1, un des premiers asset manager privé en Chine. Pourquoi la Chine? Parce que c’est la deuxième économie mondiale, parce qu’elle est très sous représentée dans les indices mondiaux et parce que seuls les grands établissements présents à Hong Kong pouvaient, à ce jour, tirer parti du marché des actions chinoises. Grâce au partenariat avec Zhong Ou, Bonhôte peut ainsi offrir un véhicule géré par une équipe chevronnée, installée en Chine continentale. Notez que le fonds est enregistré au Luxembourg et distribuable auprès du grand public et des institutionnels en Suisse.

Envisagez-vous d’aller plus loin encore dans cette direction?

Oui car, hors des très grandes maisons, les véhicules de placement sur cette région sont rares. Notre prochaine étape sera probablement la dette chinoise, un marché gigantesque mais semé d’embuches sur lequel Zhong Ou possède plus de 300 spécialistes. Mais nous devons dans un premier temps apprendre à travailler avec nos partenaires chinois, une courbe d’apprentissage qui servira dans d’autres circonstances, même si les relations entre la Chine et les autres pays sont un peu endommagées par la crise du coronavirus.

Comment conciliez-vous investissement en Chine et ESG?

Le fonds a déjà une approche ESG mais il faudra être plus rigoureux encore pour satisfaire pleinement les exigences de distribution en Suisse. La discussion avec nos partenaires chinois est déjà ouverte et nous pensons pouvoir les amener à s’améliorer significativement en matière de durabilité.

«Nous nous rapprochons lorsqu’une région répond
à notre offre comme ce fut le cas à Bienne ou à Lausanne.»
Vous vous affirmez comme la «banque privée des Suisses». L’ouverture d’une antenne à Soleure est-elle un exemple supplémentaire de votre stratégie domestique?

Notre stratégie de croissance suit deux directions. Une direction internationale centrée sur Genève et une direction domestique de proximité avec la clientèle. Entre d’autres termes, nous nous rapprochons lorsqu’une région répond à notre offre comme ce fut le cas à Bienne ou à Lausanne2. Il nous parait que l’on ne peut croitre en Suisse qu’en se rapprochant des gens. Il faut servir la clientèle là où elle se trouve car un Lausannois n’est pas un Genevois. Pour ce qui est de Soleure, c’est une région industrielle dont le tissu est similaire à celui de Bienne. Vous y trouverez par exemple la fabrication des mouvements Swatch, celle des machines à café Jura, des chaussures Bally ou des prothèses médicales Mathys. Avec l’opportunité qui s’est présentée à nous d’acquérir une belle équipe de six personnes, nous sommes la première banque privée d’une population fortunée jusqu’à présent desservie de l’extérieur. En l’absence d’une banque cantonale soleuroise, un bon nombre de fortunes privées établies depuis longtemps nous rejoignent aujourd’hui.

Il est peu aisé de faire des prévisions en ce moment mais, toutes choses égales par ailleurs, comment envisagez-vous 2020?

Comme vous le savez, notre clientèle est à 80% suisse. Nous sommes donc moins vulnérables, «moins touchés par les vents du large» que d’autres établissements. En 2020, nous continuons la croissance de 2019 avec les six nouveaux gestionnaires de Soleure. Bonhôte Fund Solutions est pour sa part également prêt à accueillir de nouvelles compétences. Depuis 1992, nous poursuivons la croissance et recrutons régulièrement. 

Et la croissance externe?

Le Groupe Bonhôte est ouvert à toute opportunité d'achat mais il faut identifier le bon match car intégrer des entités n’est pas tout simple même si cette tendance se justifie sur le marché suisse. Difficile d’intégrer des gérants indépendants qui sont peu «solubles» car, par principe, … indépendants. Nous avons examiné des occasions d’acquérir des portefeuilles externes mais ils étaient souvent de moindre qualité et nous n’avons pas le personnel pour les nettoyer. Alors, croissance organique, oui; croissance par acquisition, pas à n’importe quel prix. 

A lire aussi...