Hong Kong, la nouvelle carte stratégique de Pékin

Salima Barragan

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Selon Louis-Vincent Gave, CEO de GaveKal Research, le report des élections pourrait bien avantager l’opposition prodémocratie.

Hong Kong plonge dans un changement constitutionnel. Son gouvernement impopulaire a reporté d’un an les élections législatives initialement prévues le 6 septembre. Prétexte invoqué: le coronavirus. Si aujourd’hui le calme semble revenu dans les rues de Hong Kong, ce n’est pas seulement parce qu’une grande partie de la population est en quarantaine dans les grands immeubles de la cité portuaire, mais aussi parce-que Pékin a durci le ton avec l’adoption le 20 juin d’une loi très controversée sur la sécurité nationale. Pourquoi ce revirement de position après dix-huit mois de manifestations violentes? Selon Louis-Vincent Gave, CEO de GaveKal Research et basé à Hong Kong, Pékin veut en faire son centre financier pour court-circuiter les contraintes américaines. Explications.

Depuis l’ajournement des élections législatives, comment la situation évolue-t-elle?

Nous sommes en pleine hystérie du COVID-19. A Hong Kong, l'une des premières places touchées par la pandémie et où le télétravail a été adopté très rapidement, les choses ont commencé il y a un mois à revenir à une certaine normalité, et sans aucun mort. Les élections ont été reportées à cause des mesures de quarantaine. Cependant, on ne s’attend plus à de nouvelles émeutes car les regroupements sont interdits et une nouvelle loi sur la sécurité nationale a été adoptée. Après une année d’anarchie, les émeutiers se sont mis à dos la population qui les soutenait au début. Lassée, cette dernière aspire à revenir à la normale. 

«La Chine s’est rendue compte qu’elle avait besoin
du centre financier de Hong Kong pour remplacer celui de Shanghai.»
L’opposition prodémocratie, qui espérait une nouvelle majorité pour les élections législatives depuis celle obtenue lors des élections municipales, dénonce un prétexte. Qu’en penser?

Un prétexte? Potentiellement, oui. Mais une grande partie de la population est réellement confinée dans les immeubles de la ville. Carry Liam, déjà très impopulaire, a repoussé le vote dans l’espoir de «reculer pour mieux sauter». Mais en réalité, ce report va remobiliser les votes démocrates. Et dans les douze prochains mois, son gouvernement va probablement se faire gifler. 

Le durcissement des lois à Hong Kong n’est-t-il pas une mauvaise nouvelle pour les investisseurs étrangers?

Il y a 18 mois, lorsque les vrais troubles anarchiques ont commencé, Pékin regardait la situation de loin sans s’y mêler, estimant que le gouvernement de Carry Liam devait y répondre. Mais il y a 3 mois, Pékin est intervenu et a imposé sa loi. Pourquoi ce changement de position? Parce que dans la mesure où les Etats-Unis cherchent à bloquer l’accès des entreprises chinoises à Wall Street, - ce qui a conduit Alibaba à finalement lancer son IPO à Hong Kong et Shangaï -, la Chine s’est rendue compte qu’elle avait besoin du centre financier de Hong Kong pour remplacer celui de Shanghai.  Et Xi Jinping mettra tous les moyens en œuvre pour réaliser ses ambitions. L’ouverture des marchés obligataires et actions chinois se fera ainsi par Hong Kong et l’on peut s’attendre à davantage d’IPO et d’argent chinois sur cette place.

«Sur les quatre à cinq prochaines années, nous sommes très optimistes
sur la dérèglementation obligataire ainsi que sur les IPO.»
Comment envisagez-vous le développement de la place financière de Hong Kong d’ici les prochaines années?

Les nouvelles règles imposées sont bien plus strictes que celles dont Hong Kong avait l’habitude. Compte tenu de la couverture médiatique «sensationnalisée», l’opinion publique à un vision très négative de Hong Kong. La Chine qui a pris son contrôle a besoin qu’elle reste un centre financier florissant. Sur les quatre à cinq prochaines années, nous sommes très optimistes sur la dérèglementation obligataire ainsi que sur les IPO. D’ici dix à vingt ans, Hong Kong sera transformée et son caractère en tant que ville va changer dramatiquement. Ce qui n’est pas surprenant, car si l’on regarde son évolution durant ces dernières décennies, elle n’a cessé de se réinventer.

Les différentes classes d’actifs négociées sur la place offrent-elles ainsi de bonnes perspectives malgré les troubles politiques?

Le reflexe occidental est d’être négatif dans ce genre de situation, mais les marchés ainsi que les spreads de crédit se tiennent bien. Il n’y a aucune tension sur les marchés financiers. Bien au contraire, les taux d’intérêt à Hong Kong, mais aussi en Chine vont s’effondrer. Une monnaie forte et des taux orientés à la baisse sont une bonne nouvelle pour les actifs.

Le dollar hongkongais s’est renforcé à la limite de sa bande de fluctuation. Comment évoluera-t-il jusqu’à la fin de l’année et quelle est l’implication de la gestion de son arrimage sur l’économie locale?

Le dollar hongkongais va rester sur le haut de sa bande, ce qui signifie que la banque centrale est obligée d’intervenir sur le marché pour vendre les dollars hongkongais. Mais le pays est petit et en y injectant tous les jours du capital, elle fait grimper l’immobilier…ainsi que les actifs de la bourse locale. 

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