Dans la gestion privée, il y aura toujours un élément humain

Yves Hulmann

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Grégoire Bordier, président de l’ABPS, observe que l’IA est déjà utilisée pour de nombreuses tâches. Dans la gestion privée, la relation avec le client reste néanmoins un aspect essentiel.

Organisé par l'Association de Banques Privées Suisses (ABPS) et l’Association de Banques Suisses de Gestion (ABG), le huitième Private Banking Day, qui s’est tenu mardi à Genève, a été en grande partie consacrée aux questions en lien avec les opportunités et les risques de l’intelligence artificielle en rapport avec le domaine de la gestion de fortune. Différents experts de la finance, de l’industrie et du monde académique ont débattu des différentes façons d’utiliser l’intelligence artificielle et de la question de la responsabilité de ceux qui y ont recours. Grégoire Bordier, président de l’ABPS et Associé indéfiniment responsable de Bordier & Cie SCmA, fait le point sur le potentiel de l’intelligence artificielle (IA), mais aussi ses limites, dans le domaine de la gestion de fortune et de la banque privée.

L’intelligence artificielle (IA) est déjà utilisée comme aide pour toutes sortes de tâches telles que la préparation de documents, pour préparer des résumés ou afin de rédiger des contrats standardisés. Dans le domaine de la gestion de fortune, l’IA pourra-t-elle être également utilisée pour prendre des décisions d’investissement de façon autonome?

C’est déjà le cas chez un certain nombre de gérants ou de gestionnaires de fonds. Il s’agit toutefois plutôt de fonds alternatifs dont les décisions sont parfois même entièrement pilotées par des algorithmes. Cela concerne par exemple des stratégies basées sur le suivi de tendances ou qui essaient de tirer parti de petites différences de cours ou d’exploiter des variations de tendance à très court terme. Pour ces stratégies, le principe est même d’effectuer des transactions sans aucune intervention humaine, justement afin d’éviter des biais d’ordre psychologique ou cognitifs.

«Dans la banque privée, il ne faut pas oublier que le gérant n’est pas seul à décider. Une décision doit toujours être prise en accord avec le client.»

Maintenant, à la question de savoir si cela pourrait s’appliquer aussi à la gestion privée, le point de départ est un peu différent. Certes, on utilise certains outils de l’IA dans le cadre de calculs effectués dans le but d’exploiter au mieux la frontière d’efficience. C’est une théorie qui n’est pas nouvelle mais dont l’utilisation peut être améliorée grâce à de nouveaux outils tels que l’intelligence artificielle. L’IA aide ici à trouver les combinaisons optimales entre différentes classes d’actifs. Pour autant, cela ne remplace pas la décision du gérant. Dans la gestion privée, il y aura toujours un élément humain. Que ce soit, d’une part, pour procéder à des vérifications des calculs effectués ou leur interprétation. Ou, d’autre part, afin de discuter des différentes options qui se présentent avec les clients. Dans la banque privée, il ne faut pas oublier que le gérant n’est pas seul à décider. Une décision doit toujours être prise en accord avec le client ou son représentant.

En revanche, effectivement, l’IA est déjà largement utilisée pour toutes sortes de tâches administratives ou de support. C’est le cas pour générer des documents juridiques ou de présentation, afin de répondre à des courriels ou lorsqu’il s’agit par exemple de traduire automatiquement des documents destinés à l’interne comme des analyses de marché. Même si tout n’est pas parfait, peut-être seulement à hauteur de 98 ou 99%, l’utilisateur corrigera par lui-même les fautes portant sur les 1% ou 2% du contenu restant.

Tous les experts en IA soulignent le rôle clé joué par la qualité des données utilisées nécessaires à l’entraînement des modèles. Est-ce aussi possible dans le domaine de la banque privée où les données sont, par définition, confidentielles?

Bien entendu, les données confidentielles relatives aux clients ne pourront pas elles-mêmes être utilisées pour entraîner des modèles basés sur l’IA. Un employé ne va jamais prendre les données d’un client pour les mettre dans un système tel que ChatGPT. Si des banques privées utilisent l’IA, elles le font avec des outils d’IA propriétaires qui fonctionnent de façon fermée.

«Si des banques privées utilisent l’IA, elles le font avec des outils d’IA propriétaires qui fonctionnent de façon fermée.»

En revanche, s’il s’agit de données publiques ou mises à disposition par des fournisseurs de données, la situation est différente. Dans ce cas, il est possible d’utiliser des données relatives au marché tels que des cours de bourse, des informations relatives à la composition des conseils d’administration ou toutes sortes d’autres chiffres en les triant et exploitant à l’aide de l’IA. Il y a certes des cas où il n’est pas toujours aussi clair de savoir si des données sont publiques ou si elles appartiennent à des prestataires de données mais la question porte ici davantage sur la protection des droits d’auteur ou de copyright. Ce n’est pas une question spécifique au secteur de la banque privée.

L’aspect de la consommation d’énergie est souvent évoqué en lien avec l’IA. Faudra-t-il un jour limiter la consommation de données exploitées par des programmes ou modèles d’IA pour ne pas entrer en conflit avec les engagements environnementaux ou les critères ESG?

C’est une question complexe à régler. Peut-être qu’un jour il faudra que des entreprises limitent la quantité de données que leurs employés utilisent en lien avec l’IA. Cette problématique ne se limite toutefois pas aux seules entreprises, il s’agit aussi d’une question sociétale de portée générale.

La mise à disposition d’outils basés sur l’IA remet-elle en question la formation du personnel? Aura-t-on encore besoin d’analystes qui savent calculer eux-mêmes des modèles d’évaluation ou les prix des options ou d’employés qui maîtrisent plusieurs langues étrangères?

S’agissant des principes de base, que ce soit dans l’analyse financière ou dans le domaine juridique, il faudra toujours que les collaboratrices et collaborateurs maîtrisent les fondements de ces outils. Ceci aussi afin de pouvoir en interpréter les résultats. Quand il s’agit d’activités de support, on peut en revanche s’interroger s’il sera encore utile de maîtriser trois langues ou plus. Dans la gestion de fortune, où le conseiller est au contact direct avec les clients, la maîtrise des langues parlées par les clients restera toujours un atout. 

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