Comment battre le marché obligataire avec la durabilité

Philippe Rey

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L’analyse rigoureuse du crédit fait bon ménage avec le développement durable, selon Caroline de Leeuw den Bouter (photo) et Peter Jeggli chez ESG-AM.

 

Une sélection méthodique des émetteurs d’emprunts obligataires, sur la base de leur solvabilité, n’est pas isolée, mais elle forme un des axes de l’approche d’investissement de la société de gestion d’actifs ESG-AM. Les autres axes sont les performances sociale et écologique des entreprises. Ils sont indissociables et peuvent permettre de faire mieux que le marché, expliquent Caroline de Leeuw den Bouter et Peter Jeggli, respectivement responsables de la durabilité ainsi que de la gestion des fonds «high yield» et «multi crédit» au sein de la firme basée à Zurich. 
Depuis son lancement en septembre 2022, le fonds ESG-AM High Yield Social Transformation a réalisé une meilleure performance que celle de l’indice de référence ICE BofA DM High Yield BB/B (euro). Son rendement depuis le début de l’année s’élevait à 6,37% à fin septembre. ESG-AM gère actuellement environ 400 millions de francs au total.

D’abord, comment jugez-vous la situation des marchés des obligations?

Les marchés envoient des signaux divergents. La baisse globale des taux d’intérêt et le bas prix du pétrole laissent en effet supposer un affaiblissement de l’économie. D’un autre côté, les primes de risque de crédit se situent à des niveaux bas et les indices d’actions s’approchent de leurs sommets. 

On a assisté généralement à des rallyes de fin d’année des actions durant les 30 dernières années, mais avec une performance en dessous de la moyenne pour les années d’élection présidentielle américaine. Aussi avons-nous entamé le dernier trimestre 2024 avec une exposition au crédit neutre dans nos portefeuille.

Quelle est plus précisément votre approche concernant le fonds global High Yield ou haut rendement?

La construction du portefeuille repose sur l’identification systématique des meilleures entreprises sur le plan du développement durable, en fonction de nos propres modèles de transformation sociale. Et nous les passons au crible de notre longue expérience dans la gestion des titres à revenu fixe. Les risques de solvabilité sont examinés au moyen de notre propre système également et des analyses fondamentales de la société I-CV Independant Credit View. 

Quelles sont les principales positions en portefeuille du fonds High Yield?

Les dix plus importantes positions à la fin du troisième trimestre étaient les sociétés Techem, UPC Broadband, Iqvia Inc, Castellum AB, Energizer Holdings, Vodafone Group, Chart Industries, Starwood Property, Jeld-wen Holding et Walgreens Boots Alliance. Avec des parts au total du portefeuille allant, dans l’ordre, de 2,1% à 1,4%. 

Quelles sont la notation de crédit moyenne et la duration? 

La notation de crédit moyenne du portefeuille s’établit à BB-. On note une surpondération d’entreprises, par rapport au benchmark ICE, des secteurs de l’immobilier, de la santé, des services, de la banque, du commerce de détail, des médias et de la consommation. Le rendement au pire (YTW) du portefeuille se chiffre à 5,8%. La duration s’est réduite au cours des dernières années, de 4,2 à 3,2, tandis que le bilan des sociétés dans lesquelles nous avons investi est solide.

«Nous essayons de sélectionner les obligations les plus attractives par le pilotage des sources d’alpha.»

Quels sont les avantages pour les investisseurs? 

La possibilité notamment d’investir dans un portefeuille diversifié à haut rendement avec un focus sur la stabilité et la liquidité en situation de stress; en visant une maximisation du rendement ajusté du risque. Nous essayons de sélectionner les obligations les plus attractives par le pilotage des sources d’alpha: les secteurs, les émetteurs, l’exposition crédit et les taux d’intérêt.  

Quel est le degré de diversification de votre portefeuille?

Nous mettons l’accent sur des entreprises des pays industrialisés, qui bénéficient d’un rating de crédit BB-B; nous n’avons aucun engagement actif dans la catégorie CCC. S’agissant de la liquidité, nous n’investissons que dans des émissions de plus de 250 millions d’euros (ndlr: l’euro est la monnaie de base du fonds, avec un hedging en franc et en dollar). Nous conduisons une gestion active avec 120 à 180 positions, qui correspondent à 80 à 120 émetteurs. 

D’autre part, nous mettons l’accent sur les objectifs 5 & 8 du développement durable, qui garantissent la mise en oeuvre de conditions de travail plus correctes et sûres, la diversité et l’égalité des sexes, ainsi que la promotion d’une croissance économique soutenue, partagée et durable, et un travail décent pour tous.

Enfin, ce fonds d’investissement durable High Yield respecte l’article 9; il doit notamment remplir les exigences de reporting ESG du règlement SFDR et permettre aux investisseurs de contribuer à la réalisation des objectifs durables des Nations Unies.  

«Notre tâche consiste justement à détecter les entreprises de qualité.»

N’est-ce pas une illusion?  

Non, car ces objectifs font partie d’une excellence opérationnelle et de l’engagement d’entreprises de qualité. Il en existe. Notre tâche consiste justement à les détecter. Notre stratégie dite de transformation sociale s’avère très sélective au regard de l’univers ICE Index High Yield BB-B Developped Market Index (H4DC). 

Notre portefeuille se compose d’emprunts d’émetteurs qui ont des standards sociaux élevés, ainsi que des faibles risques en matière de réputation et de controverse. Tout en s’engageant à améliorer continûment leur performance durable. 

Vous présentez notamment le score social élevé de sociétés comme Vodafone (le 3e opérateur de réseau mobile en Europe) et Coty (secteur de la beauté). En revanche, Salt (Matterhorn), numéro 3 derrière Swisscom et Sunrise en Suisse, est considérée comme un mauvais élève. Pourquoi? 

Le score de Salt Mobile est inférieur au benchmark concernant les critères de considération des droits humains, des standards sociaux des chaînes d’approvisionnement, des conditions de travail correctes, de l’égalité des chances et des sexes. 

Par ailleurs, les agences de rating estiment que Salt comporte des risques en matière de protection des données ou de plaintes de la clientèle. En somme, cette entreprise se situe au-dessous de la moyenne à la mesure de ces critères. 

Cependant, un dialogue initié avec Salt amène ESG-AM à escompter une amélioration des ratings à l’avenir. 

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