2020 sera l’année de vérité pour les actions

Salima Barragan

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Selon Mourtaza Asad-Syed et Arthur Jurus de Landolt & Cie, les entreprises médiocres se révèleront bientôt…

Mourtaza Asad-Syed, Chief Investment Officer, et Arthur Jurus, Chef économiste chez Landolt & Cie SA.

L’incertitude sera moindre en 2020. Cette assertion de la banque Landolt & Cie SA contraste avec les perspectives habituellement discutées en début d’année. La banque est optimiste. Cependant, elle prévoit des turbulences à venir sur la dette des entreprises. Beaucoup de sociétés ont profité de l’assouplissement monétaire pour racheter leurs propres actions en s’endettant, ce qui a amélioré artificiellement leur rentabilité financière. Dès lors, le risque se concentre sur le crédit de ces entreprises «dopées». La hausse des écarts de crédit dévoilera ainsi…les entreprises survalorisées. Entretien avec Mourtaza Asad-Syed, Chief Investment Officer, et Arthur Jurus, Chef économiste chez Landolt & Cie SA.

Pour quelles raisons estimez-vous que l’accord sino-américain n’est pas positif pour la croissance mondiale cette année?

Arthur Jurus: Nous nous attendons à une décélération de l’économie globale malgré l’éventuelle réduction des surtaxes douanières. Celle-ci n’interviendra, au mieux, que fin 2020. Son effet positif sur l’activité économique sera donc reporté en 2021. De plus il s’agit d’observer si les Chinois respectent bien leur engagement d’acheter 200 milliards de dollars d’exportations américaines supplémentaires. Cet accord reste donc conditionnel.

Les deux grandes puissances qui dominent le monde ne laissent
aux autres aucun choix que de s’aligner avec l’une des deux.
Quelles sont les implications pour les investisseurs?

Mourtaza Asad-Syed: L’année qui débute parait moins indécise, de nombreuses incertitudes ont disparu, en premier lieu l’incertitude monétaire. Depuis 2018, la guerre commerciale a créé beaucoup de bruit et d’agitation, mais la clef en termes d’allocation d’actifs était justement de ne pas considérer ces évènements! La forte hausse des marchés actions en est le meilleur exemple.

A plus long terme, quel sera son impact macro-économique?

Arthur Jurus: Ces négociations nous confortent sur une tendance structurelle entamée depuis l’administration Obama: la fin du multilatéralisme et de l’Organisation Mondiale du Commerce. L’effondrement du Round de Doha se révèle au grand jour par le processus bilatéral entre les Etats-Unis et la Chine. Tout comme lors de la guerre froide, les deux grandes puissances qui dominent le monde ne laissent aux autres aucun choix que de s’aligner avec l’une des deux. Comme corollaire, cet équilibre commercial sera non-optimal au niveau mondial. L’industrie européenne, l’agriculture dans les pays émergents et le numérique dans ces deux régions en seront les grands perdants.

Vous parliez de décélération de la croissance. Pourquoi celle-ci se prolongerait?

Arthur Jurus: Aux Etats-Unis, la consommation américaine est susceptible de s’affaiblir en début d’année, tandis que le report des investissements aux Etats-Unis se poursuivra compte-tenu de la prolongation des négociations commerciales en 2021. En Chine, le ralentissement de l’industrie est significatif et le risque de diffusion aux activités tertiaires est plus important qu’ailleurs. Enfin, l’économie européenne croît à un taux inférieur à 1%: la consommation allemande montre des signes d’affaiblissement, l’économie française se maintient uniquement grâce aux politiques fiscales et l’Italie reste enlisée par l’absence de croissance potentielle. En réaction, les banques centrales maintiendront leurs politiques monétaires expansionnistes et les taux resteront durablement bas.

Nous anticipons une plus grande dispersion entre les résultats
des entreprises aux fondamentaux solides… et les autres.
Beaucoup de sociétés ont profité de l’assouplissement monétaire pour s’endetter davantage afin de racheter leurs propres actions. 2020 sera-t-elle «l’année de vérité» pour distinguer les bonnes sociétés des plus médiocres?

Mourtaza Asad-Syed: Oui, car nous arrivons aux limites de l’endettement. L’endettement moyen des sociétés américaines est à première vue satisfaisant, mais dans le détail ce n’est pas le cas. Seules les grandes entreprises avec d’abondantes liquidités comme Apple affichent une bonne santé financière. Si l’on retranche les 50 meilleures entreprises américaines, le ratio de couverture des intérêts des entreprises s’avère finalement inquiétant. Cela signifie qu’une remontée des écarts de crédits, même temporaire, est susceptible d’affaiblir les sociétés les plus sensibles au refinancement de leur dette.  Si ces dernières années, l’endettement a financé la performance des marchés actions via les rachats, le risque ce concentre dorénavant sur le crédit des entreprises fragiles. Des turbulences ne doivent pas être exclues.

Vos attentes sur les publications des résultats sont-elles mitigées?

Mourtaza Asad-Syed: Globalement, nos attentes sont positives. Néanmoins, dans un contexte de croissance modeste, les profits ne peuvent pas croitre partout. Nous anticipons une plus grande dispersion entre les résultats des entreprises aux fondamentaux solides… et les autres. C’est ce que nous appelons «l’année de vérité». Les secteurs qui captent les profits économiques à l’échelle mondiale tels que la technologie, les champions du numérique et les grandes financières américaines se distingueront. Ce sera également le cas des champions sectoriels comme LVMH, Nestlé et les fifty-fifty globales: lorsque deux acteurs se partagent un marché, il y a peu de concurrence et aucune guerre des prix. Par exemple aux Etats-Unis, le marché de la bière est dominé par deux brasseurs principaux (AbInBev – SABMiller) et 60% de la distribution des produits médicaux en ville est réalisé par deux entreprises (Walgreens, CVS).

Vous avez qualifié la nouvelle année de «financièrement moins indécise». Qu’entendez-vous?

Mourtaza Asad-Syed: La situation financière est moins indécise en 2020 qu’un an auparavant: le risque d’une récession généralisée reste faible même si la croissance est modeste, les banques centrales sont pied au plancher pour stimuler les économies à la moindre faiblesse, l’absence d’inflation nous préserve d’un choc durable sur les taux et l’année électorale favorise en général la stabilité des affaires. Une moindre incertitude implique de moindres rendements futurs. Nous parions donc sur une performance des actions de moitié à celle observée en 2019. Nous restons pleinement investis avec une plus grande vigilance sur les valeurs.