«La digitalisation favorise l’offre sur-mesure»

Cyril Gomez

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La croissance des structurés prouve qu’ils répondent à une demande de pouvoir s’adapter aux marchés, explique Vincenzo Bochicchio de la BCV.

Émettre des produits structurés est loin d’être la seule activité d’un «émetteur». En amont s’imbriquent un certain nombre de tâches, de fonctions et de relations – internes et externes – rendant l’émission possible. Pour Allnews, Vincenzo Bochicchio, responsable du développement et du trading des produits structurés à la Banque Cantonale Vaudoise (BCV), décrit la nature des différents services, les solutions et les tendances caractérisant une industrie générant en Suisse un chiffre d’affaires annuel de plus de 300 milliards de francs.

Pouvez-vous donner quelques chiffres concernant l’activité des produits structurés de la BCV? Chiffre d’affaires, marges, volumes d’émissions et/ou principales évolutions l’an dernier?

Nous ne donnons pas de chiffres détaillés sur nos activités. Mais globalement en Suisse, l’industrie des produits structurés se porte bien, avec une croissance du chiffre d’affaires de plus de 20% au cours des deux dernières années pour atteindre en 2018 un montant total de plus de 330 milliards de francs.

En dehors de l’émission de produits, en quoi consistent plus précisément vos services et solutions?

Notre activité s’articule principalement autour de trois pôles d’expertise: l’activité d’émission pour compte de tiers, de conseil et de développement. L’émission pour compte de tiers consiste, comme son nom l’indique, à émettre des produits structurés pour le compte de clients qui ne peuvent pas ou ne veulent pas le faire par eux-mêmes. Dans cette activité, le profil des produits et le choix des sous-jacents reflètent les vues ou les thématiques retenues par nos clients (p. ex. une thématique particulière issue de leur comité de placement interne).

«La plupart des produits structurés que nous créons sont sur-mesure,
répondant à une requête précise d’un client particulier.»

L’activité de conseil consiste à proposer des solutions d’investissements qui reflètent les besoins exprimés par certains clients. Par exemple, dans une phase de cycle économique qui gagne en maturité, les risques de retournement des marchés actions s’accentuent. Dans ce contexte, certains clients aimeraient conserver une exposition aux marchés des actions tout en ayant un «air bag» pour contrer quelques turbulences possibles. Pour ce genre de besoins, nous pouvons proposer une panoplie de produits d’investissement à caractère défensif, tels que des produits avec une protection du capital ou même des certificats bonus.

Nous offrons également à nos clients une assistance pour la construction de leur portefeuille en identifiant de manière purement quantitative les titres satisfaisant au mieux certains critères retenus par les gérants eux-mêmes (p. ex. titres présentant les meilleurs dividendes, les volatilités les plus basses, la moindre dispersion des résultats, etc.). Ce support permet aux clients externes de simplifier et d’affiner la construction de leur portefeuille en distillant un univers d’investissement comprenant des titres les plus exposés à certains facteurs qu’ils ont sélectionnés. Cette assistance purement technique ne se substitue pas aux décisions finales d’investissement des clients.

Enfin, l’activité de développement consiste à développer des solutions d’investissements issues de notre propre réflexion. Ces propositions prennent principalement soit la forme d’un nouveau payoff ou soit la forme d’un sous-jacent particulier capturant au mieux une thématique particulière, qu’elle soit politique (p. ex. tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis), économique (p.ex. environnent de taux bas) ou séculaire (p.ex. vieillissement de la population).

Existe-t-il des interactions et/ou des synergies entre la division des produits structurés et d’autres divisions de la BCV?

Les plus grandes synergies interviennent avec le Private Banking, la Politique d’investissement et l’Asset Management avec, pour chaque entité, des solutions d’investissements différenciées et adaptées à leurs besoins.

Les progrès de la digitalisation ont permis d’amener la possibilité d’offrir
du sur-mesure pour des montants impensables il y a encore une décennie.
Quelle place occupent les produits structurés sur mesure par rapport aux produits standardisés au sein de la BCV?

La plupart des produits structurés que nous créons sont sur-mesure, répondant à une requête précise d’un client particulier, principalement des banques non émettrices, des gérants indépendants et des asset managers externes. La possibilité d’offrir des produits sur-mesure est une tendance de fond. Par le passé, avant l’avènement des plateformes de trading, les produits structurés étaient principalement offerts sous la forme de souscription, c’est-à-dire que derrière un seul produit se regroupaient plusieurs investisseurs, à l’image d’un fonds collectif de placement où tous les intérêts des investisseurs sont réunis au sein du même produit.

Néanmoins, avec les progrès technologiques et l’intégration poussée des technologies digitales par de nombreux émetteurs, plusieurs d’entre eux offrent aujourd’hui des plateformes de trading mono-émetteurs ou multi-émetteurs sur lesquelles il est possible de concevoir des produits sur mesure pour des investissements à partir de 20'000 francs.

En d’autres termes, les progrès de la digitalisation et la réduction des coûts de production unitaires ont permis d’amener la possibilité d’offrir du sur-mesure pour des montants impensables il y a encore une décennie. Dans cette nouvelle configuration de distribution digitale, on se retrouve souvent dans une situation où derrière chaque produit se trouve un seul investisseur.

Envisagez-vous d’émettre de nouvelles catégories de produits, notamment ceux dont les sous-jacents sont moins liquides ou récents (œuvres d’art, produits vinicoles, cryptomonnaies, prêts aux PME titrisés)?

Nous nous focalisons sur des actifs liquides pour lesquels la gestion du risque est facilitée. Dès que l’on s’en éloigne, l’investisseur s’expose à des risques de liquidité, risque pour lequel une certaine expertise de l’investisseur est requise. Aussi, il n’est pas toujours opportun d’adosser toutes sortes de sous-jacents à des produits structurés, l’expérience des subprimes aux États-Unis en est une malheureuse illustration. Notre objectif est avant tout d’offrir des solutions d’investissement s’appuyant sur des actifs liquides de manière aussi simple et transparente que possible.

Les produits structurés non cotés représentaient en 2018 62% du chiffre d’affaires des émetteurs suisses contre 70% en 2017. S’agit-il d’une tendance? Si oui, comment l’expliquer?

Je ne pense pas qu’il s’agit d’une tendance. De plus en plus de produits structurés passent par des plateformes de trading où derrière chaque produit se trouve un unique investisseur. Dans ce nouveau schéma de produits plus personnalisés, le besoin de cotation n’est pas aussi demandé qu’auparavant.

«Ces instruments permettent de générer des revenus en transformant,
de manière simplifiée, un risque action en des coupons.»
La forte croissance (+20%) du chiffre d’affaires des émetteurs suisses l’an dernier illustre-t-elle la pertinence des produits structurés durant les conditions de marché difficiles?

Cette croissance reflète la forte demande des investisseurs pour ces produits, car ceux-ci répondent simplement à leurs besoins. Je pense que leur intérêt indéniable est lié à leur capacité à s’adapter à l’évolution continuelle des marchés. Par exemple, durant cette dernière décennie, les taux d’intérêt en Suisse n’ont jamais été aussi bas.

Dans ce contexte, il est très difficile de trouver des produits d’investissement à revenus fixes avec des rendements attrayants. C’est ici que les produits structurés interviennent: par exemple, si un investisseur est à la recherche de revenu fixe une alternative possible est d’investir dans un Barrier Reverse Convertible (BRC), qui lui permettra d’encaisser des coupons garantis et de retrouver son capital à échéance, pour autant qu’aucun des titres sous-jacents n’ait touché leur niveau de barrière.

Aussi, avec le retour de la volatilité sur les marchés depuis le début de l’année dernière, il est désormais possible de générer des rendements intéressants en francs suisses avec des niveaux de barrière très bas, typiquement entre 45% et 55% du niveau initial. En d’autres termes, l’exemple du BRC montre que même dans un environnent de taux bas ces instruments permettent de générer des revenus en transformant, de manière simplifiée, un risque action en des coupons, avec une protection du capital élevée grâce aux barrières très basses.

 

Léger recul des produits d’optimisation de la performance
La croissance du marché des produits structurés a été dominée par les produits à effet de levier (+63%), les produits de participation (+45%) et les produits avec protection du capital (+34%), alors que les produits d’optimisation de la performance ont connu un léger recul. En termes de popularité, les produits d’optimisation représentent toujours la part dominante avec 46% du volume d’affaires, alors que les produits à effet de levier sont à 22%, suivis des produits de participation avec 16% et, enfin, les produits à capital protégé avec 14%. Une des principales tendances de fond de ces dernières années est le retour des certificats avec protection du capital et du dollar, tendance principalement expliquée par la montée des taux américains.
Source: Rapport d’activités ASPS